Pondichéry aujourd'hui - la situation linguistique B2-C1

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Pondichéry aujourd’hui - la situation linguistique

Linguistiquement Pondichéry est à l’heure actuelle une ville tamoulophone avec un microcosme francophone qui se traduit surtout par un décor local rappelant l’ancienne « loge » commerciale française à travers l’architecture coloniale : « colonnes à la grecque, fronton, toit en terrasses, portail monumental, balustrades à colonnes ajourées, vases balustres » . Par ailleurs la ville dispose d’un Hôtel de ville, de la Chambre de Commerce, du palais du Gouverneur (tous près de la Place du Gouverneur), d’un Lycée Français  avec environ 1200 élèves, d’un Institut Français de recherche, d’une Alliance française , d’une Ecole Française d’Extrême-Orient et d’un Consulat Général de France – tous situés dans la Ville blanche.
(Cf. aussi la photothèque du Département de Géographie de l'Ecole normale supérieure de Paris ainsi que le site Anthropologie en ligne - Les rues de Pondichéry)
 
George Azariah-Moreno [GFDL (http://www.gnu.org/copyleft/fdl.html), CC-BY-SA-3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/) or CC BY-SA 2.5-2.0-1.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.5-2.0-1.0)], via Wikimedia Commons   von Flickr user Melanie-m (http://www.flickr.com/photos/melanie-m/2676968434/) [CC BY 2.0 (http://creativecommons.org/licenses/by/2.0)], via Wikimedia Commons
La cour du Lycée Français de Pondichéry et Ecole Française d’Extrême-Orient de Pondichéry, située à l'angle de la rue Dumas et de la rue du Bazar St Laurent. - © George Azariah-Moreno 2003, Creative Commons - © Melanie, 2009, Creative Commons
 
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Institut Français de Pondichéry - Centre de Recherce © Avec l'aimable autorisation d'Anand Pakiam
 
Autrefois le Palais du Gouverneur français de Pondichéry et du parlement, elle est aujourd'hui la résidence du Lieutenant Gouverneur. © Sundar Ramanadane, 2011. Les vieux bars continuent d'afficher leurs noms et leurs menus en Français et en Tamoul. © Sundar Ramanadane, 2011

 

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Les maisons de style colonial sont rénovées et font partie d'un patrimoine que la ville essaye de mettre en avant pour la promotion du tourisme. - L'Église de Notre Dame des Anges © Sundar Ramanadane, 2011

 
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Monument aux morts de la Grande Guerre. © Sundar Ramanadane, 2011.
 
Plan en damier de Pondichéry - Avec l'aimable autorisation de Joëlle Depagne
Pondi_plan.jpg - Plan extrait de : La conservation du patrimoine de Pondichéry, INTACH (2006 : 7)
Conçue sur un plan en damier dessiné pendant la présence hollandaise, la ville fortifiée est divisée en deux par un canal creusé en 1788.
À l'est, la ville coloniale, à l'ouest la ville tamoule. Trois quartiers, hindou, chrétien et musulman, subdivisent la ville tamoule.

plandelaville_Pondichery.gifLorsque nous regardons le plan de Pondichéry  aujourd’hui, nous distinguons clairement la bipolarité coloniale avec le Grand Canal qui traverse la ville et scinde l’espace en deux ensembles séparés : à l’est la Ville blanche avec ses anciens quartiers français, et à l’ouest la Ville noire. Cette partie tamoulophone de la ville, densément peuplée, est à nouveau divisée en trois zones, avec au centre-ouest le quartier catholique, symbolisé par la Cathédrale Notre-Dame de l’Immaculée-Conception, l’archevêché et les écoles religieuses, puis au nord-ouest le quartier hindou avec ses temples, et au sud le quartier musulman avec sa grande mosquée. Ce squelette urbain avec ses particularismes architecturaux forge un style typiquement pondichérien qui perdurera jusqu’à nos jours.


Actuellement le tourisme est très développé à Pondichéry avec quelque 650 000 touristes indiens et environ 46 000 touristes étrangers. La promenade du bord de mer qui longe la Ville blanche sur 1,5 km attire des visiteurs de Chennai, Bangalore ou même de Bombay qui viennent passer quelques jours à Pondichéry lors d’un voyage dans le sud de l’Inde. Cette ville qui s’ouvre sur le Golfe du Bengale à partir du monument de Gandhi offre une ambiance calme et paisible par rapport aux autres grandes villes indiennes, et la visite du Sri Aurobindo Ashram représente une étape essentielle pour tout visiteur aspirant à la quiétude du yogi indien et une conscience supramentale. L’Auroville, projet d’une vie communautaire universelle où hommes et femmes vivraient en paix et dans une parfaite harmonie au-delà de toutes croyances et nationalités, est inspirée par la compagne spirituelle et française du philosophe, connue sous le nom de « La Mère ». Cette ville expérimentale qui est située à une douzaine de kilomètres au Nord de Pondichéry compte actuellement 2 200 résidents de 33 nationalités différentes.

By Georges Blanchet (Receive by Email) [CC BY-SA 3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)], via Wikimedia Commons

Auroville, inaugurée en 1968 © Georges Blanchet, 2014 - Creative Commons 

Actuellement l’ancienne ville coloniale de Pondichéry fait partie d’un vaste programme international de sauvegarde culturel pour préserver un héritage architectural que l’administration et les élites indiennes se sont réappropriées après la décolonisation en 1962. Souvent les bâtiments ordinaires sont davantage menacés de détérioration parce que la population locale ne se sent pas concernée par ce patrimoine étranger bien que de nombreux bâtiments franco-tamouls révèlent un métissage architectural. A l’heure actuelle la spéculation immobilière et la montée démographique incitent les promoteurs à détruire et à remplacer les grandes maisons coloniales détériorées par des immeubles plus modernes et surtout plus rentables.

C’est par l’intermédiaire de la Commission européenne que les acteurs d’Asia Urbs  essaient de mettre en place différents programmes de coopération dont l’objectif est l’aide au développement économique, social et culturel d’une région afin de rééquilibrer le développement durable et la préservation du patrimoine. La ville de Pondichéry a bénéficié de cette initiative de coopération bilatérale urbaine lancée en février 1998, notamment dans la perspective de dynamiser le tourisme autour de l’image de « la France en Inde ».

Deux villes européennes se sont associées à ce projet avec les partenaires indiens, l’une française, Villeneuve-sur-Lot, et l’autre italienne, Urbino, pour apporter leur savoir-faire dans les domaines de la gestion des déchets, de l’aménagement urbain et de la restauration. Outre la restauration d’une vingtaine de maisons de type tamoul et franco-tamoul et l’amélioration de l’infrastructure municipale (électricité, lignes téléphoniques, éclairage public, drainage et système des égouts) il s’agissait de sensibiliser les propriétaires à la valeur patrimoniale de leurs immeubles et de créer une vitrine pour les touristes et les locaux. Le renouvellement de la signalétique avec l’application de 85 plaques d’acier mentionnant un bref historique des immeubles ainsi que la réinstallation de 300 plaques avec les noms des rues en tamoul et en français, ont permis de mettre en évidence la qualité historique de la ville.

Exemple de signalétique des rues et monuments - Avec l'aimable autorisation de Joëlle Depagne

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[http://www.orgueiletpatrimoine.fr/wp-content/uploads/2011/03/signalisation.jpg]

Façade de l’Hotel de l’Orient - Avant / Après - Avec l'aimable autorisation de Joëlle Depagne

Intérieur de l’Hotel de l’Orient - Avant / Après - Avec l'aimable autorisation de Joëlle Depagne

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[http://www.orgueiletpatrimoine.fr/wp-content/uploads/2011/03/restauration-hotel-orient2.jpg]



By Nataraja at French Wikipedia (work by Nataraja) [GFDL (http://www.gnu.org/copyleft/fdl.html) or CC-BY-SA-3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/)], via Wikimedia CommonsDans les rues de Pondichéry on entend surtout parler tamoul et anglais, hindi et bien d’autres langues nationales. A l’origine la Constitution de la République Indienne ne reconnaissait que quatorze langues, puis l’inclusion des autres huit langues s’est opérée en trois étapes (1967, 1992 et 2003) pour arriver à  22 langues  officiellement reconnues en Inde depuis 2007. Puis il faut y rajouter les 1652 dialectes. Au niveau central, le hindi est appelée langue officielle de l’Union Indienne, et l’anglais langue officielle associée. Le plurilinguisme précoce étant la norme en Inde, la plupart de la population est bilingue sinon trilingue.

A Pondichéry quelques commerçants utilisent des mots de français tels que « ça va ? », « merci », « bonjour madame », « bonjour monsieur » ou encore les nombres pour désigner les prix. Toutes les transactions commerciales et conversations se déroulent cependant soit en tamoul soit exclusivement en anglais, langue qui occupe une place prépondérante en Inde. Le français n’a aucun statut officiel dans ce pays multilingue, mais il reste la première langue étrangère enseignée en Inde avec environ 500 000 apprenants et 5 000 professeurs, tendance à la hausse.

Devant la multiplicité des langues et afin de prévenir des conflits d’ordre linguistique, le gouvernement indien s’est efforcé depuis 1949 de mettre en place une politique de trois langues , c’est-à-dire une langue officielle (l’anglais ou l’hindi), une langue maternelle ou régionale, et une langue indienne ou étrangère. Cependant cette politique a subi plusieurs révisions et reste malléable. Depuis 2013 la position officielle du Gouvernement de l’Union indienne considère l’anglais plutôt comme langue officielle secondaire afin d’accroître l’usage de l’hindi qui reste un élément fédérateur – pour certains - alors que l’anglais n’est qu’une langue véhiculaire, une langue de travail et de communication – pour d’autres. Toutefois les différents États ont réussi jusqu’à présent à sauvegarder leur langue, mais l’équilibre reste quelque peu fragile.

Tandis que les États de l’Inde du Nord se montrent peu enclins à apprendre au moins l’une des langues de l’Inde du Sud, les États du Sud répugnent à accepter le hindi comme langue officielle de l’Inde. Si la première langue, souvent maternelle, est alors une langue régionale du Sud et la deuxième l’anglais, la troisième langue sera  généralement le hindi ce qui relègue le français à la quatrième position. « Dans la pratique, dans les États du nord de l’Inde, les débats oraux ont lieu soit dans la langue de l’État, si tous les partenaires la maîtrisent, soit en hindi ; dans ceux du sud, soit dans la langue de l’État, soit en anglais, soit, parfois, en hindi. Il est fréquent que les débats eux-mêmes soient bilingues ou plus, du moment qu’un minimum d’intercompréhension est garanti. »

Selon Anuradha Wagle « la situation historique et socioprofessionnelle du pays dicte la fortune des langues enseignées dans le système éducatif et par ce fait, il existe deux types de francophonies indiennes, la francophonie historique  due aux liens historiques que l’Inde a eu avec la France et la francophonie économique  qui est née des besoins professionnels du pays. »  Au moment de l’indépendance de l’Inde en 1947, le sentiment d’appartenance à l’Inde et le sentiment d’attachement à la France font naître une ambiguïté qui est difficile à surmonter. La population francophone dans les comptoirs français s’élève alors à environ 300 000 locuteurs « perdus » dans un immense territoire de l’Inde britannique qui vient d’obtenir son indépendance. Mais dans les différentes communes de Pondichéry et de Karikal la langue de communication était surtout le tamoul, dans le comptoir de Yanam le telugu, de Mahé le malayalam et à Chandernagor la langue bengalie.

A Pondichéry il faut distinguer à présent les quelques 600 Français de métropole qui travaillent dans les différents établissements français et O.N.G. de Pondichéry ou résident à Auroville et les 7 000 autres Franco-pondichériens qui à défaut d’être francophones se montrent généralement francophiles. Effectivement il n’y aurait plus qu’une minorité de 300 locuteurs qui utiliserait encore le français dans les échanges quotidiens.

Historiquement il s’agit des descendants des Pondichériens indiens qu’on appelle aussi les « renonçants ». Suite à un décret de 1881 ces Franco-pondichériens d’option ont obtenu la nationalité française parce qu’ils étaient prêts à renoncer à leur statut personnel et à se convertir au catholicisme. Au moment de la cessation des territoires français au gouvernement indien en 1956 (Traité de New Delhi du 28 mai) ces Pondichériens ont pu bénéficier à nouveau pendant six mois d’un droit d’option par déclaration écrite leur permettant de garder la nationalité française ou de choisir de devenir citoyen indien. Le traité est ratifié par le parlement français le 27 juillet 1962. « Plus de cinq mille familles, d’ascendance tamoule, optent alors pour la nationalité française. Tandis que les pieds noirs d’Algérie, dans un climat de violence, quittent leur terre natale, la plus grande démocratie du monde permet à ces Pondichériens, peu nombreux, il est vrai, de résider sur le sol de leurs ancêtres ».

Beaucoup de familles sont parties en France. Cependant les « optants » ou « Français de papier » qui sont restés à Pondichéry se sentent avant tout Indiens et ne parlent guère le français. Les anciens indiens enrôlés dans la carrière militaire ou les femmes veuves bénéficient généralement des avantages sociaux liés à la nationalité française, tels la sécurité sociale ou la retraite.  En contrepartie ils n’ont pas le droit de vote en Inde et ne peuvent accéder à un poste de fonctionnaire. Les filles de ces anciens militaires sont souvent considérées comme des « étrangères » richissimes ou des « filles de soldats » par les autres Pondichériens et pour cette raison elles sont souvent harcelées ou convoitées. Epouser une française, c’est gagner un visa pour la France et/ou monter dans la hiérarchie sociale.

Malgré tout leur attachement à la langue et à la culture française la population des anciens comptoirs n’a pas pu sauvegarder le statut d’une langue française véhiculaire qui se perd doucement. Bien même que le lycée français de Pondichéry scolarise environ 1 200 élèves, ceux-ci sont ou bien de nationalité française ou bien s’expriment majoritairement en tamoul en dehors du lycée et dans leur famille.  Pour faire vivre et accroître la francophonie indienne, il faudrait trouver d’avantage d’échanges de conversation française, un effort qui est difficile à satisfaire actuellement malgré les 22 Alliances françaises qui contribuent à diffuser la langue de Molière.

A l’heure actuelle les motivations pour apprendre le français sont tout d’abord économiques. La France étant le cinquième partenaire européen dans les échanges commerciaux avec l’Inde, la maîtrise du français reste un atout considérable dans la perspective de la mondialisation. D’après la Chambre de Commerce et de l’Industrie les coopérations bilatérales entre la France et l’Inde ont considérablement augmenté pendant les dernières années, notamment dans les secteurs comme le transport, l’énergie, l’aérospatiale, la biotechnologie ou les produits pharmaceutiques. Dans de nombreuses universités indiennes le français est présent au niveau du Bachelor, du master et du Doctorat ; il est enseigné dans les écoles d’ingénierie, d’hôtellerie, de gestion et de tourisme.

Un autre acteur de la Francophonie indienne est l’AITF (Association of Indian Teachers of French) créée déjà en 1953. Actuellement l’AITF compte plus de 600 membres et s’engage dans la formation des formateurs, la rédaction et la publication de manuels, la traduction d’ouvrages français et francophones et l’organisation de congrès régionaux et nationaux. Un autre organisme francophone qui organise des formations continues pour les enseignants de français dans le champ de la didactique est le CLAIM, Centre de Linguistique Appliquée de l’Inde Méridionale, créé en 1992 en collaboration avec l’Association Indienne de Professeurs de Français, le Service Culturel près l'Ambassade de France en Inde et la Délégation Générale de l’Alliance Française de Paris en Inde, représentée par l'Alliance Française de Madras. Depuis 1997 le CLAIM s’est enrichi d’une bibliothèque variée et actualisée comprenant environ 1000 ouvrages et d’une audiothèque-vidéothèque, riche de 200 documents que le Centre met à la disposition des enseignants. Depuis son ouverture le CLAIM a organisé environ 1 000 stages de formation et s’efforce d’être à la fois un centre de documentation et de formation, un lieu d’échange et de communication et une plateforme de la Francophonie.

Mise à jour le Samedi, 22 Août 2015 15:25