Auguste Lacaussade: À l'île natale - Lecture hypertextuelle (niveau B2-C2)

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Colloque

Lacaussade en fraternité mauricienne et les questions de son temps

25-27 septembre 2013

à l'université de Maurice

**********

Manfred Overmann

Auguste LACAUSSADE (1815 Saint-Denis-1897 Paris)

À l'île natale : lecture hypertextuelle et exploitation pédagogique

Dossier pédagogique - Analyse du poème - Biographie en PDF

L'oeuvre de Lacaussade:

Les Salaziennes (1839, version txt); Poèmes et paysages (1852, version txt); Insania (1862, version txt); Les Anacréontiques (1876, version txt); Les Épaves (1876, version txt)

L'un des plus grands poètes de l'île de la Réunion, Auguste Lacaussade (1815-1897) est le fils d'un citoyen français et d'une esclave

carte_ancienne_BNF_Gallica.jpeg

(La première carte de l'île de la Réunion dessinée par Étienne de Flacourt sur le rapport des exilés de Bourbon, publiée dans la première édition de « L’Histoire de la grande îsle de Madagascar » en 1661)

 

Tâches à effectuer au choix avant la lecture des poèmes d'Auguste Lacaussade dans le cadre d’une pédagogie de projet : responsabiliser et autonomiser l’apprenant

A)    Contextualisez la poésie lacaussadienne (réception écrite, visionnement d'une vidéo, prise de notes et expression orale)

 

A 1) La géographie

Groupe 1: Présentez la France d’outre-mer devant la classe : http://portail-du-fle.info/ → Civilisation → La France d’outre-mer (niveau C1) → et/où aussi → Découverte cartographique (niveau A2-B2)

Groupe 2 : Regardez la vidéo sur l'île de la Réunion, faites les activités de réception orale et de production écrite (niveau A2-B1) qui s'y réfèrent et exposez les idées principales devant la classe (Niveau A2-B1).

Groupe 3: Découvrez la géographie de l'île de la Réunion (niveau A2) à travers l'étude d'un hypertexte, faites des activités au choix, puis exposez les idées principales devant la classe.(Niveau A2-B1) Présentez vos résultats à la classe.

 

A 2) L’Histoire

Groupe 4 : Étudiez l'histoire de l'île de la Réunion et exposez les idées principales devant la classe (niveau B1-B2). Nous vous renvoyons aussi à un deuxième texte sur l'histoire plus difficile et plus complexe (niveau C1).

A 3) Biographie

Groupe 5 : Étudiez la biographie d’Auguste Lacaussade et relevez notamment les aspects reliés a) à sa naissance d’enfant bâtard; b) à l’esclavage ; c) aux dates qui ont marqué sa vie. Exposez les idées principales devant la classe (niveau B2-C2). Selon votre niveau de langue, il suffira de pratiquer une lecture globale ou sélective vous permettant de trouver les mots-clés.

A 4) Le romantisme

Groupe 6 : a) Faites une recherche, puis un  court exposé sur le « romantisme ». b) Essayez de trouver ce que la nature symbolise pour Jean-Jacques Rousseau. c) En 1788 Bernardin de Saint-Pierre publie son roman pastoral Paul et Virginie. Donnez un court résumé du roman.


B)    Sensibiliser les apprenants au sujet en créant des ponts cognitifs et émotionnels - activités de mise en route avant la lecture: créativité, expression orale, débat

        Donner à l’enfant l’envie d’apprendre, et toute méthode sera bonne. Rousseau, Emile 1762.

1.  Travail en équipes : Regardez et décrivez les deux  photos ci-dessous, puis imaginez comment les premiers habitants ont vécu sur l'île au 17ème  siècle. Exposez vos résultats devant la classe, échangez vos idées et entamez un débat.


 

Reunion_Lisbesth1.JPG

Lisbeth Østergaard, Fransk Nyt, Danemark, 2012
Le paradis terrestre, l'île de la Réunion

Reunion_Lisbeth2.jpg

Lisbeth Østergaard, Fransk Nyt, Danemark, 2012
Le paradis terrestre, l'île de la Réunion

 

2.  Individuellement, faites un remue-méninge pour construire un filet de mots autour du mot « le paradis terrestre ». Qui a trouvé le plus de mots ? A tour de rôle, allez au tableau pour marquez vos mots favoris.

3.  Complétez votre associogramme en cherchant des mots dans le dictionnaire des synonymes. Essayez de trouvez un maximum d’adjectifs.

4.  Comparez votre description de l’île avec celle qu’en donne d’Étienne Flacourt, gouverneur de Madagascar, dans son livre Histoire de la Grande Isle de Madagascar, Paris 1661L

« Le reste de l’île (…) est le meilleur pays du monde, arrosé de rivières et de fontaines de tous côtés, rempli de bois de toutes sortes, comme de lataniers, palmistes et autres, fourmillant de cochons, de tortues de mer et de terre extrêmement grosses, plein de ramiers, de tourterelles, de perroquets les plus beaux du monde, et d’autres oiseaux de diverses façons. Les coteaux sont couverts de beaux cabris, desquels la viande est très savoureuse. Mais celle du cochon surpasse toute sorte de nourriture en délicatesse et en bonté. Ce qui la rend si bonne est qu’il se repaît pour la plupart que de celle des grandes tortues, ainsi que les douze Français qui y ont été trois an m’ont rapporté, lesquels n’y ont vécu que de chair de porc, sans pain, biscuit ni riz (… ) »

5. Par écrit, formulez des hypothèses sur le contenu du poème d'Auguste Lacaussade, À l'île natale.


Activités d’écoute (1)

Compréhension globale

1.    Écoutez le poème une première fois. Puis notez les mots, les idées ou les vers que vous avez retenus et citez-les à haute voix à tour de rôle jusqu’à épuisement.
a)
       b)    c)

d)    e)     f)

g)     h)    i)

2.    Formulez l'idée centrale du poème en une seule phrase.

      

 

Activités d’écoute (2)

 

Compréhension affinée

1.    Écoutez le poème une deuxième fois, puis jugez :

Vrai ou faux ?

          Auguste Lacaussade, À l’île natale                 vrai ou faux
1   O terre des palmiers, Eléonore son pays ;          
2   Qu’emplissent de leurs chants le vent et les oiseaux !          
3   Île des bengalis, des brises, de l’aurore !          
4   Lotus maculé sortant du bleu des eaux !          
5   Svelte et suave enfant de la forte nature,          
6   Toi qui sur les contours de ta nudité obscure,          
7   Libre, laisses aller au vent ta chevelure,          
8   Vierge et belle hier comme Adam à son réveil ;          
9   Muse natale, muse au radieux sourire,          
10 Toi qui dans tes beautés, jeune, m’a appris à écrire,          
11 À toi mes champs ! à toi mes hymnes et ma lyre,          
12 O terre où je mourus ! ô terre du soleil !          
Solutions                 3 vrai /  9 faux

 

 2.    Travail en tandems : Corrigez les fautes et notez les bonnes réponses dans votre cahier pour composer le poème.


C)    Vouloir comprendre, c’est chercher un sens en posant des questions. Lecture et analyse du poème.

C1)  Approche

1.    Individuellement, lisez le poème et découvrez le vocabulaire inconnu selon votre niveau de langue.
2.    Que pensez-vous du poème ? Qu’évoque-t-il pour vous ?
3.    Formulez deux questions sur le texte par écrit dont vous discuterez en classe. Quels vers ou quels mots vous paraissent particulièrement difficiles à comprendre ?
4.    Trouvez au moins 10 adjectifs dans le poème. Essayez de les classer dans trois à quatre paradigmes  en tant qu’unité de sens selon le modèle ci-dessous ou selon votre propre choix. Puis énumérez les connotations sous forme d’un exercice en chaîne. Si vous n’en trouvez plus, passez à un autre mot.

Libre Immaculé Svelte Autre



5.    Rechercher les mots se référant à la flore et à la faune. Que symbolisent-ils ?

C2) Activités autour du poème

Individuellement ou en binômes, choisissez deux à trois hyperliens selon votre intérêt et réalisez les micro-tâches qui y sont reliées.

 


A l'île natale

Lacaussade1.jpeg

Lieu de conservation : Archives départementales de La Réunion, Fonds d'archives (ou collection) : Petits formats (inférieurs à 24 x 30). Source: Iconothèque historique de l'Océan Indien: http://www.ihoi.org/app/photopro.sk/ihoi_expo/publi?docid=80604&lang=fra

- Décrivez la photo du poète.
- Formulez une légende.
- Que pense le poète?

Présentation audio

et hypertextuelle du vocabulaire

 

 

À l'île natale

O terre des palmiers, pays d’Eléonore,

Qu’emplissent de leurs chants la mer et les oiseaux

Île des bengalis, des brises, de l’aurore !

Lotus immaculé sortant du bleu des eaux !

Svelte et suave enfant de la forte nature,

Toi qui sur les contours de ta nudité pure,

Libre, laisses rouler au vent ta chevelure,

Vierge et belle aujourd’hui comme Eve à son réveil ;

Muse natale, muse au radieux sourire,

Toi qui dans tes beautés, jeune, m’appris à lire,

A toi mes chants ! à toi mes hymnes et ma lyre,

O terre où je naquis ! ô terre du soleil !

Présentation des micro-tâches

  • Individuellement ou en binômes choisissez deux à trois hyperliens selon votre intérêt et réalisez les micro-tâches qui y sont reliées.

 

À l'île natale

O terre des palmiers , pays d’Éléonore ,

Qu’emplissent de leurs chants la mer et les oiseaux

Île des bengalis (1), des brises, de l’aurore (2)!

Lotus immaculé sortant du bleu des eaux !

Svelte et suave enfant (3) de la forte nature (4),

Toi qui sur les contours de ta nudité pure,

Libre , laisses rouler au vent ta chevelure ,

Vierge et belle comme Ève à son réveil ;

Muse (5) natale, muse au radieux sourire,

Toi qui dans tes beautés, jeune, m’appris à lire ,

A toi mes chants ! à toi mes hymnes et ma lyre ,

O terre où je naquis ! ô terre du soleil !

 

 C3) La forme et les figures de style

Groupe A) Relevez les figures de style/ rhétorique dans le poème et étudier leurs significations.
Groupe B) Étudiez la forme du poème et les rimes.

 
C4) Créativité

1. Prenez modèle sur le poème « À l’île natale » d’Auguste Lacaussade et créez vos propres poèmes :

Squelette du poème à compléter
En classe, les élèves reçoivent le « squelette » du poème, c’est-à-dire le poème original dépouillé du plus gros de son vocabulaire. Il va s’agir de « rhabiller » le squelette pour reconstruire un nouveau poème unique sur l’ossature du précédent. Cette démarche est sécurisante pour les élèves moins hardis car elle procure un cadre à l’écriture. N’oublions pas de mentionner l’importance de l’humour, du jeu, du sentiment de liberté.

À mon pays natal ou À mon pays de rêve
O terre des , pays ,
Qu'emplissent de leurs chants  et les !
Pays des , des __________, de l'aurore!
Lotus immaculé sortant !
Svelte et suave enfant de ,
Toi qui sur les contours de ,
Libre, laisses rouler ,
Vierge et belle aujourd'hui comme ;
Muse natale, muse au ,
Toi qui dans tes beautés, jeune, m'appris à ,
A toi mes chants! à toi mes hymnes et ma lyre,
O terre où je naquis! ô terre du !

Travail de gonflage du poème
Contrairement à la tâche précédente, nous proposons maintenant compléter le texte succinct d’origine, en y ajoutant force de détails fantaisistes. On peut ainsi « gonfler » et doubler le volume du poème. Ce travail peut se faire collectivement et être très divertissant et donnera aux élèves l’impression de rivaliser avec le poète! Après ce travail, on peut se poser ensemble la question de savoir si, en réalité, le poème s’améliore grâce aux détails ou s’il perd de son mystère.
Le titre :
O terre féconde des palmiers et des citronniers, pays lointain d’Éléonore et de ses enfants,
Qu’emplissent …

2. Lisez le poème « Le Bengali » et racontez son histoire sous forme d’un récit ou d’un dialogue avec le poète.
3. Lisez le poème « À la nature », prenez votre lyre et rédigez un hymne célébrant la nature pour qu’elle vous donne de l’inspiration et de la force pour maîtriser votre vie ! Faites d’abord un associogramme / filet de mots, puis composez votre poème. Les rimes ne sont pas du tout obligatoires. Il suffira d’associer des énoncés sous forme d’une ou de plusieurs strophes.


À l'île natale (II)


Je puis mourir : j'ai dit, ô mon île natale !
Ton ciel, tes monts, tes bois, tes champs, tes eaux, tes mers.
Mon âme t'a payé sa dette filiale :
Sur tes flancs de granit j'ai buriné mon vers.
Chez moi ce n'est point l'art, c'est le cœur qui te chante.
Ma piété pour toi fit ma voix plus touchante ;
Mon cœur m'a révélé tes secrètes beautés.
D'autres fils te naîtront qui des muses hantés,
Admirant à leur tour tes splendeurs et ta grâce,
Par tes vals escarpés cheminant sur ma trace,
Lisant partout mon nom sous la ronce vorace,
Rediront après moi ton ciel, tes monts, tes bois.
Souris avec orgueil à leur lyre nouvelle !
L'écho de tes rochers me restera fidèle,
Car, versant à mes vers ta sève maternelle,
Ton âme, ô mon pays ! a passé dans ma voix.

(Janvier 1892)


Les travailleurs

Mais entends-tu la cloche aux lointains volées ?
Sous la main du planteur elle annonce le jour.
Sa voix lente, roulant dans les creux des vallées,
Remonte, appelant l'homme aux travaux du labour.

Les Noirs, à son appel, quittent les toits de chaume,
Secouant à leur front un reste de sommeil.
Le firmament sourit et la savane embaume ;
Mais pour l'esclave est-il des fleurs et du soleil ?

Ils viennent, on les compte, et le Maître gourmande ;
La glèbe aride attend leurs fécondes sueurs.
Ils s'éloignent, suivis du Chef qui les commande,
Et la plaine a reçu l'essaim des travailleurs.

Vois-tu ce Commandeur, hélas ! comme eux esclave,
Du fouet armé, debout sous l'arbre du chemin ?
Un chien est à ses pieds ; lui, sur un bloc de lave,
Il surveille pensif son noir bétail humain.

Le fer creuse et gémit ; la bande aux bras d'athlètes
Fouille le sol brûlant sous l'astre ardent et clair ;
Parmi les blonds roseaux luisent les noires têtes ;
L'oiseau libre et joyeux passe en chantant dans l'air !

O dure servitude ! ô sort ! ô lois cruelles !
Au joug de l'homme ainsi l'homme se voit plier !
Ah ! loin de ces tableaux navrants ouvrons nos ailes !
Fuyons, doux bengali ! fuyons pour oublier !

 

Le Bengali

A Sainte-Beuve,
Au maître et à l’ami.
 
Poète au gosier d’or, enfant de nos savanes,
Toi qui, fuyant ton nid caché sous l’herbe en pleurs,
Te berçais dans la brise au roulis des lianes,
Et chantais la lumière au front des bois en fleurs;

D’où viens-tu pour tomber tremblant à ma fenêtre,
Loin des citronniers verts de notre île d’azur?
Au pays des palmiers toi que le ciel fit naître,
Bengali, d’où viens-tu par un hiver si dur?

Il neige; à mes carreaux la bise siffle et pleure.
Sous des cieux incléments qui t’a donc exilé?
Viens à moi, ne crains rien! - Dans mon humble demeure
Soyez le bienvenu, compatriote ailé!

O bonheur de te voir! ô fortune imprévue!
Viens sécher sur mon sein ta plume sans chaleur.
Un passé radieux se réveille à ta vue,
Et tout mon pays d’or se lève dans mon coeur.

Comme deux chers amis qu’un même exil rassemble,
Comme un fils de ma mère assis à mon foyer,
Du val des lataniers, oiseau, parlons ensemble;
Chantons, doux bengali, chantons pour oublier!

Chante! et je reverrai nos profondes vallées.
Chante! et je revivrai mon bel âge effacé.
Souvenirs! frais parfums des choses envolées,
Embaumez le présent des bonheurs du passé.

Voici la mer lointaine aux rumeurs éternelles;
Là-bas, j’entends gronder le torrent orageux;
Plus loin, c’est la montagne aux crêtes fraternelles
Dans le saphir de l’air dressant leurs fronts neigeux.

L’aube se lève, un air transparent nous inonde;
Pour aimer et bénir tout semble s’éveiller!
Sous un ciel aussi pur qu’il est doux d’être au monde!
Chantons, ô bengali! chantons pour oublier!
(PP, LXXIX)


**********

L'oiseau qui vient chanter aux bords de ton chemin,
Le bengali qui boit dans le creux de ta main,
Et la brise effeuillant les fleurs à peine écloses
Pour embaumer ton air de la senteur des roses,
(…)
La vague s'élève et palpite
« Sur le sein onduleux des mers,
« Et l'oiseau que l'aurore invite
« La célèbre dans ses concerts.
(…)
Tout vit, tout renaît, tout s'éveille
(…)
Vis, renais, éveille-toi, lyre,
« Mêle ta jeune et faible voix
« A celle du vent qui soupire
(…)
« Tes blanches ailes vers les cieux!
« L'éther limpide et diaphane
« Reçoit l'humble oiseau de nos bois;
« Il monte, il se balance, il plane
« Et remplit le ciel de sa voix.
« Des ombres que le jour colore
« Franchissant la vague sonore,
« Il vole en chantant vers l'aurore;
« De l'aigle à l'œil fier et vermeil
« Il n'a pas les puissantes ailes,
« Et pourtant des sphères mortelles
« Il monte aux voûtes éternelles
« Et va chanter près du soleil.
« Montez-donc, plaintes de mon âme,
(…)
« Avec l'aurore virginale,
« Dans ce jour, ô mon coeur, exhale
« Un hymne aussi vers ton auteur!
« La fibre qui dans toi murmure
« Est une corde, quoique obscure,
« De la lyre que la nature
« Fait vibrer pour son créateur! »
(Les Salaziennes, XXIX, À un ami)


À La Nature

Source trois fois féconde, opulente Nature,
Sans t’épuiser jamais, toi qui donnes toujours;
Toi qui répands à flots sur chaque créature
La vie et ses bienfaits, la vie et ses beaux jours;
Je t’envie, ô Nature! ô mère impérissable,
Qui nous verses à tous un lait intarissable!
Poète, que ne puis-je abreuver de mes chants,
Comme toi de tes dons, les purs et les méchants!
Du seuil de mon Eden, poétique domaine,
Que ne puis-je, appelant toute la race humaine,
Dire à l’homme, à l’enfant, aux sages, aux rêveurs:
« Cueillez à pleines mains mes strophes et mes fleurs!
Dans mes vastes jardins aux suaves délices
Entrez! c’est pour vous tous que s’ouvrent mes calices.
Femme, goûte à ces fruits que l’art a fait germer;
Vierge, viens respirer la fleur qui fait aimer;
Poète, viens rêver sous mes ombres fidèles;
Vieillard, de mon printemps viens voir les hirondelles.
Venez tous! entrez tous! vous qui pleurez, hélas!
Vous dont la lèvre rit, vous dont le coeur est las;
Toi qu’a rendu méchant une longue souffrance;
Toi qui te meurs d’ennui, toi qui vis d’espérance;
Venez! de mon Eden les murs vous sont ouverts.
Tout est à vous: les fleurs, les fruits, les rameaux verts!
Prenez, cueillez au gré de votre fantaisie:
Rien ne peut me tarir, je suis la Poésie! »
(PP, II, À la nature)


Ma Fille
Le Berceau


Fraîche plante à la fraîche haleine,
Fleur éclose sur mon écueil;
O toi qui de la vie à peine
Viens de franchir le triste seuil;

Fragile enfant, jeune âme blanche,
Premier bouton de mon été,
(...)
Soeur des anges au blond visage,
Qui demi-nus, aux bords du ciel,
Se bercent dans l’or d’un nuage
Sur les toiles de Raphaël;

Esprit de quelque sphère heureuse,
Qui sur les neiges de ton corps
Gardes la trace lumineuse
Du monde inconnu d’où tu sors;
(...)
Pourquoi faire souffrir l’enfance?
Seigneur! quel est ton but caché?
Cet âge est faible et sans défense,
Cet âge est blanc de tout péché!
(...)

L’Enfance

Mais déjà plus souple et plus belle,
La tige commence à grandir;
Brisant son écorce rebelle,
Du bouton la fleur va sortir.

O folle enfance! ô tête blonde!
Baisant tes yeux à leur réveil,
En vain je boude, et je te gronde,
Enfant, de courir au soleil;

Toi, t’envolant avec l’aurore,
Par nos vallons pleins de douceurs,
Tu veux voir les bourgeons éclore,
Avec les abeilles tes soeurs.
(PP, XLIX, Ma fille - Le berceau, L’enfance…)

 
Muse
De la muse qui le console,
Les accents lui sont toujours chers;
(Les Salaziennes, VI)

Attentive à mes premiers chants,
Quand ta généreuse indulgence
A ma muse dans son enfance
Adresse des conseils touchants;
(Les Salaziennes, XXIII)

Mon âme, à qui la muse avait donné des ailes,
N'a pu s'élancer vers les cieux.
(Les Salaziennes, XXIV)

Pensive enfant de ma vallée,
Muse cachée au fond des bois,
Âme fraternelle et voilée,
Dont la voix répond à ma voix;

Toi qui dans l’ombre et solitaire
As tressé pour l’obscur chanteur
Une couronne de mystère
Des premiers songes de ton coeur;
(…)
De tes songes peuple mes rêves,
De mes chansons enivre-toi:
Pareille à l’oiseau blanc des grèves,
Plane sans cesse autour de moi!

Sois l’Ariane pure et blonde
Qui, m’inspirant dans mes sommeils,
Me conduise à travers le monde
Par le fil d’or de ses conseils.

Loin des bruits de la multitude,
Sois mon nid dans les rameaux verts;
Le palmier de ma solitude
Où viendront s’abriter mes vers.
(PP, À une inconnue)

 

L'aurore

aurore.JPG



Aurore
Mais, regardez! voici l'aurore
Qui lève ses rideaux d'azur;
L'ombre blanchit et s'évapore
Aux bords de l'orient plus pur.
L'aube, ouvrant sa molle paupière,
Du faible éclat de sa lumière,
Sème les premiers feux du jour.
L'air est pur, l'horizon est rose,
Le ciel que la lumière arrose
Semble sourire avec amour.
(Les Salaziennes, VII)


Ma poésie, ainsi qu’un jeune arbuste en fleurs,
Se couronne parfois d’éclatantes couleurs.
Quand son front, effleuré des ailes de l’aurore,
Sent frissonner sa feuille et ses bourgeons éclore;
Quand tout son être ému, touché par le soleil,
Sent monter et courir la sève du réveil,
Soudain comme un bouton son feuillage se brise
En grappes de parfums, et s’ouvre sous la brise;
Et, secouant dans l’air des nuages d’odeurs,
(PP, Ma poésie, VIII)

 

Le Lac Des Goyaviers Et Le Piton D’Anchaine

(Hommage à l'esclave "marron "  ANCHAINE
qui laissa son nom à une montagne de l'île de la Réunion)

Mais quel est ce piton dont le front sourcilleux
Se dresse, monte et va se perdre dans les cieux ?
Ce mont pyramidal, c'est le piton d'Anchaine.
De l'esclave indompté brisant la lourde chaîne,
C'est à ce mont inculte, inaccessible, affreux,
Que dans son désespoir un Nègre malheureux
Est venu demander sa liberté ravie.
Il féconda ces rocs et leur donna la vie ;
Car, pliant son courage à d'utiles labeurs,
Il arrosait le sol de ses libres sueurs.
Il vivait de poissons, de chasse et de racines ;
Parfois, dans la forêt ou le creux des ravines,
Aux abeilles des bois il ravissait leur miel,
Ou prenait dans ses lacs le libre oiseau du ciel.
Séparé dans ces lieux de toute créature,
Se nourrissant des dons offerts pas la nature,
Africain exposé sur ces mornes déserts
Aux mortelles rigueurs des plus rudes hivers,
Il préférait sa vie incertaine et sauvage
À des jours plus heureux coulés dans l'esclavage ;
Et, debout sur ces monts qu'il prenait à témoins,
Souvent il s'écriait : je suis libre du moins !
Cependant, comme l'aigle habitant des montagnes,
Qui du trône des airs descend vers les campagnes,
Sur la terre et les champs plane avec majesté,
Et, s'approchant du sol par sa proie habité,
La ravissant au ciel dans sa puissante serre,
Reprend son vol royal et remonte à son aire ;
Le noble fugitif, abandonnant les bois,
De son mont escarpé descendait quelquefois ;
Il parcourait les champs, butinait dans la plaine,
Et revolant ensuite à son affreux domaine
Par l'âpre aspérité d'un sentier rude et nu,
Invisible aux regards et de lui seul connu,
Il regagnait bientôt sa hutte solitaire
(Les Salaziennes, V)

 

Le Piton des Neiges

Océan, Océan, quand ta houle écumante
Roule, vague sur vague, aux coups de la tourmente,
Un flot majestueux, d’un seul jet dans les airs,
Monte submergeant tout de son élan sublime :
Comme un cratère on voit au vent fumer sa cime,
Et de sa masse énorme il domine les mers.

Les ondulations que son volume écrase

Viennent incessamment se briser à sa base ;
L’eau bouillonne et bondit vers son front orgueilleux,
Mais lui, voyez ! debout au fort de la tempête,
D’écume et de vapeurs il couronne sa tête,
Maîtrisant à ses pieds les assauts furieux.

Tel de ces pics que tu domines,
Superbe mont salazien,
Tel de ces montagnes voisines
Jaillit ton front aérien.
Immense, immuable, immobile,
Du plateau central de notre île
Ton sommet auguste et tranquille
Se dresse, embrassant l’horizon ;
Un hiver éternel y siège,
Et tes flancs que la nue assiège,
Se couvrent de glace et de neige,
A jamais chauves de gazon.

L’œil qui du sein des mers profondes
Contemple ta mâle beauté,
Sur la verte fille des ondes
Aime ta farouche âpreté.
Tu sembles, dans le vide immense,
Du vent léger qui se balance,
Ou de l’ouragan qui s’élance,
Écouter le bruit dans les cieux,
Et, comme un aïeul solitaire,
Sur l’océan et sur la terre
Fixant un regard centenaire,
Veiller, penseur silencieux.

Quand le soleil s’éteint et que l’ombre est venue,
Quand la lune se lève au-dessus de la nue,
La mer autour de toi roule, mouvant miroir ;
Des cieux l’astre des nuits blanchit les vastes dômes,
Et tu vois les vaisseaux, comme de blancs fantômes,
Glisser à l’horizon dans les vapeurs du soir.

Et le hardi pêcheur dont la barque rapide
Bondit légèrement sur la nappe limpide,
Et l’oiseau que la nuit a surpris sur les mers,
Voyant bleuir au ciel ta forme aérienne,
Orientant leur vol sur ta cime lointaine,
S’avancent au roulis berceur des flots amers.

Et ton front d’un azur intense,
Aux clartés de l’astre songeur,
Apparaît plus sombre à distance
A l’œil pensif du voyageur.
Il voit l’essaim des paille-en-queue,
Qui font d’un coup d’aile une lieue,
Tachant de blanc la voûte bleue,
Regagner l’île aux verts îlots.
Et ta masse antique et profonde,
Qu’une clarté d’opale inonde,
Semble le noir spectre de l’onde
Debout sur l’abîme des flots.

Ah ! devant ton profil austère
Combien de siècles ont passé !
Sur ton granit que rien n’altère
Le pas du temps s’est effacé.
Que de jours de calme et d’orage,
Et de trombe et d’ardent mirage,
Et de tourmente et de naufrage,
Pour ton œil séculaire ont lui !
Tempête, ombre, aquilon, lumière,
Tout rentra dans la nuit première ;
Mais toi, dans ta stature altière,
Tu fus alors comme aujourd’hui.

Alors comme aujourd’hui les rougeurs de l’aurore,
Et la pourpre des soirs que l’ombre décolore,
Sur ta tête de neige ont répandu leurs feux ;
Et quand l’aube ou la nuit vint sourire à la terre,
Dans le vide étoilé tu brillas solitaire,
Comme un phare aux reflets doux et mystérieux.

Alors comme aujourd’hui de tes rochers arides
Tu versas dans nos bois la nappe aux eaux limpides ;
Et défiant toujours le vent dévastateur,
Et drapant tes flancs nus du manteau des nuages,
Adamastor des monts et trônant sur les âges,
Tu levas dans les cieux ton front dominateur.

O colosses de la nature,
Pics d’inaccessible hauteur,
Dont l’inébranlable structure
Brave l’ouragan destructeur !
Blocs altiers, masse indéfinie,
Gouffres, chaos, dés harmonie,
Que la main d’un fatal génie
Sema dans ces lieux écartés ;
Gerbes d’éclairs, sombres nuages,
Nids fulgurants d’où les orages
S’élancent en éclats sauvages
Au sein des monts épouvantés ;

Torrent, gouffre, océan, tempête,
Emportez-moi dans vos terreurs,
Car j’aime à sentir sur ma tête
Passer le vent de vos fureurs !
J’aime à contempler vos abîmes,
A mesurer vos hautes cimes,
A suivre vos houles sublimes,
A me remplir de votre effroi !
Au vent, à l’éclair, à la flamme
Je veux, je veux mêler mon âme !
Mon âme en tes grandeurs t’acclame,
O nature ! et grandit en moi.

(Les Salaziennes, XXV)

 


Les écrits d’Auguste Lacaussade en tant que source de l’Histoire
(d’après l’article de Carole Grosset sur le même sujet, in : Prosper Ève, 2006, p. 91-113)

Cf. aussi Martine Balard, « Les poèmes nationaux d’Auguste Lacaussade : de l’expression du patriotisme à la naissance du nationalisme », in : Prosper Ève, Auguste Lacaussade (1815-1897). Le fils d’une affranchie d’avant 1848 et d’un noble de Guyenne. Chantre de l’interculturalité et de l’interdisciplinarité. Actes des Deuxièmes Journées d’études organisées par la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines les 2 et 3 mai 2005, Océan Editions, Saint-André, 2002, p. 185-208. Pour étudier « La Révolution de février 1848 vue par Auguste Lacaussade », cf. l’article au même titre de Prosper Ève, p. 395-423. Cf. également Ponnau Gwenaël, « Lacaussade, poète de son temps, op. cit., 2005, p. 173-183 et Yvan Combeau, « Lacaussade et les commissaires de la République. Le temps du printemps 1848, op. cit., 2005, p. 223-232. Cf. également Prosper Ève, « A.L. et les réalités économiques de son temps, 2006, p. 135-153 ; J.F. Géraud : « Inventer la patrie », in : P.E. 2006, p. 235-251 ; Yvon Combeau, « Le Paris de Lacaussade », op.cit. de P.È, 2006, p. 215-233.


Dulce et decorum est pro patria mori. Horace


« (…) si les poèmes d’Auguste Lacaussade peuvent servir de source de l’histoire il n’est possible que de répondre : OUI ! » Le poète de l’exotisme tropical ne peut être l’apanage des seuls professeurs de littérature. « Lire Auguste Lacaussade, ce n’est pas lire pour lire, mais c’est partir à la découverte d’une époque avec ses travers comme l’esclavage, les abus des colons….partager les moments politiques les plus importants de ce XIXe siècle, décrits par ce fervent républicain, dont l’appel à la résistance n’est pas sans rappeler un certain 18 juin. Lire Auguste Lacuassade c’ewst prendre le chemin de l’histoire avec la poésie comme moter de découverte. » (p.110-111)

Louis-Napoléon enfante la Seconde République (1849-1851)

Lacaussade conteste le coup d’État de Louis Napoléon le 2 décembre 1851 et l’avènement du deuxième Empire le 2 décembre 1852, exactement 48 ans après le sacre de Napoléon Ier à Paris en 1804.  Lacaussade laisse éclater sa colère dans la Xe strophe du « Poète et la vie » en condamnant le meurtre de la République par Louis-Napoléon qui l’a enfanté trois ans plus tôt.

D’autres temps sont venus. Un bandit taciturne
A mis le sceau dans l’ombre à sa gloire nocturne.
La liberté frappée, un parlement détruit,
Et le pouvoir volé, sont l’oeuvre d’une nuit.
Et pour mieux assurer ce vol à main armée,
D’or, de vin et de sang il a soûlé l’armée...
Au jour de ton triomphe, ô mère! ô liberté!
De la nuit du néant tu l’as ressuscité;
Et parricide ingrat, ce fourbe éclos d’un crime,
Nouveau Macbeth, au lit égorge sa victime,
Et dit -du meurtre encor les bras tout ruisselants -
Qu’elle est morte frappée au cœur par ses enfants!

Lacaussade s’insurge de la foule dont le plébiscite est favorable à Louis-Napoléon le 21 décembre 1852

Et la foule -ô stupeur! ô tourbe misérable! -
L’applaudit et l’absout de ce meurtre exécrable,
Et dans l’infâme auteur d’un infâme attentat,
Inepte, elle sait voir le sauveur de l’État...
Et quand chacun sous lui se tait courbant la tête,
Qui se redresse encore et le juge? Un poète!
Tant qu’à la République un seul souffle est resté,
Du glaive et de la voix le poète a lutté.
(Insania, Le poète et la vie, X, 1862)

Le poète est persuadé que l’Empire est voué à la perte et ne sera que transitoire. Il ne peut qu’espérer des jours meilleurs.

Certes, le Mal est grand, il est puissant, il règne,
Des pouvoirs de la terre il n’est plus rien qu’il craigne;
Le monde est son complice, et, roi prédestiné,
Trône, au nom de Satan, Claudius couronné.
Mais, si puissant qu’il soit, son règne est transitoire;
À l’Invisible, un jour, reviendra la victoire!
Songez au Dieu caché, toujours lent à punir,
Mais dont le pied tardif à la fin va venir!
(Insania, Le poète et la vie, XII, 1862)


La défaite de la France face à la Prusse : la fin du Second Empire


La chute de l’Empire désirée par le poète survient 19 ans plus tard. Le 21 juillet, suite à l’affaire de la dépêche d’Ems, Napoléon III déclare la guerre à la Prusse dont l’armée va rassembler 500.000 Allemands face à 265 000 Français entre la Sarre et le Rhin. Mais la supériorité n’est pas que numérique. Bien quel le chassepot, fusil français, soit meilleur que le fusil allemand, le canon allemand, le krupp, et les batteries prussiennes de gros calibres sont meilleurs que les armes françaises, notamment pour bombarder la ville.

Dix contre un, ils s’en vont dévastant nos campagnes;
La bombe incendiaire éventre la maison;
Des plaines aux cités, des hameaux aux montagnes,
Leur sinistre passage empourpre l’horizon.

Sus aux envahisseurs! Sus aux hommes de proie!
La guerre des buissons! la guerre des taillis!
Traquons-les! plongeons-nous dans l’implacable joie
De tuer pour sauver ou venger son pays!

Jeunes et vieux, debout pour la lutte des braves!
Femmes, les Huns verront que vos seins, que vos flancs
N’ont point porté, n’ont point allaité des esclaves!
Loups de la Gaule, à vous leurs cadavres sanglants!

Que veulent-ils? Détruire, exterminer la race
Des Latins, démembrer le pays des aïeux
Et, joignant le cynisme à la haine vorace,
Assassiner un peuple à la face des cieux!

Frapper Paris! éteindre un des flambeaux du monde!
Décapiter la France! ô rêve monstrueux!
Voilà ce que l’Europe, en sa stupeur profonde,
Souffrirait... sans bondir et se ruer contre eux!
(Poèmes Nationaux, Cri de guerre)


La France ne tarde de capituler. Le 1er septembre 1870 l’armée francaise et Napoléon III doivent capituler à Sedan.

Berceau de Jeanne d’Arc, valeureuse Lorraine,
Alsace, Laon, Strasbourg, en décombre changés,
Pays qui n’êtes plus qu’une fumante arène,
La France se relève et vous serez vengés!

Après vingt ans, la France, asservie et flétrie,
A reconquis son âme avec sa liberté!
Elle s’apprête au grand combat de la patrie:
Elle y retrouvera la gloire et sa fierté!

Dans « Une Victime de Sedan » Lacaussade pleure son ami d’enfance, Hyacinthe Rolland, mort sur le champ de bataille

Tu dors sous la terre étrangère,
Frappé par l’obus ennemi,
De mon enfance toi le frère,
De ma jeunesse toi l’ami!

Soldat au coeur stoïque et brave,
Voyant nos foyers envahis,
Quand vint ton heure, calme et grave,
Tu sus mourir pour ton pays.
(…)

Ainsi, le soir d’une bataille,
Tu m’écrivais. Le lendemain,
Tombant sur un lit de mitraille,
Tu t’affaissais, l’épée en main;

Et couché dans ta froide bière,
Pour toujours tu t’es endormi,
Toi qui par le coeur fus mon frère!
Toi de ma jeunesse l’ami!

II

O guerre, exécrable furie,
Sois maudite sur son cercueil!
De mon frère et de ma patrie
Je porte au coeur le double deuil!
(…)

Et, soldat au devoir fidèle,
Quand vint son jour, vaillant martyr,
Comme le héros, son modèle,
Pour son pays il sut mourir.


La capitulation qui marque la fin du régime impérial est signée au château de Bellevue et l’empereur est interné près de Kassel en Allemagne jusqu’en mars 1871. Le 4 septembre, sur les marches du Palais Bourbon, Gambetta, annonce la déchéance de l’empereur et l’avenir de la République. Un Gouvernement de la défense nationale est formé. Lacaussade est satisfait de la tournure des événements. Contrairement à la Province, Paris est moins enclin à engager un compromis avec la Prusse et les Parisiens sont convaincus que le nouveau gouvernement est en mesure de délivrer la France des Prussiens. Gambetta mobilise tous les jeunes Français pour résister aux Prussiens.

Après vingt ans, la France, asservie et flétrie,
A reconquis son âme avec sa liberté !
Elle s’apprête au grand combat de la patrie :
Elle y retrouvera la gloire et sa fierté !
(…)
Il est souillé, le sol sacré de la patrie !
Nos cités, nos moissons, nos champs sont saccagés ;
Les toits fument ! Debout pour la sainte tuerie !
Frappez ! fauchez ! hachez ! des deux mains égorgez !

Ils descendent du nord, Vandales d’un autre âge,
Semant partout le meurtre et le crime et le vol.
De la terre des Franks ils rêvent le partage :
Purgeons de leur présence et vengeons notre sol !

Derrière et devant eux, brûlez ! faites le vide !
Enfermons ces bandits dans un désert sans fin !
La flamme et la famine à cette horde avide !
Que tous, hommes, chevaux, que tous crèvent de faim !

Ils sont venus, eh bien ! qu’ils restent ! Terre altière,
France, ouvre-toi sous eux et te referme après !
Qu’il n’en sorte pas un vivant de ta frontière !
Notre vieux sol gaulois avait besoin d’engrais.
(…)
Jeunes et vieux, debout pour la lutte des braves !
Femmes, les Huns verront que vos seins, que vos flancs
N’ont point porté, n’ont point allaité des esclaves !
Loups de la Gaule, à vous leurs cadavres sanglants !

Que veulent-ils ? Détruire, exterminer la race
Des Latins, démembrer le pays des aïeux
Et, joignant le cynisme à la haine vorace,
Assassiner un peuple à la face des cieux !

Frapper Paris ! éteindre un des flambeaux du monde !
Décapiter la France ! ô rêve monstrueux !
Voilà ce que l’Europe, en sa stupeur profonde,
Souffrirait... sans bondir et se ruer contre eux !
(…)
Contre la barbarie épousez sa bannière !
Prenez place en nos rangs ! guerre au dévastateur !
Vous êtes le Progrès, les Arts et la Lumière,
Soyez aussi le Droit au fer libérateur !
(…)
Donc, du nord au midi, de l’est à l’ouest, aux armes !
Entendez-vous ce cri : « La Patrie en danger ! »
A nos frères tombés donnons d’abord des larmes ;
Puis, tous debout ! et face et mort à l’étranger !

Des plages de Marseille aux mers de la Bretagne,
De Lyon, de Bordeaux, de toutes nos cités,
Venez ! venez du bourg, du bois, de la montagne,
De partout, et vengez vos foyers insultés !

Paysan, prends ta faux ! bûcheron, prends ta hache !
Enfant, arme ton bras des pierres du chemin !
Eh ! qui de nous voudrait, à jamais traître et lâche,
Subir l’âpre conquête et le joug du Germain ?
(Cri de guerre)


Paris refuse les exigences de Bismarck et la capitale est encerclée à partir du 19 septembre. Le 7 octobre Gambetta s’échappe en ballon afin d’organiser la défense nationale depuis Tour où il réussit à mettre sur pied une armée de 600 000 hommes et de réunir 1 400 canons. Parmi les républicains enflammés se trouve Victor Hugo est sans doute aussi Auguste Lacaussade qui vit à Paris et se trouve au cœur des événements. Dans  « Le Siège de Paris » il s’écrie avec le pathos d’une situation dramatique en ces termes :


De toute part cernée ! une triple ceinture
          De sang, et de flamme, et de fer,
T’enveloppe et te voue à l’atroce torture
          Que Dante évoque en son enfer.
(…)
Les yeux perdus à l’horizon,
Tu songes... Ta pensée indomptable et fervente
          S’évadera de ta prison.
Elle ira, du Teuton trompant la lourde veille,
          Elle ira du vol de l’éclair,
Sur un nef ailée, intrépide merveille,
          Ouvrir sa route aux champs de l’air.
Le ciel du moins est libre ! Allez à la pleine ailes,
          Ballons et ramiers messagers,
Allez ! et que la France ait par vous des nouvelles
          De la ville aux fiers assiégés...
(Le siège de Paris, XIII)

Paris n’est pas seulement menacé par l’invasion des Allemands, mais aussi par la famine. Les Parisiens affamés mangent de tout, chiens, rats et même les éléphants du Jardin des Plantes. Les rats sont vendus jusqu’à deux franc la pièce.

Ceux que ne peut dompter la force, on les affame :
          Le grand de Molke a tout prévu.
S’embusquant à distance, errant sur les bruines,
          Coupant tes ponts et tes chemins,
T’isolant sur ton fleuve au pied de tes collines,
          Paris, la horde des Germains
T’entoure ; et, vils chacals guettant de loin leur proie,
          Mais sur elle n’osant bondir,
Trois cent mille, ils sont là, cuvant l’ignoble joie
          De voir leur victime pâlir
Sous l’étreinte de fer de sa suprême épreuve !...
          Basse et savante atrocité !
La famine en tes flancs, l’âpre hiver sur ton fleuve,
          Sans pain, sans feu, sainte Cité,
Le siège de Paris, IV


Sous les assauts des bombardements allemands la capitale ressemble à une gigantesque tome, et Lacaussade donne une description apocalyptique du siège de Paris.


Adieu, palais ! adieu jardins aux beaux feuillages !
          Parcs ombreux, séjours fortunés,
Vous, du moins, par le Hun alléché de pillages,
          Vous ne serez point profanés !
Écroulez-vous, châteaux ! brûlez, champs magnifiques !
          Vallons, délices de l’été,
Fraîches villas, brûlez ! tombez, bois pacifiques,
          Pour le salut de la cité !
Et sur la glèbe nue, ô Paris ! tu te dresses
          Sublime, au loin versant l’effroi.
Qu’il vienne, l’agresseur convoitant tes richesses,
          Le vide est fait autour de toi.
Et poursuivant ton œuvre, — œuvre religieuse, —
          Tout sacrifice t’est léger ;
Le siège de Paris, IIII


Le 28 janvier 1871, l’armistice de Versailles est signé et le 1er mars les Prussiens entrent dans Paris, mais tout comme Victor Hugo, Lacaussade s’exprime avec des allures prophétiques
:

Un jour il te rendra cette rançon royale
          Et tout le sang qu’il t’aura bu !
Laisse venir le jour des complètes revanches,
          Jour vengeur de l’iniquité !
A l’arbre mutilé reverdiront ses branches :
          Tu referas ton unité.
Le siège de Paris, XIX

Mise à jour le Jeudi, 03 Octobre 2013 16:23