Gaël Faye: A-France (2013) (B2)

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  Gaël Faye A-France

Rap. Le chanteur, né au Burundi et forcé à l’exil à 13 ans, a quitté la City pour vivre de la musique. Il livre «Pili-pili sur croissant-beurre», un premier album hanté par ses origines métissées.
Une silhouette élancée, un métissage franco-rwandais, une plume portée par un flow incisif. Gaël Faye chante l’exil, l’intégration, l’amour.
  
Thèmes : le déracinement, les identités plurielles
Fiche pédagogique, Cavilam, Génération Française 9, Chanson 17, Gael Faye, A-France, PDF, 6 p.; Word, 8 p.
 
 
 
A-France
Mon arrivée en France y’a bien longtemps
Depuis que j’crois plus en l’ONU, depuis que j’crois plus en l’OTAN
Maintenant j’ai vingt ans et quelques poussières
Et j’repense à l’Afrique où nous étions encore hier
On a grandi là-bas au bord du lac Tanganyika
Et moi je supporte ici tant qu’là bas y’aura mes gars
Eh J-NO, Iris, Fabrice et les autres
Des potes comme vous j’vous assure j’en ai pas retrouvé d’autres
Et puis y’a eu Paris, maintenant j’l’appelle « Panam »
La pollution, les épiciers berbères et leurs mauvaises bananes
Ici c’est grecs, mac do, la pluie, le froid, les flaques d’eau
Métro boulot dodo, la place Vendôme et les clodos
Mais j’m’habitue, j’aime mes baskets et mon bitume
Et comme j’veux faire fortune, au mois d’août j’me fais des thunes
J’suis solitaire et des fois je sors la plume
J’suis pas rappeur, juste un virevolteur de mots pleins d’amertume
 
Mon père chasse le croco, ma mère met du lait d’coco
Ici je suis franco-rwandais j’vais pas vous faire un topo
J’ai quitté le pays et sa situation sinistre
J’m’étais promis qu’un jour je deviendrai ministre
Mais j’ai grandi, j’ai pas d’plan pour le Burundi
J’continue d’espérer, les frères c’est pas ce qu’on avait dit ?
J’ai revu Buja, elle a plus le même visage
C’est devenu une ville sage et tous les jeunes veulent un visa
Des fois j’me demande si j’ai un devoir envers l’Afrique
J’pourrais fermer les yeux, une femme des gosses et garder mon fric
Problème existentiel de nos délires névrotiques
De ma vision romantique, j’veux faire naître un nouveau type
Car j’fais partie de cette diaspora de cette jeunesse
Qui a quitté le pays pour faire recette
Mais j’men rends compte, qu’on est trop con
Qu’on gâche nos vies et que l’Europe devient notre cocon
 
Tu te rappelles nos grands-pères aimaient leur terre et leur bétail
Et nous les fils on se perd dans les guerres et les batailles
Ma mémoire se paralyse, et ma peine se cautérise
Des machettes qu’on aiguise, de tous nos morts dans nos églises
J’oublie pas que l’exil c’est comme une porte d’exit
Je crie mes origines car c’est comme ça que j’existe
Trop de larmes ont coulé, beaucoup de textes j’ai gribouillé
Maintenant je regarde le soleil sur le lac d’une plage de Kibuye
Petite sœur tu prends la ligne pour les milles collines
Embrasses bien les cousins, embrasses bien les cousines
Et puis embrasses aussi la grand-mère à Butare
Dis lui que chaque année que je passe loin d’elle me rend plus taré
Et si tu prends le bus Vénus pour Bujumbura
Fais gaffe à toi, aux embuscades à Bugarama
Embrasse papa qui est resté au pays
Dis lui qu’en France je ne grandis plus, dis lui que je vieillis
 
 
Refrain
 
L’AFRANCE est l’asile, l’absence et l’exil
Souffrance mais par pudeur faut pas que je l’exhibe
Je vis loin des mes rêves, de mes espoirs, de mes espérances
C’est ça qui me tue d’être écartelé entre Afrique et France
 
Pour aller plus loin:
 
 
 
JE PARS
 
 
Je pars, ma vie est trop maussade
Je pars j’ai laissé une feuille incrustée de mots sales
Je pars laissez-moi donc ma douleur
Je pars pour un monde fait de lumière et de couleurs
Je pars, j’ai déjà fait mes valises
Je pars car nos modes de vies d’ici me scandalisent
Je pars car le ciel est bas et gris
Les vieux n’ont plus d’sagesse, ils sont racistes et aigris
Je pars, je m’envole vers le rire des enfants
Je pars même s’ils m’en veulent j’ai trop souffert dans mes tourments
Je pars la vie m’transperce de part en part
Je pars car faut être fort et j’ai perdu mes remparts
Je pars, y’aura ni promesses ni nouvelles
Je pars, fallait du cran, j’ai activé la manivelle
Par un beau matin je pars je laisse le flambeau
Je trouverai mon Abyssinie, moi l’Arthur Rimbaud
J’veux juste un chapeau de paille, une plage et un transat
Oublier les charters, les aéroports dans lesquels on transite
J’veux des nuits douces au ciel étoilé, scruter la galaxie
Ici y’a pas d’laxisme, on bosse jusqu’à la cataplexie
J’veux manger du riz au curry et des mangues juteuses
J’veux pas d’leur vache folle qui rit à la fièvre aphteuse
Et puis ce soleil qui tannerait ma peau luisante sous la pommade
Ici on m’appelle « Negro », y’a pas d’place pour nos peaux mates
J’veux qu’mes pommettes, mes zygomatiques s’échauffent toute l’année
L’ami ! Les choses qu’ils promettent ? Être condamné à glaner
Sur sample de guitare sèche, j’veux des gens simples et des sourires
Ici c’est rare qu’on nous supporte, qu’on ouvre les portes et les serrures
Alors viens, rentre dans mon monde
Viens retrouver colombe mon cœur mort sous les décombres
Embrassez-moi, je suis pour l’amour et la paix
Le 28 août à DC j’ai fait le rêve de l’appel
La peine ma vrai nature, je vis avec
Comme l’orphelin du monde, l’enfant seul, le reste avec
J’vis dans ces rues tristes, le matin hivernal
J’suis enfermé dans l’enfer et pour moi c’est infernal
Amenez la joie dans mes ténèbres, apocalypse de mes tourments
J’ai l’impression d’être au tournant que les personnes autour me mentent
Venez mourir ! Comme les vagues de la plage
Venez donc lire, le vague à l’âme de mes pages
Les palmiers sont courbés comme des vieillards
Les bords de mer sont devenus de tristes dépotoirs
L’érosion a mis à nu les mornes à rhum
L’Abyssin a condamné tous les chemins qui mènent à Rome
Ma musique s’exprime comme une sodade
Les notes et les mots se mettent debout comme des soldats !
Je pars, parti pour la vie
Je pars, viens avec moi si t’as envie
Je pars pour la saison des pluies
Je pars, hier demain et aujourd’hui
Je pars, parti pour la vie
Je pars, viens avec moi si t’as envie
Je pars, pour un rayon d’ombre
VIENS RETROUVER COLOMBE MON COEUR MORT SOUS LES DECOMBRES
 
 

 
 PETIT PAYS
 
Gahugu gatoyi: Petit pays
Gahugu kaniniya: Grand pays
Warapfunywe ntiwapfuye: Tu as été froissé mais tu n’es pas mort
Waragowe ntiwagoka: Tu as souffert, mais la souffrance ne t’a pas abattu
Une feuille et un stylo apaisent mes délires d’insomniaque
Loin dans mon exil petit pays d’Afrique des Grands Lacs
Remémorer ma vie naguère avant la guerre
Trimant pour me rappeler mes sensations sans rapatriement
Petit pays je t’envoie cette carte postale
Ma rose mon pétale, mon cristal, ma terre natale
Ça fait longtemps les jardins de bougainvilliers
Souvenirs renfermés dans la poussière d’un bouquin plié
Sous le soleil les toits de tôles scintillent
Les paysans défrichent la terre en mettant le feu sur des brindilles
Voyez mon existence avait bien commencé
J’aimerais recommencer depuis le début, ouais tu sais comment c’est !
Et nous voilà perdus dans les rues de Saint Denis
Avant qu’on soit sénile on ira vivre à Gisenyi
On fera trembler le sol comme les grondements de nos volcans
Alors petit pays, loin de la guerre on s’envole quand ?
Petit bout d’Afrique perché en altitude
Je doute de mes amours tu resteras ma certitude
Réputation recouverte d’un linceul
Petit pays pendant trois mois tout le monde t’a laissé seul
J’avoue j’ai plaidé coupable de vous haïr
Quand tous les projecteurs étaient tournés vers le Zaïre
Il fallait reconstruire mon petit pays sur des ossements
Des fosses communes et tous nos cauchemars incessants
Petit pays te faire sourire sera ma rédemption
Je t’offrirais ma vie à commencer par cette chanson
L’écriture m’a soigné quand je partais en vrille
Seulement laisse-moi pleurer quand arrivera ce maudit mois d’avril
Tu m’as appris le pardon pour que je fasse peau neuve
Petit pays dans l’ombre le diable continue ses manœuvres
Mais tu veux vivre malgré les cauchemars qui te hantent
Je suis semence d’exil d’un résidu d’étoiles filante
Un soir d’amertume, entre le suicide et le meurtre
J’ai gribouillé ces quelques phrases de la pointe neutre de mon feutre
J’ai passé l’âge des pamphlets quand on s’encanaille
Je ne connais que l’amour et la crainte que celui-ci s’en aille
J’ai rêvé trop longtemps de silence et d’aurore boréale
A force d’être trop sage je me suis pendu avec mon auréole
J’ai gribouillé des textes pour m’expliquer mes peines
Bujumbura, tu es ma luciole dans mon errance européenne
Je suis né y’a longtemps un mois d’août
Et depuis dans ma tête c’est tous les jours la saison des doutes
Je me navre et je cherche un havre de paix
Quand l’Afrique se transforme en cadavre
Les époques ça meurt comme les amours
J’ai plus de sommeil et je veille comme un zamu
Laissez-moi vivre, parole de misanthrope
Citez m’en un seul de rêve qui soit allé jusqu’au bout du sien propre.
 
 
 
 
 
 

 
 
 
 
 

 

Mise à jour le Dimanche, 15 Février 2015 18:26