La vague révolutionnaire du printemps arabe
[http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Info_box_collage_for_mena_Arabic_protests.png]
De gauche à droite et de haut en bas : manifestants le 9 février place Tahrir au Caire, Égypte ; manifestants le 14 janvier à Tunis, Tunisie ; manifestations à El Beïda le 22 juillet, Libye ; manifestations le 3 février à Sana'a, Yémen ; manifestations le 24 avril à Damas, Syrie; manifestions le 8 juillet à Karrana, Bahreïn.
Les slogans de la Révolution tunisienne
brandis à bout de bras, criés à tout vent
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En plus du fameux « DÉGAGE » trois autres slogans ont triomphé. Lisez-les à haute voix en exprimant votre indignation et analysez la portée des paroles.
a) « Le travail est un droit inaliénable, bande de voleurs »
b) « Non au despotisme au gouvernement de corrompus »
c) « Vivre de Pain et d’eau plutôt que de supporter encore Ben Ali »
D’autres slogans :
« Ministère de l’intérieur, administration terroriste »
« À bas le parti du Destour, à bas les bourreaux du peuple »
« Travail, Liberté, Justice sociale » ou « Travail, Liberté, Dignité »
« Non, Non aux "Trabelsi", pilleurs des deniers publics »
« Ni mandat renouvelé, ni héritage du pouvoir, nous sommes avec toi Bouzid »
« Le ministère de l’intèrieur est une administration de la terreur »
« A bas le bourreau du peuple, A bas le parti du destour »
« Non aux Trablesi qui pillent le budget! »
« Fidèles, fidèls au sang des martyrs »
« Tunisie, en remontant la révolution ».
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Regardez le reportage-BD « Tunisie, en remontant la révolution » de Patrick Chappatte paru dans le journal tunisien « Le Temps ».
En ligne : [http://www.globecartoon.com/bd/BDTunisie.html]
Editeur : Editions Glénat (Suisse) (23 novembre 2011). Collection : DIFFUSES
Afrique du Nord
Vague révolutionnaire
En Afrique du Nord, rien ne sera jamais plus comme avant. Le 14 janvier, après plusieurs semaines d’émeutes, le président Zine et-Abidine Ben Ali fuit le pays sous la pression de la rue. Son départ enflamme littéralement le monde arabe, et plus particulièrement les pays du nord du continent africain. Le 11 février, l’Égyptien Hosni Moubarak démissionne, lui aussi à la suite de manifestations en série. Le pouvoir est alors confié à l’armée, qui s’engage à mener la transition vers un régime démocratique.
Quelques jours plus tard, en Libye, le mouvement de protestation populaire suscité par les bouleversements politique dans les pays voisins vire à l’insurrection contre le colonel Kaddafi. Un Conseil national de transition (CNT), basé à Benghazi, se constitue, avec l’appui de la communauté internationale. Une résolution des Nations unies autorise le recours à la force contre le régime de Tripoli.
Enfin, les révolutions d’Afrique du Nord vont faire des émules au Moyen-Orient, où le Yémen, la Syrie, Bahreïn connaissent des soulèvements sans précédent.
L’état de l’Afrique, pays par pays. 53 États au crible. « Afrique du Nord ». Jeune Afrique, L’état de l’Afrique 2011, Hors-série, no. 27, p. 99 sqq.
- Complétez le tableau, puis commentez les données et expliquez les conséquences de la fuite du président tunisien pour le monde arabe.
pays | président | dates | ce qui s'est passé |
Tunisie
Paysage après la révolution
La révolution du 14 janvier est née de la somme des mécontentements de diverses catégories de Tunisiens. Celui de la Tunisie profonde qui n’a pas eu droit à sa part du gâteau de l’essor économique, celui des jeunes (40% de la population a moins de 25 ans) confrontés au chômage et à un avenir incertain, celui des entrepreneurs las de devoir composer avec la corruption du pouvoir et de ses alliés. Tous se sont sentis spoliés et instrumentalisés par un régime dont les promesses ne suffisaient plus à masquer les défaillances. Les Tunisiens, en mettant fin à vingt-trois ans de benalisme, se sont retrouvés, ont découvert la solidarité et voulu la démocratie.
La fronde remonte à 2008. Partie de revendications sociales et professionnelles, la révolte du bassin minier de Gafsa, violemment réprimée, a pris un tour politique contestataire qui a dévoilé les faiblesses du « système Ben Ali ». La révolution qui a triomphé le 14 janvier, c’est Gafsa à l’échelle du pays ; tous les ingrédients y sont réunis : chômage, précarité, corruption mise sur la touche des syndicats, incapacités des forces de l’ordre à contenir les manifestants. Le 17 décembre 2010, humilié et désespéré, Mohamed Bouazizi, un jeune diplômé devenu marchand ambulant faute d’emploi, s’immole par le feu pour protester contre une police vénale et des autorités indifférentes. Aussitôt, les jeunes des régions défavorisés du Centre-Ouest, soutenus par la société civile, se soulèvent.
« Tunisie », Jeune Afrique, L’état de l’Afrique 2011, Hors-série, no. 27, p. 109-110.
Fiche signalétique
Fiche de travail « Tunisie - Paysage après la révolution »
Sensibilisation au sujet
- Choisissez quelques éléments de la fiche signalétique et commentez-les à tour de rôle sous forme d’une activité en chaîne.
Travail autour du texte
- En binômes, décrivez la critique exprimée par les trois catégories sociales de Tunisiens en remplissant le tableau ci-dessous. Puis énumérez les ingrédients de la révolte, mentionnés dans le deuxième paragraphe pour élucider les « défaillances » du système. Exposition et commentaire des résultats en plenum.
catégorie sociale |
critique |
les ingrédients de la révolte |
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- Pourquoi les Tunisiens se sentent-ils instrumentalisés ?
- Que s’est-il passé lors de la fronde en 2008 ?
- Commentez la citation tirée du texte : « La révolution qui a triomphé le 14 janvier, c’est Gafsa à l’échelle du pays »
Production écrite
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Dressez le portrait de Mohamed Bouazizi en essayant d’expliquer les faits qui l’ont poussé à s’immoler par le feu.
Pour aller plus loin
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Deux apprenants font une recherche
a) révolte du bassin minier de Gafsa en 2008
b) sur « La Fronde » à l’époque de Louis XIV
- Quelles sont les données qui vous frappent tout particulièrement ? Comparez les données avec celles de l’Algérie et du Maroc – avec celles de votre pays.
Tahar Ben Jelloun, 2011 - Dans la tête de Ben Ali
« Il a fallu que cet imbécile se laisse emporter par la colère, mette le feu à ses habits, pour que moi, qui ai apporté la prospérité aux Tunisiens, je me retrouve aujourd’hui dans ce palais, seul, sans mes amis, sans mes jouets, sans rien ! Et puis ces télévisions du monde entier m’énervent, elles disent n’importe quoi. Ma tête est pleine de ces images où seuls la fawda, le désordre et la panique intéressent les journalistes. Révolution ? Pagaille, plutôt ! Ils vont tout casser dans ce beau pays ; au moins, moi, j’ai réussi à faire venir des millions de touristes, j’ai créé une classe moyenne, j’en ai fini avec les islamistes, J’ai travaillé pour rassurer les Occidentaux, et voilà que maintenant tout le monde me tourne le dos. L’être humain est ingrat. Je hais l’humanité. Je hais ce palais, cette climatisation excessive, ces boîtes de Kleenex avec leur couvercle doré, je hais ces paysages jaunes, blancs, et puis je n’aime pas leur nourriture. Mais là, je m’en fous, je n’ai plus faim, ce fils de pute de Bouazizi a foutou ma vie en l’air ! Ce pays a voulu le chaos, eh bien il l’a ; qu’il s’y complaise, il va déguster. C’est un peuple d’ingrats et de lâches ; quand ils venaient me voir pour solliciter un poste ou une intervention, ils étaient pliés en quatre ; aujourd’hui ils fanfaronnent ! Pauvres types ! Minables ! Me faire ça à moi, qui me suis sacrifié pour eux ! (…)
J’ai mal agi, j’ai été mal conseillé. Il aurait fallu se battre comme fait Kadhafi, en ce moment. Il est fou, mais il ne dépose pas les armes, il n’abdique pas.
Kadhafi a duré dix ans de plus que moi. Il s’est enrichi encore plus que moi et Mobarak réunis. Il tient tête au monde entier.
Tahar Ben Jelloun (2011) : L’étincelle. Révoltes dans les pays arabes. Paris : Gallimard, p. 25-27.
Micro-tâches
- De quoi Ben Ali accuse-t-il le peuple tunisien et la presse internationale ?
- Quels sont les mérites qu’il attribue à sa propre personne ?
- Démontrez la pitié de soi que Ben Ali affiche dans ce paragraphe et la colère qui en résulte.
- Que regrette-t-il ?
Pour contenir les effets du « printemps arabe », le président Abdelaziz Bouteflika a annoncé, le 15 avril 2011, qu’il œuvrera « à introduire des amendements législatifs et constitutionnelles en vue de renforcer la démocratie représentative » en Algérie : au programme notamment, une nouvelle loi électorale et la dépénalisation des actuels « délits de presse ». Autre signe qui ne trompe pas : l’état d’urgence, en vigueur depuis le 9 février 1992, a été abrogé par ordonnance présidentielle le 24 février. (…)
Il est vrai que l’Algérie a les moyens de sa politique, arborant une santé financière plus insolente que jamais. Une dette extérieure apurée, une croissance de 3,8% en 2010, 155 milliards de dollars (109 milliards d’euros) de réserves de change et un fonds de régulation des recettes doté de 63,8 milliards de dollars en fin d‘année… Des chiffres qui donnent le tournis. Et l’avenir semble dégagé : pour 2011, le Fonds monétaire international (FMI) prévoit un taux de croissance de 4%. (…)
Agitation sociale. Devant tant de milliards dépensés, certains commencent à demander des comptes. … D’autant que des scandales de corruption éclaboussent ministères et entreprises.
« Algérie », Jeune Afrique, L’état de l’Afrique 2011, Hors-série, no. 27, p. 100-101.
Fiche signalétique
Remplissez les tableaux ci-dessous, puis exposez les résultats en plenum
Les amendements annoncés par le président Abdelaziz Bouteflika |
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Les chiffres qui illustrent la santé économique du pays |
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Discussion
- Pourquoi le président algérien propose-t-il des amendements ? Pensez-vous que ces déclarations sont sincères ?
- Comment expliquez-vous le clivage entre la pauvreté d’une large partie de la population et la bonne croissance économique du pays ?
- Selon votre avis, quels sont les problèmes cachés et occultés qui, une fois dévoilés, pourraient animer l’agitation sociale ?
Les défis d’une société rentière
De façon surprenante, l’Algérie n’a pas été touchée par les mouvements du « printemps arabe ». Nadji Safir nous donne les clés politiques, sociales et économiques pour comprendre ce paradoxe.
L’Histoire : Pourquoi le « printemps arabe » semble-t-il avoir contourné l’Algérie ?
Nadji Safir : Pour trois raisons majeures. La première tient au passé récent. L’Algérie a subi un traumatisme dans les années 1990 en raison d’un terrorisme d’une violence exceptionnelle qui a causé la mort de dizaines de milliers de victimes. Les Algériens ont aujourd’hui peur des risques liés à un processus de changement violent. Un des signes patents en est le faible succès des appels à manifester au cours de l’année 2011.
La deuxième est que l’Algérie connaît une grande partie des avancées démocratiques réclamées par les contestataires des autres pays : un multipartisme, au moins formel, et une relative liberté de la presse écrite, même si la télévision et la radio sont encore un monopole d’État. Ces avancées sont per}us positivement par l’opinion publique.
La troisième tient à l’utilisation par le pouvoir des ressources financières considérables liées à la rente pétrolière pour satisfaire les différentes revendications populaires et acheter la paix sociale.
[Les Collections de L’Histoire : L’Algérie et les Algériens. Des royaumes berbères à l’indépendance. Trimestriel Avril 2012, No 55, p. 88.]
Maroc
Réforme constitutionnelle en vue
(…) En effet, le royaume n’est pas resté indifférent aux révolutions arabes, qui se sont propagées à partir de Tunis et du Caire jusqu’au Moyen-Orient. Aussi le monarque chérifien a-t-il choisit de prendre les devants. Le 9 mars, dans un discours à la nation, Mohammed VI a ouvertement répondu aux revendications politiques et sociales de plus en plus vives au sein de la population. Renforcement de rôle du Premier ministre, élargissement des libertés individuelles, indépendance de la justice4, reconnaissance de la composante amazighe du Maroc… Le roi a annoncé d’importantes réformes constitutionnelles et démocratiques, qui seront soumise à « un référendum populaire ».
« Maroc », Jeune Afrique, L’état de l’Afrique 2011, Hors-série, no. 27, p. 106-107.
Fiche signalétique
- Quels amendements le roi du Maroc a proposé à la population ? Quelles sont ses craintes et espérances ?
Vagues d'immolations par le feu
- Décrivez et commentez les images ci-dessous.
La fin de l’ère Ben Ali
Que s’est-il passé en ces journées folles de décembre et janvier ? Qui a mis le feu aux poudres ? (…)
Face à cette colère, excessive, irraisonnée et violente, dont ce pays maghrébin a été le théâtre, il faut en effet une forte dose d’hypocrisie ou d’autoaveuglement pour feindre l’étonnement ou la surprise. Car des signes avant-coureurs étaient là, qui n’ont malheureusement pas été suffisamment pris au sérieux, ni par le pouvoir en place, ni par ses partenaires et bailleurs de fonds étrangers. (…)
La crise économique ayant commencé à peser lourdement sur la bourse des classes pauvres et moyennes, confrontées à une intenable escalade des prix, l’atmosphère sociale s’alourdissait, sur fond de blocage politique et de mutisme médiatique.
Il n’en fallait pas plus pour que les souffrances longtemps tues s’expriment enfin. Et elles l’ont fait d’une manière inattendue, le 17 décembre (…)
Ce jour-là, un jeune homme de 26 ans, Mohamed Bouazizi, vendeur de légumes ambulant, s’est immolé par le feu, en pleine rue, pour protester contre l’autisme des autorités régionales, indifférents à ses plaintes, et qui l’ont empêché d’exercer une activité dont il fait vivre toute sa famille : des parents sans ressources et des frères et sœurs au chômage.
Ce geste de désespoir a été l’étincelle qui a déclenché un mouvement de protestation spontané qui, de Sidi Bouzid, a gagné d’autres villes de la région, et bientôt tout le pays, dans un élan de solidarité nationale avec les habitants de la ville insurgée. (…)
La Tunisie libre et démocratique est en train de sortir du magma encore en ébullition des révoltes populaires.
Belle illustration des vers du poète national tunisien Aboulkacem Chebbi, contenu dans l’hymne national repris en chœur par les manifestants :
« Si le peuple, un jour, veut vivre
Le destin ne pourra que répondre
A son attente
Le matin succédera nécessairement
à la nuit
Et les chaînes se briseront inéluctablement ».
Ridha Kéfi, « La fin de l’ère Ben Ali », Éditorial, Africain Business. Le magazine des dirigeants africains, no. 14, Dossier Maghreb, février/ mars 2011, p. 4-7.
Autour du texte
- Analysez l’énoncé « Face à cette colère …. il faut en effet une forte dose d’hypocrisie ou d’auto aveuglement pour feindre l’étonnement ou la surprise »
- Enumérez et élucidez au moins cinq « signes avant-coureurs » de la crise.
- Dressez le portrait de Mohamed Bouazizi et essayez d’expliquer son suicide.
- Analysez les vers de l’hymne national tunisien.
« Ben Ali, dégage ! dégage ! »
De la première manifestation anti-Ben Ali à l'annonce de son départ, retour sur cette journée où le pays a basculé. 10 HEURES « Ben Ali, dégage ! » Ils n'ont pas attendu longtemps pour prendre le président au mot. Hier matin, l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) avait maintenu son appel à une grève de deux heures. Les manifestants utilisent le tout nouveau droit à la « liberté d'expression » annoncé la veille par le chef de l'Etat. Dès 10 heures, une foule compacte emprunte l'avenue Bourguiba, la principale artère de Tunis, cette même allée où la veille au soir les partisans du chef de l'Etat avaient fêté son discours et l'annonce d'une série de concessions. « Cette manifestation-là n'avait rien de spontané. Ce n'étaient que des membres du parti présidentiel. Certains ont été payés pour venir, accuse Tarek. Mais ce matin, c'est le peuple qui descend dans la rue », poursuit cet universitaire au cœur d'une foule d'environ 10000 personnes. Autant de Tunisiens qui n'en reviennent pas d'être là et de pouvoir hurler « Ben Ali, dégage ! » ou « Tunisie libre, Ben Ali dehors ». « Hier encore (NDLR : avant-hier), ça nous semblait inimaginable », souffle Nadia, 28 ans. Depuis son avènement en 1987, c'est la première fois qu'une manifestation hostile au chef de l'Etat se déroule dans la rue. « Il faut en profiter, c'est aussi rare qu'une éclipse », s'amuse un homme. Entonnant l'hymne national tunisien, dans lequel il est question d'un « peuple qui arrache sa liberté », les manifestants sont déterminés. « Je ne crois plus à ses discours. Il a perdu toute crédibilité, ça fait vingt-quatre ans qu'on le supporte, enrage Fedia, une étudiante de 22 ans. On en a marre de la dictature et des Trabelsi (NDLR : la famille de son épouse) qui possèdent toutes les richesses du pays. » « Ben Ali doit être traduit devant la justice internationale », s'exclame Lazare, au pied d'une banderole « Ben Ali assassin » dressée entre deux arbres. « Dégage ! dégage ! » scandent les manifestants en pointant le doigt vers l'austère façade grise du ministère. 17 HEURES Etat d'urgence et couvre-feu. Dans les rues, les casseurs prennent le pouvoir. Des barricades enflammées s'érigent et des boutiques sont pillées. « Ces jeunes-là ne se battent pas pour la démocratie », se désespère un militant. Une bande d'excités saccage l'agence bancaire de la gare avant d'y mettre le feu. L'incendie se propage rapidement, tandis que les jets de grenades lacrymogènes se multiplient. A 17 heures, l'état d'urgence est annoncé. Tunis se vide, les dégâts sont nombreux. 18H45 Ben Ali c'est fini. L'information avait déjà filtré sur Internet et faisait le tour des réseaux sociaux, mais c'est désormais officiel : le président Ben Ali est en fuite. Le Premier ministre, Mohamed Ghannouchi, apparaît à la télévision. Debout face à un micro, il annonce qu'il occupe désormais les fonctions de président de la République et appelle « tous les enfants de Tunisie à l'unité pacifique ». Vingt-trois années de la vie politique tunisienne viennent de s'achever.
« Ben Ali, dégage ! dégage ! » Le Parisien [en ligne], 15 janvier 2011 : [http://www.leparisien.fr/une/ben-ali-degage-degage-15-01-2011-1228076.php]
Autour du texte
- Décrivez et analysez le déroulement de la journée du 14 janvier 2011 « ou le pays a basculé ». Il s’agit de remplir le tableau, de repérer les paroles des manifestants et de commenter les énoncés recueillis.
les personnes | l'heure /dates | le lieu | les actions |
- Les paroles des manifestants : rassembler les paroles, puis amusez-vous à les exclamez de différentes façons en y associant de fortes émotions. Procédez de la même manière pour les slogans.
les manifestants | les paroles |
Tarek, a | |
Nadia, 28 ans, s' | |
un homme s' | |
Fedina | |
Lazare | |
un militant se |
Les Slogans |
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- Inventez des slogans et affiches vous-mêmes, des images explosives et des revendications légitimes. Exprimez par un dessin simple soutenu par un titre le plus court possible votre idée centrale de la révolution tunisienne. Déplacez-vous dans la classe en scandant votre colère à tour de rôle. Vous pouvez préparer aussi des « étendards, drapeaux, bannières » pour organiser un défilé / une manifestation afin de hurler et d’afficher votre critique et ras-le-bol contre : a) le chômage massif notamment des jeunes diplômés ; b) la pauvreté galopante ; c) l’enrichissement frauduleux des familles régnantes ; d) la corruption qui gangrène le pays depuis des dizaines d’années ; e) la violation flagrante de la liberté de la presse ; f) l’intimidation des journalistes …
- Analysez le texte ci-dessous et faites une recherche internet sur les tags et graffitis lors du sit-in de la Kasbah. Pensez-vous que les tags et graffitis peuvent être considérés comme une manifestation de l’art moderne ? Ne faut-il pas les effacer ?
Le sit-in de la Kasbah - tags et graffitis des protestataires
Les protestataires se sont exprimés aussi sur les murs à travers les tags et les graffitis. Sur une page de Facebook « Ne touchez pas aux tags d’El Kasbah, c’est notre patrimoine », on peut lire : « ces expressions sont la représentation extrême et noble de l’Art. La Révolution a désormais son Art. Ces traces artistiques forment désormais un patrimoine national qu’il faut sauvegarder. El Kasbah est un instant majeur de l’Histoire de la Révolution tunisienne, et la Révolution tunisienne est un grand moment de l’Histoire humaine. Sauvegarder cet art est un devoir national ». – Le lendemain, hélas, les murs étaient déjà blanchis.
Sidi Bouzid, l’étincelle
Tunisie, la révolution en trois actes.
ACTE I. Le 17 décembre, Mohamed Bouazizi, un jeune vendeur de légumes de cette petite ville du centre du pays, s’immole face au palais du gouverneur. Un geste désespéré qui va emporter le régime de Ben Ali.
Par CHRISTOPHE AYAD. Envoyé spécial à Sidi Bouzid
C’est donc là que tout a commencé. Devant les grilles d’un élégant bâtiment orientalisant blanc et bleu aux décorations de stuc qui lui donnent l’allure d’une pâtisserie. Le gouverneur venait d’ailleurs de faire repeindre son palais, repaver le trottoir et installer des réverbères dorés. Il était autour de midi quand Mohamed Bouazizi a garé son chariot à bras devant le gouvernorat sous les yeux des «taxistes» garés sous les arbres. Sans dire un mot, il s’est aspergé du bidon d’essence de térébenthine qu’il venait d’acheter au kiosque du coin, puis a craqué une allumette. Les badauds, interdits, ont mis un peu de temps à intervenir. Une femme a prêté son caftan pour l’envelopper, mais déjà les jambes, les mains et le visage du jeune homme étaient calcinés.
(…)
Vendredi 17 décembre 2010, Mohamed Bouazizi, 26 ans, a déclenché sans le savoir ce qui allait devenir la «révolution de jasmin».
La famille Bouazizi vit dans le quartier el-Nour, un lotissement miséreux aux allées non goudronnées. Sa maison est la plus pauvre de la ruelle. Une étroite porte en métal donne sur la cour cimentée, traversée par les cordes à linge. On débouche sur un corridor aux murs blanc et bleu clair. Une sourate du Coran pour toute décoration. Trois canaris dans des cages égaient ce dénuement. Au bout du couloir, un frigo sur un tréteau en bois et une bouteille de gaz. A gauche, le salon, qui fait office de chambre des filles la nuit : quelques matelas en mousse et une télévision. A droite, deux chambres, celle des garçons puis celle des parents. L’ameublement se résume à des lits et des matelas, rien d’autre. La mère est une robuste paysanne aux yeux bleus étincelants, en robe traditionnelle et fichu noir. Son premier mari, le père de Mohamed, est mort. Elle a épousé son beau-frère, Ammar, alité depuis les événements. En tout, elle a eu sept enfants, quatre garçons et trois filles. Mohamed était le deuxième. «C’était un garçon serviable, toujours gai et de bonne humeur. On le surnommait Basbous. Après le bac, il avait renoncé à faire des études pour faire vivre sa famille en vendant des fruits et légumes. Il gagnait 10, 20 dinars [5 à 10 euros] par jour, jamais plus. Le jour de sa mort, il a été arrêté par les agents municipaux, qui ont saisi sa marchandise et sa balance : quatre hommes et deux femmes, il a protesté, une agente l’a giflé et insulté. Il est allé se plaindre à la mairie, personne n’a voulu le recevoir. Puis il a essayé chez le gouverneur. Trois fois. On l’a renvoyé. Ce n’était pas la première fois qu’on saisissait sa marchandise, mais se faire gifler par une femme, en pleine rue, ça l’a brûlé à l’intérieur. Chez nous, les Hamama [sa tribu], ce n’est pas acceptable.» Bouazizi, juste un macho qui n’a pas supporté d’être giflé par une femme ?
Ce serait caricatural. La sœur de Mohamed, Samia, 19 ans, voilée de noir, détaille les humiliations quotidiennes et la situation familiale : «Ma mère gagne 4 dinars par jour en travaillant dans les champs, mon père fait des chantiers quand il en trouve. Mohamed était le pilier de la famille. Mais il n’en pouvait plus d’être racketté par les policiers municipaux.» Elle a les larmes aux yeux en racontant l’agonie de son frère, qui est mort au bout de dix-neuf jours, le 5 janvier à l’hôpital de Ben Arous de Tunis. Le 28 décembre, le président Ben Ali lui avait rendu visite : terrible image du dictateur devant le lit d’un corps supplicié, recouvert de bandelettes des pieds à la tête, tel une momie. «Je ne lui pardonnerai jamais», enrage Samia.
(…)
«Bouazizi a été l’étincelle, raconte Abdallah Amri, voisin de la famille et secrétaire général adjoint de la branche locale de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT). La situation est ici très mauvaise. Le chômage dépasse les 20%, surtout chez les jeunes qui ont étudié. Il n’y a pas d’emplois, l’agriculture va mal. Le seul secteur qui embauche, c’est l’administration. Mais pour y entrer, il faut un piston au RCD [Rassemblement constitutionnel démocratique, le parti de Ben Ali].» «Tout le monde s’est identifié à Bouazizi, complète Moncef Salhi, syndicaliste enseignant et membre du Forum démocratique pour le travail et les libertés de l’opposant Moustafa ben Jaafar. Ce n’était pas une grève, mais bien plus une explosion de colère.»
Libération [en ligne], Le 5 février 2011 [http://www.liberation.fr/monde/01012318068-sidi-bouzid-l-etincelle] [Consulté le 26 avril 2012]
Kasserine, le point de non-retour
ACTE II. Du 8 au 10 janvier, les forces d’élite du régime s’acharnent sur cette ville du centre-ouest, tuant une vingtaine de personnes. Ces journées de sang vont faire basculer le pays dans un soulèvement national.
Par CHRISTOPHE AYAD. Envoyé spécial à Kasserine.
Ici, la révolution n’a pas été de jasmin, mais de sang et de larmes. C’est sans doute à Kasserine que les émeutes, encore circonscrites au centre du pays, ont basculé dans le drame national le week-end des 8 et 9 janvier. Fadhel Boujidi, un menuisier du quartier al-Nour, se souvient très bien du premier mort : «Le quartier était agité depuis plusieurs jours. Ce samedi matin, on enterrait un jeune qui venait de se brûler, comme Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid. Il s’appelait Hosni Jerbi, de la cité Ennahda. Salah Dachraoui ne participait pas à la manifestation. Soudain, j’ai entendu un coup de feu, il est tombé, puis un deuxième, Raouf Bouzidi, venu le secourir.» Jamais les forces de l’ordre n’avaient encore tiré à balles réelles à Kasserine. C’est arrivé d’un coup, sans sommation. Deux morts, puis un troisième durant l’enterrement du premier. Le cycle infernal a duré trois jours, au terme desquels quinze à vingt personnes ont été tuées. Les habitants de Kasserine continuent de parler de «quarante martyrs» ; au plus fort de la répression, une source syndicale anonyme, largement reprise par les médias, avait même évoqué «au moins cinquante morts». Qu’importe le nombre, Kasserine a payé la plus lourde tribu à la révolution tunisienne. (…)
[http://www.liberation.fr/monde/01012318104-kasserine-le-point-de-non-retour]
Carthage, la chute
ACTE III. Le 14 janvier à 17 heures, Ben Ali quitte un palais à l’atmosphère crépusculaire et s’enfuit du pays. Récit des dernières heures du tyran et de son clan.
Par CHRISTOPHE AYAD. Envoyé spécial à Tunis.
La dernière fois que Riad ben Fadhel a vu Zine el-Abidine ben Ali, c’était vendredi 14 janvier, à 17 h 10 précisément. Cet ancien journaliste, visé par une tentative d’assassinat et blessé de deux balles par des inconnus suite à un article critique sur Ben Ali, rentrait chez lui à la fin d’une journée agitée. Au carrefour reliant la commune de Carthage, où se trouve le palais présidentiel, et la route de l’aéroport de Tunis, son véhicule a été stoppé pour laisser passer une quinzaine de 4 x 4 de luxe aux vitres teintées : Porsche Cayenne, Explorer, «toute l’armada».«Je me suis dit : tiens, c’est le Président ! J’ai regardé l’heure par réflexe. On ne savait pas ce qui se passait.»
Le cortège laisse à sa droite la fastueuse mosquée el-Abidine, file pied au plancher sur l’autoroute de Sousse, direction l’aéroport international de Tunis. Il entre dans la caserne de la Garde nationale pour rejoindre la base aérienne militaire jouxtant les pistes. Riad Ben Fadhel, qui dirige aujourd’hui une agence de communication, ne savait pas à ce moment-là que Ben Ali s’apprêtait à quitter la Tunisie pour l’Arabie Saoudite, perdant du même coup le pouvoir après vingt-trois ans de règne sans partage.
[http://www.liberation.fr/monde/01012318070-carthage-la-chute]
Les Africains enfin maîtres de leur destin
Le millésime 2011 de notre hors-série L’État de l’Afrique, cuvée enivrante s’il en est, restera dans les annales. Depuis Tunis, épicentre du séisme qui secoue le monde arabe mais aussi l’Afrique, la demande d’un changement profond s’exprime avec plus ou moins d’acuité, selon le contexte local. Ce vaste mouvement de contestation et cette aspiration sans précédent à rattraper un retard criant dans bien des domaines (développement, libertés, démocratie, citoyenneté, État de droit, justice, etc.) sonne le grand réveil des peuples. (…)
La plupart des Africains ont surtout constaté qu’ils pouvaient enfin être maîtres de leur destin. La chute de Ben Ali et celle de Moubarak ont eu, peu ou prou, le même impact que celle du Roumain Nicolae Ceaucescu, en décembre 1989 : ce qui était impensable devenait possible et tous les régimes similaires en furent ébranlés. Seule différence, mais de taille, le niveau d’information global. Nous avons ainsi découvert, contrairement à ce que nous pouvions penser, qu’en Tunisie, en Égypte ou en Côte d’Ivoire, une grande partie de la population était au courant de (presque) tout : des turpitudes de leurs dirigeants et de leurs familles (merci internet et WikiLeaks) (…)
L’Afrique, cette dernière frontière du développement, ce continent du futur dont la jeunesse est le principal capital, que vantent aujourd’hui certains médias occidentaux après nous avoir expliqué qu’elle n’était que terre de pauvreté endémique, de violence et de désolation, change. Plus vite qu’on le croit. De Tunis au Cap, en passant par Le Caire, Alger, Rabat, Dakar, Abidjan, Douala, Conarky ou Antananarivo (…)
Marwane Ben Yahmed, « Les Africains enfin maîtres de leur destin », Jeune Afrique, L’état de l’Afrique 2011, Hors-série, no. 27, p. 3.
Les leçons du « printemps »
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Si les Africains ont pu se disputer en d’autres temps la palme du pire dictateur, ils rivalisent aujourd’hui pour faire éclore la révolution la plus accomplie. Les révoltes de l’Égypte et de la Tunisie inspirent aujourd’hui le reste du monde.
Les temps sont devenus incertains pour les dictatures. L’heure est venue de confondre ceux qui prétendent que la croissance économique peut durablement exister au détriment des libertés civiles dans les pays en développement. (…)
La révolution des communications contribue à l’émergence d’une prise de conscience sociale et politique. Les débats transcendent les frontières, à partir de plateformes inédites qui échappent au contrôle des États. (…)
Mo Ibrahim, « Les leçons du printemps », Jeune Afrique, L’état de l’Afrique 2011, Hors-série, no. 27, p. 18-19.
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Analysez les deux énoncés de la première phrase « se disputer (…) la palme du pire dictateur » et « ils rivalisent aujourd’hui pour faire éclore la révolution la plus accomplie ».
- Reformulez la thèse sur le rapport entre « la croissance économique » et les « libertés civiles ».
- Quel rôle ont joué les nouvelles technologies de l’information et de la communication dans l’évolution et l’éclatement de la crise ?
Discussion
- Quels sont, selon vous, les rapports entre le turbo-capitalisme d’une part et la situation sociale d’autre part ? Enumérez des faits et arguments et lancez un débat.
- La croissance économique conduit-elle à plus de libertés et un meilleur niveau de vie ? Discutez le pour et le contre.
Trésors d’humanité
L’année 2011 a commence en fanfare pour le nord du continent africain. Belle surprise pour ceux à qui on avait présenté comme inéluctable le choix entre le despotisme soi-disant éclairé et l’islamisme forcément terroriste …
La génération qui est en train de prendre les responsabilités d’une société désormais mondiale, globale, indépendante et donc solidaire, a tout à apprendre des sursauts et des ambitions de ses contemporains du Maghreb et du Machrek. Capable de faire usage des moyens d’expression et de communication en expansion prodigieuse que les progrès de la science et des techniques ont mis à sa disposition, elle peut être celle d’une vraie harmonisation de la vie en commun des différentes civilisations sur une même modeste planète, dans un coin du cosmos.
La place de l’Afrique est appelée à y prendre ne relève pas de son rang modeste dans le produit économique et commercial, ni seulement de la richesse de son sous-sol. Elle nous est essentielle en raison des trésors d’humanité dont elle a la garde, trésors que, dans les sociétés industrielles occidentales, des siècles de compétition pour le seul profit matériel ont gravement endommagés.
Comme désormais nous sommes tous ensemble face aux défis de demain, il est plus que jamais nécessaire de réviser les formes institutionnelles à donner à la coopération internationale, à ce qu’on appelle d’un terme ambigu la gouvernance mondiale, capable de garantir aux humains la satisfaction de leurs besoins essentiels, matériels et spirituels, tout en assurant à la nature, dont ils sont une des composantes trop souvent prédatrice, la capacité de les accueillir.
Stéphane Hessel, « Trésors d’humanité », Jeune Afrique, L’état de l’Afrique 2011, Hors-série, no. 27, p. 15.
Mise à jour le Dimanche, 17 Mai 2015 16:38