L'islam

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Driss Chraïbi, Le Passé Simple, Éditions Denoël, 1954
La théocratie musulmane


Kaaba.jpg« Les cinq commandements de l’Islam sont par ordre d’importance :
-    la foi ;
-    les cinq prières quotidiennes ;
-    je jeûne du Ramadan ;
-    la charité annuelle ;
-    le pèlerinage à la Mecque.
   « Pour ce qui est du premier commandement, tout le monde croit en Dieu bien que le « Marocain moyen » n’en respecte pas les corollaires : on peut jurer et être parjure, mentir, être adultère, boire. Mais la foi est sauve et Dieu Très-Puissant et Très-miséricordieux.
   « En ce qui concerne les prières, seules les personnes âgées les font. Encore que ce soit pour la plupart d’entre elles une habitude ou un manifeste. (…)
Driss-Chraibi-le-passe-simple.jpg   « Le jeûne est généralement admis dans les croyances et partout suivi comme un rite millénaire. C’est-à-dire qu’en dehors de ceux qui sont obligés de travailler tous les jours pour subvenir à leurs besoins, les gens paressent dans leurs lits jusqu’à midi et font ensuite des parties interminables de poker ou de loto, pour tuer le temps et tromper la faim. Les jeux de hasard sont interdits par la loi et le Ramadan est un mois de recueillement et de prières. J’ai toujours vu mon père pendant ce jeûne d’une humeur particulièrement massacrante parce qu’il ne pouvait pas fumer. (…) Quand le Prophète Mohamed a prêché le jeûne, c’était  pour que tous, riches et pauvres, jeunes et vieux, souffrent pendant une période déterminée, de l’aube au crépuscule, de la faim dont souffrent éternellement et uniquement les pauvres (…) pour que cette abstinence d’aliments et de boissons, de jouissances vénériennes et autres, forge les caractères et les volontés et prédispose, en purgeant les corps et les cerveaux, à un état d’âme susceptible d’assimiler une élévation vers Dieu. (…)
   « Le quatrième commandement est défini par les lois suivantes :
-    un prélèvement de 2,5% sur les biens doit obligatoirement revenir aux pauvres ;
-    ce prélèvement est annuel et doit être aussi précis que possible (…)
En fait, j’ai toujours vu ce jour-là une distribution de pièces de monnaie, de figues et de dattes, faite surtout par les épiciers et les petits commerçants. Les riches prennent leurs précautions à l’avance, transformant leurs biens liquides en biens immeubles qui, de par la loi islamique, ne sont pas imposables. De la sorte ils n’ont rien à donner à personne et n’auront pas de compte à rendre à leur conscience, ni à Dieu. (…)
   « Par ailleurs, il se peut que des pauvres réunissent ce jour-là une somme assez rondelette. Ils se retrouveront le lendemain mendiants, attendu qu’ils auront envoyé l’argent récolté dans leur douar pour s’acheter un lopin de terre ou du bétail.
   « Le pèlerinage à la Mecque est prétexte aux Marocains riches pour visiter les pays du Proche-Orient. Je cite le cas de mon père qui est resté trois ans absent ; soi-disant pour se recueillir sur la Kaaba, la sainte Pierre Noire. (…)
   « Conclusion »
   « L’homme propose et le temps dispose, mais pas un cireur de la Médina ne voudrait en convenir et c’est ce qui fait la force de l’Islam.
(Driss Chraïbi, Le Passé Simple, Éditions Denoël, 1954, p. 208-211)

 

Macro-tâche

  • Deux apprenants font une recherche internet sur le pèlerinage à la Mecque et la Kaaba, la sainte Pierre Noire.

Micro-tâche

  • Donnez une définition de la « théocratie ». Qu’est-ce que l’on appelle la « médina »

Approche

  • Faites un exercice en chaîne : Si tu croyais vraiment en Dieu, tu ne devrais pas …

Activités autour du texte

  • Travail de repérage d’éléments textuels à effectuer en binômes. Remplissez le tableau ci-dessous et discutez de vos résultats.
les cinq commandements objectifs, comportement souhaitable, exemples, affirmations critique, ironie, analyse
la foi    
cinq prières    
le jeûne    
la charité annuelle    
le pèlerinage    


Vocabulaire utile pour parler du texte
prétendre : affirmer, dire, assurer ; faire semblant : feindre, affecter, faire mine, simuler ; faux-fuyant : échappatoire, excuse, fuite, pirouette ; dissimuler : cacher, masquer ; paradoxe : antinomie, aporie, contraire, contresens ; hypocrisie : tartuferie, simulation, feinte, comédie, mensonge, tromperie ; cacher la vérité, dévoiler la vérité ; abuser de la foi pour satisfaire un intérêt personnel ; chercher des faux-fuyants ; contrairement à ce que … ;

Pour aller plus loin

  • Discutez : La pratique de la morale est-elle reliée à la foi ou peut-on imaginer aussi l’intégrité morale d’un athéiste ?

  • D’après vous, pourquoi Marx prétend-il que « la religion est l’opium du peuple » ?

  • Comparez les commandements du Prophète avec les commandements de la Bible.

  • Rédigez un texte parallèle sur « la théocratie chrétienne ».



    Le Seigneur m’attend
    Le Seigneur m’attend. Sa loi est indiscutable. J’en vis. Roche [il est chrétien] est pour moi un adultère, deux heures par jour et trois jours par semaine, depuis un an. Dans l’intervalle, je suis au point mort. J’appelle point mort tout ce qui est défini, comme ce derb que je traverse et cette maison vers laquelle je me rends. Et je vous jure que, la grille du parc franchie, à la seule évocation du Seigneur assis en tailleur sur son carré de feutre pieux, je suis redevenu un simple piéton du Chemin Droit, chemin des élus de Dieu et par où ne passent jamais ceux qu’Il a maudits.
       Les muezzins se sont tus. Le vingt-quatrième soir de Ramadan m’engloutit. Je suis une file de charrettes que traînent des vieillards aux pieds nus. A chaque porte il y a un mendiant. Il cogne comme une fatalité et réclame, exige un bout de pain, un morceau de sucre ou du papier à cigarettes. Je sais cette mélopée, si consciencieusement feinte qu’elle est devenue réelle, et où, depuis saint abd El Kader jusqu’à saint Lyautey, dernier en date, tous les saints du Maghreb sont hurlés. (…)
       Ces affamés et moi nous ressemblons : nous sommes fonction, eux de treize siècles d’Islam, moi du Seigneur, cristallisation de l’Islam. (…) (p. 14)
       Les écoles coraniques m’ont enseigné la Loi, dogmes, limites des dogmes, hadiths. Pendant quatre ans. A coups de bâton sur mon crâne et sur la plante des pieds –si magistralement que, jusqu’au jour du Jugement dernier, je n’aurai garde de l’oublier. (p. 16)
       Cet homme à tarbouch est sûr de lui : une mouche ne volera que s’il lui en donne la permission. Il sait que chaque mot qui tombe de sa bouche sera gravé en moi. Sur son masque il n’y a pas un frisson. Je supprime ce masque et je lis : il est analphabète et partant (sic) fier de soutenir n’importe quelle conversation de n’importe quelle discipline. Je le comparerais volontiers à ces petits vieux qui savent tout et qui ont tout eu : enfants, petits-enfants, maîtresses, cuites, chancres… - s’il n’y avait, à cause de cet analphabétisme même, le facteur haine. Il sait que cet Occident vers lequel il m’a délégué est hors de sa sphère. Alors il le hait. Et, de peur qu’en moi il n’y ait un enthousiasme pour ce monde nouveau, tout ce que j’en apprends, il le tanne, casse, décortique et dissèque. Désanoblit. (p.22)
    (Driss Chraïbi, Le Passé Simple, Éditions Denoël, 1954)

    Les impuretés du père
    Père, je t’en supplie ! impose-moi silence.
    -  Trop tard dit-il. (…)
    La preuve de ce que j’ai avancé ? Voici le tapis de prière, je l’ouvre, voici le kif. Entendez mes gestes fébriles comme il vous plaira. Je suis à bout. Deuxièmement.
       Les muezzins clament de nouveau.
    -  Deuxièmement, deuxième impureté. Vous de qui nous sommes fonction, tenants et aboutissants, que signifie ? Votre ferme d’Aïn Diab est plantée de tomates. Ces plants de tomates, une petite ouvrière de Khouribga – j’ai vérifié – elles sont précoces, les filles de Khouribga – j’ai vérifié – treize-quatorze ans, les noue pendant le jour, les attache à leurs rames avec des brins de doum. La nuit ? Elle offre – j’ai vérifié : deux bâtards – à vos caresses et à vos morsures des seins durs – je n’ai pas vérifié, mais j’ai vu – qui vous font oublier les seins avachis de votre épouse légitime de par la loi islamique et qui ont nourri sept enfants. Amen ! comme beuglent ces mendiants.
    (…)
    Me voici devant la bibliothèque. Livres vénérables, tranches dorées, papyrus, rouleaux de soie. Méditations de Haj Fatmi Ferdi, sa nourriture, ses introspections. Philosophes, théologien, métaphysiciens, historiens, le peuple de Mahomet est là. Je m’en moque. Ce qui m’intéresse, c’est le dispositif mécanique qui fait pivoter toute cette sainteté poussiéreuse. Parce qu’il y en a un. Je n’ai pas le temps de faire des recherches. Alors je me sers de cette cuiller. Je l’introduis dans cette rainure et méthodiquement je pèse.
       J’ai pesé brutalement. Il se produit un craquement. Je n’ai plus qu’à tirer le panneau.
       Et d’annoncer.
    -  Vermouth, Martini, Saint-Raphaël, Cinzano… Chablis, Gaillac, Monbazillac… Bourgogne, Champagne Geizmann, Cognac, Fine Napoléon, Porto…
    (Driss Chraïbi, Le Passé Simple, Éditions Denoël, 1954, p. 167-168)

 

L’hypocrisie des « barbus » et les « paradiaboliques »
Les antennes paraboliques, les « barbus » les appellent les « paradiaboliques », ils ont menacé combien de fois de les casser à coup de hache, ils n'ont pas osé, ils ont peur de la colère des femmes. On dit qu’ils regardent les chaînes étrangères en cachette. Ils se réunissent dans une pièce, ils mettent une cassette islamique à fond et pendant ce temps la télé marche, parfois toute la nuit (…) Il paraît que les « frérots » - c’est les barbus -, s’enferment à plusieurs et visionnent des films, les femmes baissent la voix, où des hommes et des femmes font… Mélissa n’entend pas la suite, les mots sont à peine chuchotés, elle comprend. (…) Elle sait qu’elles voudraient voir ces films interdits.
-    Qui serait capable de voler une cassette à un barbu ?
-    Tu veux le dernier sermon de l’imam ?
-    Ah ! non… Celui-là on l’entend toute la journée. Ca suffit. Non, une cassette spéciale.
-    Moi, je vous en apporte une demain, si vous voulez. Mon beau-frère en a, je le sais. Il est parti en voyage.
-    Alors demain ?
-    Oui, oui, vous venez. Mais j’ai pas de magnétoscope.
-    On se débrouillera.
(Leïla Sebbar, La jeune fille au balcon, Seuil 1996, p.9-10)

 

La charia, une réalité plurielle

Avec l’émergence de l’islam politique et le « printemps arabe », le mot « charia » est passé dans le vocabulaire commun comme synonyme de « fanatisme ». Un retour aux sources et à l’histoire récente des mouvements intellectuels et politiques du monde musulman semble vraiment utile pour prendre la mesure de ce qui se passe au sud de la Méditerranée.
L’ensemble des préceptes fondamentaux régissant le droit musulman est communément désigné du nom de charia. Le terme est d’un usage ancien et n’a soulevé de controverses que depuis cinquante ans. On peut dire que, pour les adversaires du « monde occidental » et de sa culture comme pour leurs défenseurs les plus farouches, le mot est utilisé à la manière d’un épouvantail. Tout se passe comme s’il marquait, pour les premiers, ce qui dans l’islam doit rester incompréhensible voire inadmissible pour les seconds, lesquels, de leur côté, ne se privent guère de faire usage du même mot pour désigner ce qui, dans ce même islam, leur apparaît comme rétrograde, figé et surtout inhuman.

En usant du même vocable comme d’un outil politique et psychologique, les deux antagonismes semblent jouer chacun le jeu de l’autre et rendre antinomiques les droits de Dieu et ceux de l’homme, vision récusée par un grand nombre de pratiquants sincères, pour qui la transcendance divine ne peut être conçue qu’à travers l’immanence de la foi. Il importe dès lors, pour y voir plus clair, d’essayer de comprendre quelle réalité a été caricaturée par l’épouvantail censé la représenter. (…)

Le mot de charia existait avant la révélation coranique et désignait la simple législation sans connotation religieuse particulière. (…)

Il se trouve que le terme de salafia ou de salafisme a été saisi au bond par les tenants du conservatisme le plus pointilleux, le plus disciplinaire, seule attitude permettant à leurs yeux de défier les puissances non musulmanes dans le monde contemporain. Le salafisme actuel se réduit, dès lors, à l’imitation minutieuse du mode de vie des pères fondateurs pour se préserver de toute innovation, de toute aventure intellectuelle, et construisant une armure culturelle protégeant contre les agressions extérieures, réelles ou supposées.

(…) ce salafisme non pas créatif mais défensif s’inscrit dans une perspective d’affrontement. Il semble naturel qu’il puisse se prolonger par le djihadisme, attitude donnant la prééminence au combat contre l’infidèle. C’est cette tendance qui tend à présenter la charia comme un bouclier et un épouvantail. Cela n’est pas l’islam mais c’en est un aspect.

Pierre Lafrance, « La charia, une réalité plurielle », dans : Le Monde, 10 janvier 2012, p. 18.



 

Mise à jour le Vendredi, 23 Novembre 2012 17:03