Les Salaziennes. (1839) Par Auguste Lacaussade. (1815-1897) TABLE DES MATIERES I Première L'Étoile Du Matin. II A Victor Hugo. III Le Barde A La Fleur. IV La Nacelle. V Le Lac Des Goyaviers Et Le Piton D'Anchaine. VI A Toi, Toujours A Toi. VII A Monsieur N. R. De La Serve. VIII Amour. IX Orage A Salazie. X Bonsoir. XI Un Clair De Lune Sous La Ligne. XII Les Bois Détruits. XIII A Monsieur T. H. XIV A Lamennais. XV Les Cloches Du Soir. XVI Le Papillon. XVII Adieux. XVIII Calme En Mer. XIX A Mes Amis E. Et L.G. Sur La Mort De Leur Soeur. XX Couplets. XXI L'Oiseau. XXII A Une Femme. XXIII En Réponse A Des Vers. XXIV A M. W.F. en réponse A Ses Vers. XXV Le Piton Des Neiges. XXVI A M. A. Vinson. XXVII La Fleur Des Champs. XXVIII Pense A Moi. XXIX A Un Ami. XXX A Mon Frère. I L’Étoile Du Matin. Lorsque tu souris à la terre, Brillante étoile du matin, Amant du calme et du mystère, Que de fois je viens solitaire Rêver à ton rayon lointain. Marchant silencieux dans l'ombre, Loin de tous les regards jaloux, J'erre au hasard ainsi qu'une ombre, Au reflet pâlissant et sombre Dont se revêt ton front si doux. Que j'aime à baigner ma paupière Dans la molle et faible clarté, Dans la vaporeuse lumière, Dont tu remplis en ta carrière Le vide de l'immensité! Quand mon triste regard se lève Pour te voir dans le firmament, Dans mon sein ta lumière élève Le vague enchantement d'un rêve, Dont s’abreuve mon coeur aimant. Je crois voir la céleste image D'un ange au front candide et pur, Comme une sylphide volage, Se bercer au sein d'un nuage Dont ses pieds effleurent l'azur. Je crois voit, l'amoureux Zéphyre Sur ses pas divins voltiger; Et, plein du charme qui l'attire, La caresser dans son délire De son souffle doux et léger; Puis, de son haleine amoureuse, Soulevant des plis onduleux, Fuir sous sa robe. vaporeuse, Que l'étoile mystérieuse Blanchit mollement de ses feux. Descends, descends, forme angélique, Descends, bel ange de bonheur, Et sur mon front mélancolique Viens ouvrir ton aile pudique Et te reposer sur mon coeur! C'est l'heure où le zéphyr s'envole Et se balance auprès des fleurs, Pour murmurer dans leur corolle Sa voluptueuse parole Et s'enivrer de leurs odeurs. C'est l'heure où la brise plaintive Caresse les rameaux des bois; Où l'onde errante et fugitive, Baisant le gazon de sa rive, Élève une amoureuse voix; Où la timide tourterelle, D'un oeil entr'ouvert et charmé, Regarde sommeiller près d'elle Et voile du bout de son aile Le front blanc de son bien-aimé; Où, s'appuyant calme et charmante Sur ses bras mollement posés, Ivre d'amour, la jeune amante Répand sur une bouche aimante Le plus doux miel de ses baisers. C'est l’heure où l'onde qui murmure, Où le Zéphyr et la beauté, Où la fleur odorante et pure, Où tout enfin dans la nature Semble frémir de volupté. Et moi dont l'âme surabonde D’un céleste parfum d'amour, Je n’ai pas un coeur dans ce monde Où reposer ma tête blonde, Qu'inclinent les ennuis du jour! Descends, descends, forme angélique, Descends, bel ange de bonheur; Et sur mon front mélancolique Viens ouvrir ton aile pudique Et te reposer sur mon coeur! II A Victor Hugo. Yet there are souls, proud Bard, who feel thee not, Bounded and blind with but a single thought; Who'd tear the laurels from thine honoured brow, And force us grovelling to their gods to bow; Proudly thou answer'st in yet nobler strain And shak'st the vermin from thy regal mane. Thy fame hath been the theme of loftiest lyres, In their rich sweil my feeble song expires, Yet spurn not, laurelled head, the wreath I twine Though all unworthy this poor lay of mine! More than the rich man's gifts the orphan's mite Found larger favour in the Man-God's sight. I yet am young, and years may give me strength To reach the grandeur of my aim at length; Then will I tell thee all l've felt and feel And all my bosom's gratitude reveal. I Et l'invincible fils d'Alcmène, Poursuivant ses faits glorieux, Révélait sous sa forme humaine Le descendant du roides cieux. De sa prunelle ardente et fière Mesurant la vaste carrière Que le ciel réserve à ses jours, Il s'élance an sein des tempêtes, Et, partout semant les défaites, Héros altéré de conquêtes, Il terrasse.... et marche toujours! D'un siècle d'erreur et de crime S'éveillant à la vérité, Le monde à son vengeur sublime Adresse un chant de liberté, Mais lui, déifiant sa gloire, Par une dernière victoire, Il veut couronner ses travaux; Il déracine un mont antique Sépare l'Europe et l'Afrique; Et la mer et l'onde Atlantique A sa voix ont uni leurs eaux. Et 1'homme sur ces mers nouvelles Domptant les flots impétueux, De ses vaisseaux aux larges ailes Guide l'essor vers d’autres cieux Hardi nocher, amant des ondes, Labourant les vagues profondes, I1 apercoit au sein des airs Ces monts, à la crête sauvage, Qui, se dressant sur le rivage, D'Hercule attestent le passage, Et du front dominent les mers! II Ainsi, poète armé du sceptre de la lyre, Eveillant dans les coeurs un sublime délire, Tu suis le noble cours de tes vastes travaux Et déroule à nos yeux des horizons nouveaux. Aux accents de la Grèce et des lyres antiques, Mariant les accords des harpes romantiques, Comme Hercule unissant les ondes des deux mers, Ta voix inattendue éclata dans les airs! Et la terre entendit la puissante parole! Les lyres de la jeune et de la vieille école, Vibrant à l'unisson, comme deux chastes soeurs, De leurs chants ont mêlé les célestes douceurs. III Tombez! écroulez-vous, impuissante barrière! Un nouveau dieu nous ouvre une immense carrière! Ebranlant vos rochers sur leurs bases d'airain, O monts, qui dans les cieux osiez lever la face, Sa main s'étend sur vous et sa main vous efface! Et des mers un moment agitant la surface, Vos débris vont paver leur parvis sous-marin! De la Grèce aux vagues tranquilles, Aux bords riants, aux vertes îles, Abandonnez les flots dociles, Nautonniers au coeur courageux! Quittez ces légères nacelles Qui sur des eaux calmes et belles Glissent comme des hirondelles, Sans crainte d'un ciel nuageux; Cinglez vers de lointaines plages Et pour atteindre à ces rivages Allez affronter les ravages De l'empire aux flots orageux! Ce n'est pas cette mer qu'un ciel limpide azure, Et qui roule en chantant son onde bleue et pure Des murs de Gibraltar aux bords de l'Hellespont; C'est la mer formidable, amante des naufrages, Qui fiança sa vague à l'esprit des orages, Et qui n'ouvre ses flancs qu'aux bouillonnants sillages Du vaisseau colossal qui porte un triple pont. Armez-vous donc pour la tempête! Tentez une auguste conquête, Et que votre vaisseau s'apprête A braver le courroux des airs. Maîtrisez l'océan farouche! Allez où le soleil se couche Fouler la pourpre de sa couche, Et marcher sur le dos des mers! Que rien n'arrête vos courages L'astre est derrière les nuages L'azur au-dessus des orages, La perle au fond des flots amers! Partez! devant vos pas marche une blanche étoile; De ces climats lointains qu'un autre ciel étoile Vous reviendrez vainqueurs des glorieux revers; Superbes, triomphant de la vague atlantique, Et riches des splendeurs d'un ciel plus poétique, Vous verserez aux pieds de notre monde antique Les trésors inconnus d'un nouvel univers! IV Et tu pars, et ta muse a déployé ses ailes Vers des cieux inconnus et des plages nouvelles; Et dans l'obscurité des lieux inexplorés A plongé le regard de ses yeux inspirés. Au-delà du courroux de la vague profonde Comme un autre Colomb tu vas chercher un monde. Tu jettes tes dédains à la fureur des vents. Tu marches sans pâlir sur les gouffres mouvants. Devant le sombre dieu qui commande à l'orage, Tu ne sens pas trembler ni faillir ton courage; Mais des flots à tes pieds écoutant les rumeurs, Tu mêles ta voix forte à leurs fortes clameurs. Et la mer, te lançant jusqu'au sein des nuages, Te voit calme et serein défier ses ravages; Et l'oeil toujours fixé sur un pôle inconnu, Aux éclairs, à la foudre, opposant ton front nu, A travers les brouillards qui couvrent ton mystère, Vers l'horizon brumeux qui te cache à la terre, Tu t'avances sublime, auguste et solitaire! V Variant tes concerts et tes hymnes sacrés, De l'échelle des tons parcourant les degrés, Parfois tendre et plaintif, parfois pâle et sévère, Soupirant comme une âme ou l'ombre d'un trouvère, Dans la brume et la nuit, aux pieds de quelque tour, Tu dis aux vents des soirs tes ballades d'amour. Tantôt à notre sol ne pouvant te résoudre, T'élancant dans les airs sur l'aile de la foudre, Tu fais vibrer sur nous ta harpe aux cordes d'or; Et, des saintes hauteurs d'un lumineux essor, En prophète inspiré tu parles à la terre Avec l'accent de l'ode et la voix du tonnerre! Tantôt d'un ton moins fier ton luth flexible et pur, Disant les beaux climats et les pays d'azur Où l'aurore sourit aux splendeurs qu'elle étale, Ton vers en réfléchit la grâce orientale; Et l'aube, t'arrosant de ses douces chaleurs, Semble t'avoir prêté ses plus riches couleurs. A l'ombre des palmiers de l'indolente Asie, Poète, une rêveuse et blonde Poésie, Des fraîches voluptés t'inspirant les langueurs, T'apprit à les chanter dans la langue des fleurs; Et tes lèvres ont bu sur ses lèvres arabes Le secret enivrant de tes molles syllabes. VI Mais ton monde est trouvé! Riche d'un univers, Tu nous reviens aussi du sein des vastes mers. L'Océan étonné célébra ta victoire. Ta gloire est désormais la soeur de toute gloire! Près des fronts les plus hauts levant un front rival, Des mortels les plus fiers tu marcheras l'égal! De l'espace frayant les routes inconnues, Quel aigle plus avant a plongé dans les nues, Et, mesurant les cieux de son regard vermeil, A balancé son vol aussi près du soleil? L’ombre du grand Homère et le tendre Virgile Des champs élyséens ont déserté l'asile, Pour écouter ta voix, mélange harmonieux, Écho doux et lointain de la harpe des cieux. Ils se sont enivrés aux parfums poétiques Que ta muse apporta des rives exotiques, Comme une abeille errante, et qui puisa son miel Dans le sein étranger des fleurs d'un autre ciel. VII O maîtres de la lyre, ô rois par le génie, Des rives de la Grèce aux bords de l'Ausonie Vous roulez dans les cieux vos orbes éclatants; Et, des siècles ravis partageant les hommages, Vous sortez rayonnants des ténèbres des âges Et brillez sur la nuit et les ombres des temps! Sous ces climats qu'arrose une amoureuse flamme, Que de rêves dorés sont éclos de votre âme, O bardes créateurs des héros et des dieux! Le ciel vous avait faits pour étonner la terre; Et, régnant dans l'azur d’un passé solitaire, Vos astres fraternels s'admirent radieux! D’ambitieux rivaux, qu'un noble orgueil anime, De vos voix imitant l'accent grave et sublime, Ont couronné leurs fronts d'un éclat emprunté; Mais leurs orbes, brillant de feux doux et timides Sont un pâle reflet de ces astres splendides, Rois des siècles futurs et de l’antiquité! VIII Mais toi, tournant tes pas vers des routes contraires, Tu n’as pas imité ces rivaux téméraires; Aussi, plein de respect pour tes maîtres aimés, Sans puiser dans les feux par leur gloire allumés L'éclat dont resplendit ton royal diadème; Tu dois tout à toi seul et brilles de toi-même. T'éloignant du sentier par un autre frayé, Tu marches vers ton but sur ta force appuyé; Et sans aide et sans guide autre que ton génie, Secondant tes efforts d'une mâle harmonie, Tu fais dans l'avenir monter ton monument! Et tandis qu'à tes pieds, d'un vain bourdonnement, Ces mortels envieux que ta force intimide, Blament de tes labeurs la vaste pyramide Dédaignant de t'astreindre à leur étroit compas, Toi, tu poursuis ton oeuvre et ne les entends pas! IX Oui! qu'elle pleure ou qu'elle chante, Ta muse aux accords immortels Ravit, captive, entraîne, enchante Et maîtrise tous les mortels! Avec l'automne qui soupire, Si ton sein faiblement respire, Si ta voix mollement expire, Nous sentons s'attendrir, nos coeurs; Mais du trône de ton génie Si tu flétris la tyrannie, Pleins de ta puissante harmonie, Nous nous sentons grandir à tes accents vainqueurs! Du feu céleste qui t’embrase Allumant en nous les ardeurs, Des cieux où t'a ravi l'extase, Sur nous tu verses les splendeurs. Le théâtre à ta voix s'anime! Et d'une clameur unanime Saluant ton nom magnanime, La foule applaudit à son roi 1 Et, si du haut de ta carrière, Roulant dans un char de lumière, Tu portes les yeux sur la terre, Tu vois les fronts humains s'incliner devant toi! Sur l'arc à l'arche colossale, Sur le granit et sur l'airain, Sur la colonne triomphale Se lira ton nom souverain! Comme eux tu vivras d'âge en âge; Car tu laissas sur leur visage, Comme la foudre à son passage, Un impérissable sillon! Du temple aux gothiques tourelles, Les tours hautes et solennelles Sont les colonnes éternelles Où le doigt de la gloire a buriné ton nom. Triomphe donc de ta victoire 1 Du monument par toi chanté Tu dois, admiré dans l'histoire, Partager l'immortalité! L'envie à tes pieds se déchaîne; Mais que t’importe de sa haine La clameur impuissante et vaine? Pardonne à ces jaloux pervers Clos ton oreille à leur démence, Et n'écoute dans ta clémence Que l'acclamation immense Que ta présence éveille au sein de l’univers! X Ou, semblable au vainqueur du lion de Némée, Souris avec dédain à ce peuple pygmée! Pour ce troupeau rampant de serviles esprits Qui se gorgent de fiel, de honte et de mépris, Tes dédains mérités sont un juste salaire! Ne les fais pas monter jusques à ta colère! Lâches, lorsqu'un talent se révèle à vos yeux, Vous bâillonnez sa voix! votre esprit envieux, Semant sur ses sentiers et le blâme et le piège, Dans sa fureur constante incessamment l'assiége! Si, porté par les vents, quelque nuage obscur De son ciel matinal vient dérober l'azur, Votre voix, insultant à son jeune courage, Dans ses lâches transports hurle d'aise et l'outrage! Si son rayon vous luit, prompts à calomnier Vous fermez la paupière afin de le nier! Du flot de ses clartés en vain il vous inonde! Vous vautrant dans la nuit de votre ombre profonde, Reptiles! sur ses pas vous acharnant toujours, Vous mentez au soleil et blasphémez le jour! Mais 1'homme simple et juste, au coeur pur et candide, Ne ferme pas les yeux devant l'astre splendide; Quand il le voit, sortant du sein des flots amers, De ses vastes rayons illuminer les airs, Et, s'emparant des cieux sur un char de victoire, Monter, roi sans rival, au trône de sa gloire; Il contemple ébloui cet orbe radieux Qui féconde la terre et plane dans les cieux; Et sentant sous ses feux s’animer la matière, Et voyant ses bienfaits sur la nature entière, Noyé dans les splendeurs de l’astre au front vermeil, Il ne reproche pas ses taches au soleil! III Le Barde A La Fleur. O douce et tendre fleur éclose avec l'aurore De son midi brûlant le jour est loin encore, Pourquoi t'incliner pâle et triste ainsi que moi? Attends que le soleil ait voilé sa lumière, Attends que le trépas ait fermé ma paupière, Car je voudrais m'éteindre et passer avec toi! Pauvre petite fleur, qui petit causer ta peine? N'as-tu pas des zéphirs la caressante haleine? N'as-tu pas les rayons et les baisers du jour? Pour les fleurs l'existence est-elle aussi sans charmes, Ou quelque papillon t'a-t-il laissé les larmes Quand toi, tu lui donnas les parfums de l'amour? A te voir mourir belle et si jeune, je pleure; Pour briller, tous les deux nous n'avons eu qu'une heure Nos destins sont pareils: attends-moi pour partir! Du barde et de la fleur la vie est passagère, Et nous mourrons, hélas! sans laisser à la terre, Toi, ton parfum si doux, et moi, mon souvenir! IV La Nacelle. Glissant sous sa voilure blanche, Comme un cygne qui fend les airs, Mon esquif léger qui se penche, Ride l’azur mouvant des mers. Sa voile s'élève et s'abaisse Au souffle naissant des zéphirs Comme un sein ému qui s'affaisse Sous de voluptueux soupirs. Que j'aime à regarder cette onde Qui passe auprès de mon bateau, A voir dans la vague profonde Mon image courir sur l'eau! De l'onde ou du vent qui soupire Sentant le souffle inspirateur, J'écoute alors chanter ma lyre Qui prélude ainsi sur mon coeur: « Peut-être une beauté rêveuse « De son regard doux et pensif, « Suit dans sa course aventureuse « Mon rapide et fragile esquif. « Peut-être elle croit du rivage « Découvrir un oiseau des mers, « Qui mollement se berce et nage « Sur le roulis des flots amers. « Mais cet oiseau, c’est ma nacelle « A moi, pauvre et jeune orphelin, « Qui n'ai que l'ombre de son aile « Pour abriter mon front chagrin. « Veux-tu beauté douce et pensive, « Partager mon léger bateau, « Et dans ma barque fugitive, « Avec moi demeurer sur l'eau! « Je t'aimerai dans le délire « De ma jeune et pudique ardeur, « Comme aime l'amoureux zéphir « Le sein parfumé de la fleur. « Je t'aimerai comme la rive « Aime le flot, qui sur ses bords « Murmure d'une voix plaintive « De mélancoliques accords. « Pour toi, d'un amour sans mélanges « Exhalant les chastes douceurs, « Je t'aimerai, comme les anges « Au ciel doivent aimer leurs soeurs. « Je prierai la vague calmée, « De nous bercer plus mollement, « Quand ton front, ô ma bien-aimée, « Reposera sur ton amant. « Je prierai la brise marine, « Quand l'ombre succède au soleil, « D'effleurer ta tête enfantine « Et de caresser ton sommeil. « Et lorsque l'astre du mystère « Sur nous versera ses rayons « Dans notre barque solitaire, « Comme deux jeunes alcyons, « Nous dormirons en paix sur l'onde; « Ou muets d'amour tous les deux, « Dans notre course vagabonde, « Nous rêverons sur les flots bleus. « Et bercés au branle des lames, « Comme les anges dans les cieux « Doucement nous fondrons nos âmes « Dans nos baisers silencieux. « Oh! viens, beauté douce et rêveuse « Partager mon léger bateau, « Viens, dans ma barque aventureuse, « Avec moi demeurer sur l'eau! » V Le Lac Des Goyaviers Et Le Piton D’Anchaine. A M. Gaudin, Ingénieur en chef à l'île Bourbon. I Salut, beau lac d’azur, dont l’onde paresseuse Caresse en murmurant sa rive harmonieuse! Dans ton sein calme et pur comme un vaste miroir Le ciel aime à mirer les étoiles du soir; Et, dans son vol léger, la joyeuse hirondelle Aime à toucher tes flots du duvet de son aile; L’oiseau capricieux, en son rapide essor, Les franchit d'un seul trait pour les franchir encor, Sur ton sein endormi se berce et se balance, Et cent fois dans les airs en se jouant s'élance. On dirait cet insecte aux brillantes couleurs, Qui promène en tous lieux ses volages ardeurs, Passe, comme un zéphyr, de corolle en corolle, Et, fécondant les fleurs de son amour frivole, Boit leur suave haleine et leurs gouttes de miel, Et, sylphe aux ailes d'or, remonte vers le ciel. II Beau lac, sur les gazons que ton flot calme arrose La colombe des bois s'arrête et se repose; Et, voilant ses amours dans l'ombre des rameaux, Suspend son nid à l'arbre incliné sur tes eaux. Pour embellir tes bords la jam-rose odorante Ombrage de son fruit ton onde murmurante, Pour charmer tes échos l'arbrisseau du maïs Berce parmi ses fleurs le chant des bengalis; Et, ridant ton azur, la poule d'eau sauvage Montre sur tes flots bleus son bleuâtre corsage. L’ouragan déchaîné, qui mugit dans les monts, Quand son souffle orageux descend dans ces vallons, Epargne le bassin où ta vague demeure Et son courroux charmé te caresse et t’effleure. Phoebé, de ses lueurs blanchissant tes roseaux S'arrête aux bords du ciel pour contempler tes eaux. Tout s’embaume en ces lieux d'amour et d'harmonie. N'es-tu pas le séjour de quelque heureux génie? Des ondes et des bois respirant la douceur, Je t'écoute, et je crois être auprès d'une soeur Qui gronde en souriant, dont la voix jeune et pure Douce comme ton eau qui se plaint et murmure, Semble, en me caressant, me reprocher tout bas De vivre dans un monde où le bonheur n’est pas; Et mon âme, à sa voix, s'abat sur ton rivage, Comme un cygne battu par les vents et l’orage, Et, rêvant au doux bruit de tes mourants accords Voudrait se faire un nid à l'ombre de tes bords. III Mais comme un chaste amant du calme et du mystère, Comme un coeur exilé du reste de la terre, Goûtant le doux repos des bois silencieux, Quel est l'heureux mortel habitant de ces lieux? C'est vous, mon vieil ami, de votre humble chaumière Votre main vint m'ouvrir la porte hospitalière. C’est ici qu'incliné sous le fardeau des ans, Débarrassé du poids de ces travaux pesants Qu'a portés jusqu'au but votre noble courage, Vous avez élevé dans un endroit sauvage Ce solitaire abri, ce modeste séjour, Où vous coulez en paix, au déclin de vos jours, Les heures que les cieux vous réservent encore. Dans cet humble réduit que nul faste décore, La main qui vous guida fut celle du malheur; Mais le revers jamais n'abattit un grand coeur! La plainte et les regrets sont indignes du sage, Eh! qu'importe! ô mortels, qu'un oiseau de passage Ne trouve dans les lieux qu'il effleure en passant Que des rochers battus du flot retentissant, Que d'incultes déserts et de sombres ruines? S'il délasse un moment ses pieds sur les épines, Il rêve à son retour les gazons et les fleurs; Puis il reprend son vol, car son but est ailleurs. IV Salut mon vieil ami! de mes oeuvres novices, Lisant à votre goût les modestes prémices, Au censeur éclairé de mes secrets travaux Je ne viens pas offrir quelques essais nouveaux; Mais comme un barde enfant sur les monts de l'Ecosse Marchant accompagné de ma muse précoce, De ces mornes je viens admirer la hauteur, Respirer des hauts lieux le souffle inspirateur Et, dérobant mon front sous le dais des nuages Rêver au bruit lointain des vents et des orages; Et, suivre du regard, comme l'esprit des airs Qui plane incessamment sur ces rochers déserts L'oiseau blanc du tropique errant de cime en cime Et dépassant leurs fronts de son aile sublime. V Asseyons-nous ensemble à l'ombre des palmiers... Ceux qui dans ces rochers sont venus les premiers, Intrépides chasseurs, pour gravir sur ces pentes, Aux racines d’affouches, aux lianes rampantes, S'attachaient, et portaient dans leurs abris secrets La mort aux habitants de nos sombres forêts. Mais aux lieux où jadis une forêt sauvage Déployait dans les airs son luxe de feuillage, Des caféiers en fleurs, de jeunes orangers, Balancent aujourd'hui leurs rameaux étrangers; Et pour le voyageur brisé de lassitude, Forment une oasis de votre solitude. Aux veines du rocher qui filtre ses cristaux, Recueillant avec soin le blanc filet des eaux, Le lit creusé par vous pour l'onde errante et pure Vous porte sa fraîcheur et son léger murmure; Et l'oiseau que son bruit avertit en passant, S'abreuve et dans les airs monte en vous bénissant. Sa faim glane après vous dans votre champ prospère, Les grains qu'y laisse exprès votre bonté de père; Il vous aime, il vous chante, et les zéphyrs surpris S'étonnent dans ces monts de bercer des épis. Cependant sous leurs fruits dont le poids les incline Vos arbres inégaux penchent sur la colline; Où la pêche offre à l’oeil son tendre velouté, Comme la joue en fleur de la jeune beauté. Mais des champs paternels qu'habita votre enfance Votre coeur a gardé la douce souvenance; Et, plein du souvenir de vos premiers beaux ans, Respirant le passé dans les parfums présents, Vous prodiguez vos soins à ces tiges légères, Fleurs d'un autre climat et pour nous étrangères. Sur le cours murmurant des limpides ruisseaux Vos lilas odorants suspendent leurs berceaux, Et dans l'ombre et l'oubli la tendre violette, Comme vous simple et douce et comme vous discrète Verse dans vos gazons sa timide senteur. O Dieu, soyez touché de son humble bonheur! Oh! gardez-lui toujours d'aussi chastes délices! Que le vent de ses fleurs respecte les calices, Et de ses bananiers que le fruit nourrissant Jaunisse aux chauds rayons d'un soleil mûrissant! Dans son lac calme et bleu que le flot soit limpide, Que l'aquilon jamais ne le trouble et le ride; Que ses jours soient exempts d'amertume et de fiel Qu'il partage longtemps avec l'oiseau du ciel L'ombrage et les épis de ses bois romantiques! Conservez-lui, mon Dieu, leurs grâces poétiques, Et, que tout soit propice à ses travaux heureux! VI Au fond de ces ravins, par un temps orageux, Les eaux ayant grossi le cours de la rivière, Quinze fois le soleil, reprenant sa carrière, Vous a vu seul, errant, vous faisant un abri, Ou d'un boukan désert, pittoresque débri, Que l'esclave marron laissa sur son passage; Ou d'un rocher miné par le temps et l'orage, Qui peut-être a servi de refuge au chasseur; Et sous lequel alors, mon noble ingénieur, Vous avez, satisfait de votre humble retraite, Dormi le doux sommeil d'un chaste anachorète. VII Mais quel est ce piton dont le front sourcilleux Se dresse, monte et va se perdre dans les cieux? Ce mont pyramidal, c'est le piton d'Anchaine. De l'esclave indompté brisant la lourde chaîne, C'est à ce mont inculte, inaccessible, affreux, Que dans son désespoir un nègre malheureux Est venu demander sa liberté ravie. Il féconda ces rocs et leur donna la vie; Car, pliant son courage à d'utiles labeurs, Il arrosait le sol de ses libres sueurs. Il vivait de poissons, de chasse et de racines: Parfois, dans la forêt ou le creux des ravines, Aux abeilles des bois il ravissait leur miel, Ou prenait dans ses lacs le libre oiseau du ciel. Séparé dans ces lieux de toute créature, Se nourrissant des dons offerts par la nature, Africain exposé sur ces mornes déserts Aux mortelles rigueurs des plus rudes hivers, Il préférait sa vie incertaine et sauvage A des jours plus heureux coulés dans l'esclavage; Et, debout sur ces monts qu'il prenait à témoins, Souvent il s'écriait: Je suis libre du moins! Cependant, comme l'aigle habitant des montagnes, Qui du trône des airs descend vers les campagnes, Sur la terre et les champs plane avec majesté, Et, s'approchant du sol par sa proie habité, La ravissant au ciel dans sa puissante serre, Reprend son vol royal et remonte à son aire; Le noble fugitif, abandonnant les bois, De son mont escarpé descendait quelquefois; Il parcourait les champs, butinait dans la plaine, Et revolant ensuite à son affreux domaine Par l'âpre aspérité d'un sentier rude et nu, Invisible aux regards et de lui seul connu, Il regagnait bientôt sa hutte solitaire. VIII Hélas! ô liberté, pour te voir sur la terre, Il faut gravir des monts les rocs abandonnés! Tu ne te montres plus sur les bords fortunés Où la Grèce à ta voix, brisant la tyrannie, Rayonnait de splendeur, de gloire et de génie. Où trouver désormais la trace de tes pas? Tes enfants sont tombés sous le fer du trépas; Et Salamine encor pleure sur son rivage Ses beaux jours oubliés dans un vil esclavage. Sur ce globe asservi tu n'as plus de séjour. Quel peuple est aujourd'hui digne de ton amour? Les habitants du Nord, ces Vandales sans gloire, N'ont pas même en leur coeur conservé ta mémoire Chaque jour se vautrant dans la fange et les fers, Ils ajoutent des rois aux rois qu'ils ont soufferts Des illustres Germains ces bâtards sans courage Ne sont bons qu'à croupir dans un lâche esclavage! Tu vins, en t'exilant des champs de Marathon, Demander un refuge au sol de Washington, Et, prenant ton essor des plaines de l'Attique, Sur les bords arrosés par le flot atlantique, Tu portas ton amour à ces nouveaux mortels, Dont les mains à ta gloire élevaient des autels. Mais ils te proclamaient en rivant des entraves, En foulant à leurs pieds des millions d'esclaves, Et ces libres d'hier ne savaient qu'opprimer! En les voyant si vils tu n'as pu les aimer; Et, rejetant l'encens de leur culte adultère, Tu répandis des pleurs et tu quittas la terre. Un peuple... mais hélas! son astre s'est éteint. De tes fils la victoire a trahi le destin; Et la Pologne a vu la hyène des batailles De ses derniers enfants dévorer les entrailles. Et, les maîtres du Nord ont applaudi des mains! Oui! tyrans sans pitié, tigres à traits humains, Vous avez applaudi! votre bouche infernale A souri dans sa joie, à cette heure fatale Où le Cosaque affreux, de son bras triomphant, En violant la mère, égorgeait son enfant! Et nous, peuples abjects, nous, vils troupeaux d 'esclaves Nous n'avons pas su vaincre ou mourir pour ces braves! Et le ciel, sans s'armer de ses foudres vengeurs A souffert les forfaits de ces rois égorgeurs! Et les esprits heureux, les martyrs et les anges N'ont pas uni contre eux leurs célestes phalanges! Et l'Éternel a vu des attentats pareils Sans leur lancer aux fronts ses cieux et ses soleils! Non! le ciel n'eut pour eux ni foudre ni tempête Ah! quels pensers alors je roule dans ma tête (1) Doutant d'un juste Dieu pour la première foi, J'étouffe dans mon coeur tout sentiment de foi; Et je maudis la terre et l'homme et le ciel même Et dans mon désespoir vomissant le blasphème, Je ne vois dans celui qui créa l'univers Que le soutien du crime et le Dieu des pervers! Tes fils sont tous tombés; ils dorment sous leurs armes; O liberté, le barde ira verser des larmes Aux lieux où s'éteignit ton règne le plus beau. La Pologne n'est plus qu'un immense tombeau, Et pleurant sur leurs fers, ses vierges désolées Dans les antres du nord gémissent exilées. Leurs yeux flétris, hélas! s'éteignent dans les pleurs, Comme on voit par degrés le doux éclat des fleurs Passer et se faner sous des gouttes d'orage. Mais c'est en vain, tyrans, que gorgés de carnage, Vous vous osez flatter que vos glaives sanglants Ont de la liberté frappé tous les enfants, Et pour jamais éteint dans le sang des victimes D'un feu noble et sacré les ardeurs légitimes! Sachez qu'il est encor de généreux mortels Qui de la liberté serviront les autels! Qu'il lui reste les coeurs de ces nobles Anchaines, Qui sauront secouer le vil poids de leurs chaînes Et, loin de leurs tyrans, des débris de leurs fers, Lui bâtiront un temple au milieu des déserts! VI A Toi, Toujours A Toi. En vain sur la terre étrangère, Le souffle d'un sort rigoureux A poussé la barque légère, Qui porte l'objet de tes voeux. Son coeur que la vague incertaine N'a jamais séparé de toi, Rêvant à la rive lointaine Où ton souvenir le ramène, Revole à toi, toujours à toi! Aux lieux, où sa voix importune Du ciel implore les faveurs, Il est allé de la fortune Cueillir pour ton front quelques fleurs; Et s'il gémit sur le veuvage Des instants passés loin de toi, Il espère un jour sans nuage; Et pour ranimer son courage Il pense à toi, toujours à toi! Quand la nuit a ramené l'heure, 0ù l'amour, aux jours d'autrefois, Le conduisait vers la demeure Où l'appelait ta douce voix; Son front pensif se décolore, Il pleure... il est si loin de toi! Et quand revient briller l'aurore, Les larmes qu'il répand encore Coulent pour toi, toujours pour toi! D'une jeune et chaste tendresse Son coeur t'a donné tout le miel, Il n'a qu'un regard de tristesse Pour les vierges d'un autre ciel. Quand il voit la beauté sourire, Douce et pensive ainsi que toi; Un nom sur ses lèvres expire: Il se trouble et sa voix soupire: Mais c'est pour toi, toujours pour toi! Sur les bords gazonnés des rives Rêveur il vient s'asseoir souvent; Il plaint les feuilles fugitives Qu'emporte la force du vent. Son oeil suit la nue inconstante Qui semble s'envoler vers toi; Et si dans sa tristesse il chante Une plainte vague et touchante; Elle est pour toi, toujours pour toi! De la muse qui le console, Les accents lui sont toujours chers; Souvent avec elle il s'isole Sur l'écueil baigné par les mers. Dans la mousse la vague expire: Il la contemple... il songe à toi. Et ses doigts effleurent sa lyre, Dont la triste voix qui soupire Parle de toi, toujours de toi! L'oiseau qu'un ciel sévère exile Du nid qui cacha ses amours, Revole à son secret asile Avec le soleil des beaux jours. Celui qui te pleure en silence Ainsi retournera vers toi. Pour se consoler de l'absence, C'est dans cette douce espérance Qu'il pense à toi, toujours à toi! VII A Monsieur N. R. De La Serve. (De l'île Bourbon) I Le Salaze a vu les orages Cent fois, d’un vol impétueux S’abattre du sein des nuages Sur son sommet majestueux. Vaine fureur! rage inutile! Le Piton géant de mon île Opposait sa face immobile Aux coups des autans furieux; Vainqueur des vents et du tonnerre, Il voyait passer leur colère, Ses pieds forts toujours dans la terre, Sa tête toujours dans les cieux! Et quand la sereine nature Succédait aux vents irrités, Il voyait flotter la verdure Des monts qu’il avait abrités. L’arbuste à la feuille éphémère, L’arbre à la tige séculaire, Du ciel défiant la colère, Voilaient les rochers ombragés; Et l'onde de ses larges veines, Tombant en cascades hautaines, Allait abreuver dans les plaines Les champs qu'il avait protégés. Pour ce sommet sans chevelure, Pour ce front haut et sans cimier, Pas de panache de verdure, Jamais de gracieux palmier. Mais qu'importe, ô Piton sublime! Tes pieds dépassent toute cimee De l’Ether franchissant l’abîme Ton ombre au loin couvre les mers! Ta masse résiste aux orages, Et des monts à qui tu surnages Nul ne porte au sein des nuages Plus haut la tête dans les airs! Que t'importe aussi qu'on t'oublie, Homme loyal au coeur altier? Qu'importe à ta tête fléchie De vieillir chauve de laurier? N'éclipses-tu pas de ton ombre Ces envieux, au regard sombre, Grêles rivaux, jaloux sans nombre, Trop bas pour des yeux immortels? Des élus tu portes le signe, Mais tu le sais, caprice insigne, Ce n’est jamais qu'au plus indigne Que nous élevons des autels! Aujourd'hui que l’océan gronde Que la tourmente a commencé, Qui doit, Français d'un autre monde, Sauver votre esquif menacé! Sans guide, hélas! sur l'onde il flotte; Où donc est-il votre pilote! Qu'il parle et que de sa voix haute Il commande aux flots révoltés! Vaine attente! leur lâche audace Du mérite usurpe la place; Mais quand le péril est en face A quoi servent ces nullités! La Serve, en nocher plus habile Combattant le flot mutiné, Oh! qu'avec éclat pour ton île Ta forte voix eût résonné! Libre organe d’une âme ardente, Ta bouche austère, indépendante, Cratère à la lave éloquente, Pour nous eût enflammé les coeurs! Mais le mérite, on le rejette; Dans l'ombre inutile il végète, Et c'est à sa tombe muette Qu'on rend les éternels honneurs! II Aussi, paisible et grave, auguste intelligence, Tu ne t'en émeus pas, tu gardes le silence. Tu sais que l'homme oublie: et calme et satisfait Ton coeur dans le passé voit le bien qu'il a fait, Et goûte, au sein des bois et de la solitude, De tes devoirs remplis la douce quiétude. Ta conscience heureuse, asile des vertus, Se repose des jours mauvais et révolus; Comme la fleur s'endort dans sa dernière haleine Après avoir donné ses parfums à la plaine. Ton pays rend justice à ta haute équité. De ta dette envers lui ton coeur s'est acquitté; Et cela te suffit. Que ta voix généreuse Se taise ou serve encor ta patrie oublieuse! Mais moi, je parlerai: car j'ai pour le malheur Des accents qu'à mon âme a dictés le Seigneur. J'irai, je chanterai; ma jeune Poésie Demandant ta chaumière aux bois de Salazie, Sur ton front, à défaut de lauriers et de fleurs, Répandra ses accords, son amour et ses pleurs. III C'est toi dont l'éloquence ardente et filiale Rendit à ton pays sa voie coloniale, Et pour ses intérêts, au conseil agités, Fit parler dans ses fils ses hautes volontés T'associant toujours à toute action bonne, C’est toi que pour son bien ne devança personne; C'est toi qui, déplorant l'abus des vieilles moeurs De pensers libéraux ensemençais les coeurs; Toi qui, des préjugés flétrissant l’existence, Aux uns prêchais l’amour, à nous la patience; Et d’une oppression inique et sans pitié Ne pouvant nous sauver, nous pris en amitié! Et moi, je me tairai! jeune homme sans mémoire Je resterai sans voix devant la noble histoire! Non! l'on ne dira pas qu'oublieux du passé Je n'aurai pas chanté le juste délaissé, Et que mon luth, gardant un silence complice, Se sera tu jamais devant une injustice! IV Amassez-vous, vents des orages, Soufflez du nord à l'occident, Et du dais obscur des nuages Voilez l'éclat du firmament! Jalouse des feux de l'aurore, O nuit! la dois-tu voir encore, Du trône riant du matin, Chasser par degrés tes ténèbres, Et blanchir tes ombres funèbres A son reflet doux et lointain. Ouvrez-vous! répandez vos ondes, Vastes cataractes des cieux, Éteignez les flammes fécondes De l'astre aux rayons glorieux! Sur le firmament sans étoiles, Obscurité, jette tes voiles, Sur notre globe étends la main; De ténèbres couvre la terre, Et que cette nuit sans lumière Soit une nuit sans lendemain! Oh! quelle nuit profonde et sombre! Des cieux désertant le séjour, Soleil, astre vainqueur de l'ombre, T'es-tu donc voilé pour toujours? La terre est morne et taciturne, L’étoile à la voûte nocturne N'a pas allumé son flambeau; Le ciel est comme une urne obscure, Et tout semble dans la nature Dormir du sommeil du tombeau. Mais, regardez! voici l'aurore Qui lève ses rideaux d'azur; L'ombre blanchit et s'évapore Aux bords de l'orient plus pur. L'aube, ouvrant sa molle paupière, Du faible éclat de sa lumière, Sème les premiers feux du jour. L'air est pur, l'horizon est rose, Le ciel que la lumière arrose Semble sourire avec amour. Mais l'astre a fait pâlir l'aurore, Tout cède à sa vaste clarté: Il chasse, il aspire, il dévore Les vapeurs de l'obscurité. Repliant ses voiles funèbres, La nuit, sur son char de ténèbres, Fuit à son aspect glorieux Et, s’élançant dans sa carrière, Il monte éclatant de lumière Sur le trône azuré des cieux. V Ainsi, monstre exécré, dont la serre homicide Étouffe le talent dans son germe timide, Reptile dont le souffle impur et venimeux S’épanche incessamment sur tous les noms fameux; Toi, dont le dard caché brûle de sa piqûre Tout ce qui, dans les cieux, lève une tête pure, Toi que l’enfer pétrit d’un fétide levain, Toi qu’enfin l’homme abhorre et que l'on nomme Envie, Et que l'heureux mortel qu’attend une autre vie Ne voit que des hauteurs d’un sublime dédain. Ainsi tu veux ternir dans ta rage jalouse Le talent qu’on admire et que la gloire épouse; Mais détestant l'éclat dont le mérite a lui, Tu te places en vain entre la terre et 1ui! Rampe! tu ne dois pas obscurcir la lumière! Rampe! puisque c'est là ta nature première! Rampe! et maudis toujours toute chose à bénir! Rampe! et darde au génie un oeil sanglant et sombre! Tu ne pourras jamais éclipser de ton ombre Son astre éblouissant qui luit sur l’avenir! Et vous, ambitieux, rivaux aux mains débiles, Dont la faiblesse aspire aux charges difficiles, Pour des fardeaux si lourds vos bras sont chancelants Imposez donc silence à des voeux insolents! Il faut la main géante à l’oeuvre colossale! Faites place! inclinez votre tête vassale, Et ne disputez plus au noble élu des cieux La place où veut siéger votre orgueil ridicule; Car il faut pour prétendre aux grands travaux d'Hercule Sentir couler en soi le sang du roi des dieux! Amis, ouvrons les yeux au jour qui nous éclaire A ces vils intrigants ne jetons pour salaire Qu’un éloquent sourire et de justes mépris! Du talent méconnu reconnaissons le prix! Que l'avenir répare un oubli réparable, Et ne croupissons plus dans une erreur coupable! Vous êtes abusés par un reflet vermeil! Ce nuage enflammé que la lumière dore, C'est l'ombre et non le Dieu que la nature adore; Levez plus haut les yeux, c'est là qu'est le soleil!. . . VIII Amour. Amour présent du ciel, félicité suprême, Que ne puis-je exhaler sur la lyre que j'aime, Dans la chaste douceur des plus tendres accents, L'ineffable délire où tu ravis mes sens! Mais ma voix est débile, et ma bouche glacée Ne peut trouver des mots pour peindre ma pensée. Je le sens, et mes yeux se remplissent de pleurs. Il faut pour t'exprimer le langage des fleurs, Le souffle harmonieux de l'amoureux zéphyre, Ou les accords plaintifs de l'onde qui soupire. Amour, qui fus toujours mon rêve et mon bonheur, Amour, toi qu'en mon âme un ange du [...] A mis, dans sa pitié, pour m'aider sur la terre A porter mon fardeau d'ennuis et de misère; Adoucis chaque jour ma peine et ma douleur, Épanche, o fleur du ciel, tes parfums dans mon coeur. Ta présence ici-bas, c'est la douce rosée Qui répand la fraîcheur sur la vie épuisée, Le seul éclair de joie et la goutte de miel Qui de nos jours amers adoucissent le fiel. Jamais le malheureux ne résiste à tes charmes; Sous sa morne paupière il sent tarir ses larmes, Quand, de ta douce main caressant ses douleurs, Ta lèvre vient baiser ses yeux mouillés de pleurs. La gloire, vain écho que notre orgueil adore, L'ambition plus vaine et plus frivole encore, Des biens et des honneurs la triste vanité, Valent-ils un regard de la jeune beauté; Quand, semblable à la fleur qui s'entr'ouvre au zéphyre, Sa lèvre épanouie exhale son sourire? Amour, céleste amour, le seul bonheur c'est toi! Sois-donc mon seul désir, règne à jamais sur moi! Enivre-moi toujours des baisers de ta bouche, Que ton sein à mon front serve à jamais de couche, Et, captivant mon âme à la molle langueur, Que mon dernier soupir s'exhale sur ton coeur! Aux autres, des trésors la splendide opulence! Mais à moi, dont le coeur, s'ouvrant à l'espérance, Dans un désir plus doux s'est toujours renfermé, L'angélique bonheur d'aimer et d'être aimé! Du chêne au large faîte, à l'orgueilleux feuillage, Je ne recherche pas la fraîcheur et l'ombrage; Sous l'humble citronnier, sous le jeune arbrisseau, Sur la rive où serpente le limpide ruisseau, Sur les bords gazonnés où la fraîcheur repose, Oiseau faible et sans nom, c'est là que je me pose Pour chanter mes amours, belles comme les fleurs, Douces comme un parfum, pures comme les pleurs, Qui brillent dans les yeux de la naissante aurore. O Dieu! Dieu trois fois bon, toi que mon âme adore, Toi qui prêtes l'oreille à nos faibles accents, Reçois du haut du ciel mes voeux et mon encens! Ta bonté paternelle ombrage la nature, Tu suspends à nos bois leur luxe de verdure, Tu donnes à nos champs et de l'ombre et des eaux, De la mousse et des nids aux petits des oiseaux, Aux gazons altérés des gouttes de rosée, La fraîcheur de la nuit à la terre embrasée, Au matin jeune et frais de brillantes couleurs, Des larmes aux remords et des parfums aux fleurs; Tu donnes au printemps de suaves corbeilles, Des ailes à la brise et du miel aux abeilles; A mon coeur donne aussi son beau songe d'amour Ce doux et vague objet qu'il rêve nuit et jour! Ah! j'ai besoin d'aimer! mon âme aimante et tendre, Dans une autre soi-même aspire à se répandre! Toi qui vois mes secrets et qui lis dans mes voeux, Toi qui connais, mon Dieu, l'épouse que je veux, A mon coeur donne enfin son rêve poétique, Cette idéalité d'une grâce pudique, Cet être plus aimé, plus tendre qu'une soeur, Cet ange de beauté, d'amour et de douceur. Oui, souris, ô Dieu bon! à ma jeune espérance, Et ma voix bénira mon heureuse existence; Et jusqu'à son déclin j'en charmerai le cours, En vivant pour aimer et chanter mes amours! IX Orage A Salazie. The sky is changed! BYRON Mais le ciel change! et la nuit de ses ombres A sur les monts grandi l'obscurité; Du firmament sous ses voiles plus sombres Elle a voilé la tremblante clarté. Dans le lointain la tempête s'avance: De tous côtés règne un morne silence; Et l'on dirait, muette en sa terreur, Que la nature, à travers les nuages, Entend venir le bruit sourd des orages, Et contemple la nuit dans sa sublime horreur. L'air est pesant. Une chaleur fétide Du sein du sol se répand dans les airs; Et par moments une clarté livide De l'horizon sillonne les déserts. Oh! quelle nuit! le ciel dans sa colère Va se donner en spectacle à la terre! Et, déchirant ses voiles ténébreux, Dans son ivresse et sa fougue effrénée, Va révéler à mon âme étonnée Quelque chose de grand, d'imposant et d'affreux! Dans son courroux, le mortel qu'on outrage, Courbant un front sombre et silencieux, Reste muet de délire et de rage: L'éclair s'allume et jaillit de ses yeux, Son regard fixe étincelle de flamme, Et tous ses traits ont réfléchi son âme. Sous sa paupière on ne voit pas les pleurs, Mais sa prunelle a brillé de vengeance; Et, tout à coup, sortant de son silence, En paroles de flamme il répand ses fureurs. Telle est la nuit. Nuit sombre et glorieuse, Tu ne fus pas destinée au repos! Dans ses transports mon âme audacieuse Veut se mêler à ton vaste chaos. La pluie encor n'a pas versé son onde; Vers ces pitons la foudre approche et gronde Et dans les cieux roule avec majesté; Sa grande voix comme un mont qui s'écroule, Ou sur ses bords la mer qui se déroule, D'une clameur profonde emplit l'immensité. Mais écoutons! La voix de la tempête Monte et s'accroît et grandit dans les airs; Le firmament s'enflamme sur ma tête Aux feux sanglants des rapides éclairs; Le ciel s'émeut, les aquilons mugissent, D'un bruit affreux les échos retentissent, Sur les rochers, dans le sein des forêts, Brille et s'éteint une flamme écarlate; Et le tonnerre avec fracas éclate, Et bondit en grondant de sommets en sommets. C'est à ton tour! réveille-toi, terre, Sors des langueurs d'un auguste sommeil! De ton repos, profanant le mystère, La foudre vient de hâter ton réveil. Réveille-toi! De tes superbes cimes, De tes forêts, de tes profonds abîmes, Fais résonner les échos les plus forts; Réponds ta voix à la voix des nuages; Aux mille éclats des vents et des orages A leurs transports tonnants réponds par tes transports! Et le tonnerre, avec un bruit horrible, Ouvre la nue et vomit ses fureurs; Et des rochers la voix forte et terrible Semble lutter de désordre et d'horreurs. O vents d'orage, ô foudres, ô tempêtes, Emportez- moi dans les lieux où vous êtes, Entourez-moi de votre majesté! Et, sur mon front déchaînant vos ravages ' De vos plaisirs et de vos jeux sauvages Laissez-moi partager la mâle volupté! Oh! que ne puis-je ainsi que le tonnerre, Dans mon délire étonner les mortels! Que n'ai-je aussi les cent voix de la terre Pour révéler mes pensers solennels! Mais sous mes doigts, de ma lyre impuissante Je presse en vain la corde obéissante; Ma voix est frêle et mes sons languissants. Terre, cieux, nuit, foudre aux ailes de flamme, Oh! prêtez-moi, pour exhaler mon âme, Prêtez-moi votre voix! prêtez-moi vos accents! X Bonsoir. En appareillant de la rade de Saint-Denis. La nuit au front brillant d'étoiles Amène l'instant du départ, Et le vaisseau fuit sous ses voiles Des bords où vole mon regard. Je suis la barque fugitive Qui vous reconduit vers la rive, Vous que mes yeux veulent revoir; Mais, hélas! la nef vagabonde S'éloigne et disparaît sur l'onde. Bonsoir, ô mes frères, bonsoir! Le souffle des nuits qui se lève Nous entraîne insensiblement; Par intervalles, de la grève J'entends le sourd mugissement. L'unique ami de mon jeune âge Sur les rocs déserts du rivage En pleurant est venu s'asseoir; Aux faibles rayons des étoiles Il voit au loin blanchir nos voiles. Bonsoir, mon triste ami, bonsoir! De mon plus doux ange en ce monde J'ai reçu les baisers d'adieux, Et me voilà seul, seul sur l'onde, Emporté vers de nouveaux cieux. Là bas qui m'aimera comme elle? Ah! cette pensée est cruelle! Je pleure. . . Et d'un crêpe plus noir La nuit couvre notre navire, Et ma voix faiblement soupire: Bonsoir, o ma mère, bonsoir! Hélas! un compagnon fidèle, Mon pauvre chien me cherche en vain; Ma soeur à ses cotés l'appelle Et sur lui laisse errer sa main. Léchant la main qui le caresse, Ses yeux semblent avec tristesse Interroger son désespoir; Assise au seuil de ma demeure, Ma soeur se tait, mais elle pleure. Bonsoir, ma pauvre soeur, bonsoir! Oiseau pêcheur, vers le rivage Tu reviens au coucher du jour; Tu vas rejoindre sur la plage La compagne de ton amour. Tandis que l'ombre t'y ramène, Vers d'autres lieux le vent m'entraîne. Sur les bords que tu vas revoir Porte ma plainte et ma tristesse; Mais il s'éloigne avec vitesse. Bonsoir, heureux oiseau, bonsoir! Et des monts les sommets sublimes Déjà sont voilés à mes yeux. Pics abaissés des hautes cimes Recevez mes derniers adieux! Lorsque l'astre de la lumière Demain reprendra sa carrière Hélas! je ne pourrai plus voir Le beau ciel bleu de la patrie; Adieu donc, ma terre chérie! Bonsoir, ô mon pays, bonsoir! XI Un Clair De Lune Sous La Ligne. A Josselin D** Et la reine des nuits au pâle et doux rayon, Prend son essor léger des bords de l’horizon, Et monte en se berçant dans les airs qui blanchissent; A son brillant aspect les étoiles pâlissent, Effaçant dans l'azur leurs timides clartés. Mais la tendre lueur coule à flots argentés Et fait briller des mers la surface immobile. Le jeune homme au front triste, à la marche débile, Chérit, douce Phoebé ta pieuse splendeur; Tu sembles d'un regard caresser son malheur; En secret il exhale à ta paisible flamme, Les soupirs douloureux que renferme son âme. Le timide orphelin, dans le monde isolé, Le poète et l'amant, le sensible exilé, Et la vierge au front pur qu'embellit la lumière, Lèvent aussi vers toi leur humide paupière. Tu reposes les yeux, la pensée et le coeur. Combien de fois, amant de ton calme rêveur Je suis venu m'asseoir aux bords de la colline, Pour écouter au loin la tendre mandoline, Soupirant sous les doigts d'une chaste beauté, Les accords inspirés par ton astre enchanté! Combien de fois encore, à ces paisibles heures Où l'ombre de la nuit s'étend sur nos demeures, Quand ton pâle croissant flottait à l'horizon, J’ai promené mes pas sur l'humide gazon Où ton jour affaibli glissait avec mollesse! Du saule aux longs rameaux éclairant la tristesse Tu dormais à mes pieds sur la mousse et les fleurs, Et, du dôme des bois perçant les profondeurs, Plus loin tu blanchissais le noir cyprès des tombes, Le toit de la chaumière et le nid des colombes; Tu planais sur les monts comme l'ange des nuits, Et ta chaste lumière endormait mes ennuis; Et la belle de nuit, frêle et mystérieuse, S'ouvrait aux blancs reflets de ta 1ueur douteuse; Comme elle, je sentais mon coeur s’épanouir, Et mes tristes pensers semblaient s'évanouir, Et sous ton ciel serein dont le jour la captive, Seule et pensive alors, ma muse moins craintive A la brise des soirs abandonnait ses vers Que semblait écouter le silence des airs. Et, cette nuit sur l'onde où ma nef est bercée, Je m'abandonne encore à ma vague pensée, En te voyant flotter dans le ciel vaste et pur Comme un navire aussi sur une mer d'azur. Qu'il est doux de rêver à tes muettes flammes Qui viennent près de moi se jouer dans les lames! Tu sembles effleurer d’un vol mystérieux Le flot calme et profond de l'océan des cieux, Et le rayon qui pleut de ton croissant nocturne Vient baigner ma paupière et mon front taciturne. Bel astre, n'es-tu pas l’éden et le séjour Des mortels dont les yeux se sont fermés au jour; L'asile fortuné, la flottante demeure, De ceux que l'on aimait et qu'ici-bas l'on pleure? Peut-être que l'un d’eux, en ce même moment Où mon oeil te contemple aux bords du firmament, Suit aussi des hauteurs de ta céleste sphère Notre globe natal, notre paisible terre, Dont l'orbe voyageur sur l’abîme emporté De l'espace et des cieux parcourt l’immensité. Ah! lorsque le trépas aura clos ma paupière, Mon âme, libre enfin de sa prison grossière, Dans le fluide éther balançant son essor, Ira se reposer sur ta planète d'or! Là, tel qu'un exilé dont la vue attendrie Revoit avec transport le ciel de la patrie, Mais qui, des jours passés gardant le souvenir, Songe au pays lointain qu'il apprit à bénir; Âme heureuse et rendue à ma gloire première, Je chercherai parfois à ta molle lumière, La terrestre planète où j'ai reçu le jour, Et la suivrai long-temps avec des yeux d’amour. Je me rappellerai les lieux où mon enfance Sous un joug oppresseur a gémi sans défense; Où mon coeur jeune encor rêvait au bruit lointain De la chanson du nègre et du bobre africain; Où le souffle embaumé, de la brise alisée Rafraîchit de nos fleurs la corolle épuisée; Où l'oiseau du Bengale et les tendres ramiers Viennent gémir d'amour à l'ombre des palmiers; Où les ruisseaux coulant au milieu des savanes Portent leur doux murmure au seuil de nos cabanes Je me rappellerai mon splendide soleil Fécondant nos rochers de son rayon vermeil, Et ces arbres dont l'ombre, abritant ma jeunesse, Caressait de mon corps l'africaine mollesse: Le vaste tamarin où j’aimais à m’asseoir, Et qui ferme sa feuille aux approches du soir, Le letchy, balançant ses grappes de fruits roses Comme un rosier chargé de boutons et de roses; La colline onduleuse exhalant la fraîcheur, D'où l'on voit sur les mers la barque du pécheur; Les fronts aériens des Salazes sublimes Dont aucun pied mortel n'a profané les cimes. Je me rappellerai les bords de la Dumas, Lieux aimés du printemps, inconnus des frimas; C'est là que j'ai grandi sous les yeux de ma mère C’est là que s'élevait sa modeste chaumière, Dont le toit dominait les vastes champs de riz, Comme un nid balancé dans des rameaux fleuris. Je me rappellerai ces lieux de ma naissance Que ma soeur parfumait de grâce et d'innocence; Et mes yeux pleureront avec des pleurs d'amour, Et sous les saints lambris de l'éternel séjour, Mariant ses accords à ma voix attendrie, Ma lyre chantera mon ancienne patrie. XII Les Bois Détruits. A mon excellent Ami, L. FERY D'ESCLANDS (de l'Ile Bourbon). I J'ai vu des nobles fils de nos forêts superbes Les vieux troncs abattus dispersés dans les herbes, Et de l'homme aussitôt j'ai reconnu les pas; Renversant de ses mains l'oeuvre des mains divines, Partout sur son passage il sème les ruines Et les débris et le trépas. Mais songez ce qu'au temps il a fallu d'années Pour voiler de fraîcheur ces rives couronnées De berceaux de verdure et d'arbres imposants! Hélas! il faut au temps des siècles pour produire, Et l'homme, en un moment, peut abattre et détruire L'oeuvre séculaire des ans! Peut-être avant le jour où ma tête blanchie S'appuiera sur mon sein pesante et réfléchie, Revenant à ces lieux demander leurs abris, Je reverrai des monts sans verdure et sans ombres, Et, pleurant en secret nos solitudes sombres, Je gémirai sur leurs débris. Alors, ainsi qu'un fils au tombeau de sa mère, Je verserai les chants de ma tristesse amère Dans ces bois où passa la dévastation; De pleurs j'arroserai ces montagnes arides, D'où jadis ont coulé sur mes lèvres avides, L'amour et l'inspiration. Sur ces monts éthérés, qu'un souffle tiède embaume, Ma muse, blonde enfant qui naquit sous le chaume, Vers des cieux bleus et purs essaya son essor; Et, butinant le miel des fleurs de Salazie, Elle errait en cueillant sa fraîche poésie, Comme une abeille aux ailes d'or. Mais fermons notre coeur aux douloureux présages. O gigantesques monts où dorment les nuages, De vos arbres sur nous inclinez les berceaux; Défendant vos beaux flancs des haches meurtrières, Nos mains conserveront à vos têtes altières Leurs chevelures de rameaux. Et vous, doux habitants de ces lieux solitaires, Hommes simples et purs aux moeurs hospitalières, Respectez-les, ces bois qu'ont respectés les ans! Laissez sous leur verdure et leurs ombres profondes Rêver les couples blancs, jouer les têtes blondes, Des colombes et des enfants. Joignez à l'arbre altier de la forte nature L'humble arbuste où l'oiseau trouve sa nourriture; Aux bords de vos ruisseaux au cristal argenté Laissez croître et rougir la framboise inodore, Pareille aux frais boutons que l'âge fait éclore Au sein de la jeune beauté. Que la brise, agitant vos touffes de jam-roses, Épanche autour de vous la douce odeur des roses; Que leur dôme embaumé s'incline sur les eaux; Sous leur voûte abritez vos maisonnettes blanches, Comme on voit, suspendus dans l'épaisseur des branches, Les nids ombragés des oiseaux. Fermez l'oreille aux voeux d'une vaine opulence; De sagesse et d'amour vivez dans le silence. Le bonheur le plus pur vient de la paix des coeurs. Mais chassez l'étranger de vos bois centenaires, Car il profanerait de ses mains mercenaires, Vos forêts vierges et vos moeurs! II Qu'ont-ils fait de nos champs, qu'ont-ils fait de nos terres, Ces enfants vagabonds des rives étrangères? Sur nos grèves jetés par le vent des malheurs, Avec bonté notre île accueillit leurs douleurs, Les adopta pour fils, et bonne et tendre mère, De tendresse et d'amour allaita leur misère. Abritant leurs fronts nus, de son ciel vaste et pur Elle étendit sur eux la coupole d'azur; Sous leurs pieds, écartant les épines jalouses, Elle ouvrit le velours de ses molles pelouses; Fit chanter, pour bannir leurs souvenirs amers, Les oiseaux de ses bois et les flots de ses mers, Et, pour charmer leurs coeurs par de tendres paroles, Leur donna l'amour pur des naïves créoles. Mais tes fils adoptifs ont trahi tes bontés! Ils ont porté la mort dans tes champs dévastés. Le vil amour de l'or étouffant dans leurs âmes Des nobles sentiments les généreuses flammes, Ils ont privé ton air des ses peuples d'oiseaux, Tes sylphes de leurs fleurs, tes nymphes de leurs eaux; Et, sapant tes forêts, ô ma mère! leur glaive Fit tomber de ton front ta chevelure d'Ève! Et nous avons souffert que leurs bras effrontés Missent à nu les flancs qui nous ont enfantés! Et sous nos yeux, ils ont de leurs mains libertines Profané les secrets de tes formes divines! Et nous l'avons souffert! et nos justes fureurs N'ont pas banni, chassé ces hommes destructeurs, Que la vague en courroux, rebuts d'un autre monde, Déposa sur nos bords, comme une vase immonde! O misère! ô malheur! ce n'est pas tout encor, Car ils nous ont légué leur appétit pour l'or; A leur souffle empesté notre âme s'est flétrie; Nous n'avons plus au coeur l'amour de la patrie! De la terre natale où dorment nos aïeux Nous éloignons nos pas, nous détournons les yeux; Nous n'aspirons qu'au jour où, gorgés de richesses, Fuyant ces lieux, berceaux de nos pures jeunesses, Nous pourrons dans le sein de tes lointaines cités, Étaler au grand jour nos sottes vanités! Et pour voler au but où notre espoir s'attache, Nous portons en tous lieux les flammes et la hache; Et l'on ne voit partout que des champs dépouillés, Que d'arides coteaux aux rocs noirs et pelés, Qu'une herbe rare et jaune et des arbustes fauves Sur les flancs décharnés de nos montagnes chauves; Et, courbés vers le sol, dans son ventre divin Nous plongeons jour et nuit notre glaive assassin. De nos champs épuisés que la ruine achève, Notre lèvre acharnée a bu jusqu'à la sève; Et, desséchant les seins qui nous ont nourris, Quand il n'est plus de lait dans leur vaisseaux taris, Tous gonflés et repus du sang de notre mère, Nous faisons voile, hélas! vers la rive étrangère, Où nous allons, aux yeux des superbes cités, Étaler au grand jour nos sottes vanités! III O mère inconsolable, ô pauvre délaissée, Oui, garde sur tes yeux ta paupière baissée! Je comprends ton angoisse et tes nobles douleurs, Et mêle à tes sanglots mes hymnes et mes pleurs. Plus de verte savane et de fraîches collines Où s'ouvrait la grenade aux perles purpurines, Plus de hauts cocotiers et de beaux orangers S'inclinant sous le poids de leurs rameaux chargés; Et tu ne verses plus sur la mer onduleuse, Qui vient baiser tes pieds de sa vague amoureuse, Les souffles parfumés et les douces senteurs De tes arbres si beaux, que les oiseaux pêcheurs, Fuyant des flots émus les rumeurs éternelles, Venaient s'y reposer pour embaumer leurs ailes. Mais tout n'est pas perdu, mère, console-toi! Car il te reste un fils qui t'a gardé sa foi! Qui, n'empruntant jamais son vol d'hirondelle, Quand tout te trahirait te resterait fidèle; Et qui pour te servir, jusqu'à son dernier jour, A défaut du génie aura du moins l'amour; Un noble enfant à qui tes injustes tendresses, Comme aux autres n'ont pas prodigué les caresses, Mais qui, fils généreux et fier humilié, Sans se plaindre à ton coeur de l'avoir oublié, Se souviendra toujours que ses lèvres jumelles Ont sucé l'existence à tes brunes mamelles. Il ira, cet enfant dont le front indompté Porte un sombre reflet de ta mâle âpreté, Il ira sur tes monts où siègent les nuages, Bleus-palais éthérés de l'esprit des orages; Et là, seul et rêveur, si dans l'ombre des nuits Il exhale en pleurant l'hymne de ses ennuis, Qu'on pardonne à sa voix quelque accent de colère, Car son âme séjourne où gronde le tonnerre. Il naquit pour chanter les amours et les fleurs; Mais le sort l'accabla d'incessantes douleurs; Enfant né pour le jour, persécuté par l'ombre, On l'abreuva de fiel et de dégoûts sans nombre; Aussi triste mais fier, et bravant chaque écueil, Il va seul et drapé d'un généreux orgueil. Sur les âpres sommets, sur la montagne austère, Il marche loin des yeux des enfants de la terre; Leurs injustes dédains à son âme ont appris A concevoir pour l'homme un trop juste mépris; Mais de ce coeur blessé la noblesse hautaine N'est jamais descendue au niveau de la haine; Vers un Dieu plus auguste il aspira toujours, Et pour lui la nature a de saintes amours. Les torrents écumeux, la foudre et ses ravages, Ont façonné sa muse à leurs concerts sauvages; Mais son luth amolli, pour célébrer tes bords, O mon île, oubliera ces terribles accords; Pour chanter dans les bois ta verte Salazie Sa lèvre épanchera son miel de poésie; Et le jour où, donnant dans un dernier adieu, Sa dépouille à la tombe et son âme à son Dieu, Il se reposera d'une existence amère, Tu verseras peut-être une larme de mère. XIII A Monsieur T. H. pendant sa détention pour cause politique. Souvent triste et rêveur, sur un roc solitaire Je m’assieds en portant mes regards sur la terre, Et des pleurs tombent de mes yeux. C’est qu’alors la douleur et présente et passée, De son voile de deuil ombrageant ma pensée, Courbe mon front silencieux. Puis mon regard s'élève à la voûte céleste: J'y retrouve l'ami, le seul ami qui reste A l'homme affaissé sous ses maux; Ma voix monte à ce Dieu qui dans notre détresse, Daigne encore assoupir notre amère tristesse A ses chants qui n'ont pas d'échos. Nos droits à son amour, c’est notre âme qui fume De ce céleste encens que son regard allume Dans un coeur jeune et malheureux; C'est de souffrir, hélas! d'un joug illégitime, D’être des préjugés une faible victime, Et d'être innocent à ses yeux. Juste dans ses rigueurs, jamais à l'innocence Dieu ne vient demander compte de sa naissance; Baisant au front l’humilié, Il sait, du pauvre enfant que ce n'est pas la faute, Si dans ce monde il vint, étranger, comme un hôte Que l’on avait pas convié. Qu’importe qu’on le fuie et qu’il n’ait sur la terre, Nul ami pour l’aider à porter sa misère, Aux sombres jours de son malheur? Pour relever son front que l'infortune affaisse, Pour alléger ses fers sous le sort qui l'oppresse, Ne lui restes-tu pas, Seigneur? Il a tourné vers toi son humide paupière, Tes anges dans les cieux t'ont porté sa prière, Ah! prête l'oreille à sa voix! Ses accents douloureux sont ceux de la gazelle Ceux du timide agneau qui se plaint et qui bêle Égaré dans la nuit des bois. C'est un autre Israël pleurant sa servitude, C’est l’imprudent oiseau tombé de lassitude Sur l’abîme orageux des mers; Il fait de vains efforts pour regagner la plage; Ne sauveras-tu pas cet oiseau de passage De la fureur des flots amers? Quand ces tristes pensers s’amassent dans ma tête, Tel qu'un faible roseau qu'a courbé la tempête, Mon front s'incline sur mon sein; Mon âme s’abandonne à sa douleur profonde, Et mon luth, arrosé d’une larme inféconde Demeure sans voix sous ma main. Mais plus souvent, ami, pour charmer ma tristesse, Sur la lyre, mes doigts, errant avec mollesse, Mêlent de murmurants accords Aux mille accords secrets qu'exhale la nature, Aux soupirs de la nuit, au faible et doux murmure De l'onde expirant sur ses bords. Car celui qui dispense une eau féconde et pure A l'humble fleur des champs qui germa sans culture, Comme au lis qu'arrosent nos mains; Eclaira mon esprit à sa flamme secrète, Et dans ma bouche a mis les doux chants du poète Pour consoler mes lendemains. Oh! Que j'aime le bruit des ondes sur les grèves! Alors le vague objet que caressent mes rêves Déployant ses ailes d'azur Sur le front de celui qu'a repoussé le monde, Assoupit de mon coeur la tristesse profonde A son accent plaintif et pur. Si l'astre de la nuit, entr’ouvrant sa paupière, Verse d'un jour plus doux la tremblante lumière Sur le sein endormi des eaux; Alcyon sur les flots d'une amère existence, Je gémis, et ma voix qu'écoute le silence A ses soupirs endort mes maux. Si la brise des soirs qui balance la feuille, Si le souffle amoureux d'un doux zéphyr qui cueille Des baisers sur le sein des fleurs, De son frémissement vient flatter mon oreille; Je demande à mon luth que d’une voix pareille Il chante pour sécher mes pleurs. O toi, qu'un sort fatal abreuva d'amertume, Chante donc pour charmer l’ennui qui te consume! La muse a pour le malheureux Des paroles d'amour, des secrets pleins de charmes; Elle pleure s'il pleure, et pour verser des larmes Combien il est doux d'être deux! Chante pour oublier ton affligeante histoire Pour que le souvenir qui pèse à ta mémoire En soit à jamais effacé; Comme ces monts altiers, rois géants de notre île, Qui montrent dans les cieux un front calme et tranquille Alors que l'orage a passé! Fuis le pénible aspect des misères mortelles, Ami, prends ton essor de ces rives cruelles Où gémit le faible opprimé, Vers les célestes lieux où de la poésie, Ta muse versera l'enivrante ambroisie Dans le coeur de son bien-aimé. Et sur un luth plaintif, dans une amère ivresse Exhale tes soupirs et tes chants de tristesse Avec tant d’âme et de douceurs, Que le coeur le plus dur s'attendrisse à tes peines Que ton sombre geôlier même, en rivant tes chaînes T'écoute... et répande des pleurs. XIV A Lamennais. Après une première lecture des Paroles d'un Croyant. Quand l'aigle, se berçant dans un essor sublime, Plane loin de la terre au séjour éthéré, Si son regard de roi descend sonder l'abîme Qui se creuse sous lui dans un vide azuré, A peine il aperçoit une crête élevée De ces monts, qui semblaient d'un front audacieux Porter du firmament la voûte soulevée; Tant il est haut le roi des cieux! Ainsi quand ton génie aux voûtes éternelles S'élance, en terrassant et l'esclave et les rois, Et qu'il ouvre sur nous ses gigantesques ailes Pour foudroyer d'en haut les tyrans et leurs lois; Dans sa sainte fureur, semblable au tendre père Qui soustrait aux dangers les fils de son amour, Sous toi, tu vois flotter comme une onde en poussière, Les illustrations du jour. Mais cloués sur la terre et cherchant dans les nues L'homme qui si loin d'eux s'est assis sur les cieux, Pleurant des vérités jusque alors inconnues, Comme autant de serpents, ces lâches envieux N'admirent qu'en jaloux l'astre de ton génie, Et pareils à l'oiseau fait pour l'obscurité, Qui, lorsque le jour vient, fuit et le calomnie, Ils vont blasphémant ta clarté. Leur bouche injurieuse a vomi son haleine Impure sur ton nom auguste et révéré, Mais le soleil inonde et dévore sans peine La vapeur qui voilait son rayon éthéré. Ils ont calomnié ta vie et tes pensées, Dans ton âme ils ont mis leurs sombres passions, Ingrats, ils ont jeté leurs craintes insensées Sur le vengeur des nations. Il ont dit ton coeur plein de haine et de colère, De révolte, d'orgueil, de l'esprit des enfers; Pourquoi? C'est qu'indigné, sur ces rois de la terre Qui se disent des droits à nous donner des fers, Tu t'es levé superbe, et qu'ébranlant les trônes De ta puissante main, tu nous dit: « Au combats! « Brisez! foulez aux pieds ces fers et ces couronnes « Qu'ont trop long-temps soufferts vos bras! » C'est que tu nous as dit: quand donc serez-vous libres? Peuple, jusques à quand seras-tu souffleté! D'un coeur d'homme qui bat tu n'as donc plus les fibres! Et puis tu nous fis voir l'auguste liberté Dégageant ses beaux bras des fers et de leur fange, Superbe, comme on doit la voir même au saint lieu, Mais calme, pure avec un doux sourire d'ange, Comme la fille de ton Dieu. Ils ont dit ton coeur faux, ta parole inhumaine, Que tu ne parlais pas comme parle ton coeur, Et que tu ne cherchais qu'à réveiller la haine Du petit pour le grand, du serf pour le seigneur; Et lorsque tu fais prendre à toute âme qui pense L'horrible tyrannie en exécration, Tous ces tyrans du jour craignant ton vol immense Vont t'accusant d'ambition. Mais qui donc leur a dit, pour régner sur la terre, Que voudrait le génie abandonner les cieux, Lui, dont la voix, semblable à celle du tonnerre, Effraie et fait penser les peuples déjà vieux? Ils ont dit ton coeur faux! - Cette pierre qui brille Et sème des éclairs de son sein rayonnant, Pourrait-elle darder cet éclat qui scintille Si ce n'était un diamant? Ils t'en voudront toujours! Mais de ta gloire altière Les ombres de leur haine accroîtront la grandeur; Ainsi que ces brouillards qu'empourpre la lumière, De l'astre à son lever rehaussent la splendeur; Et comme on voit une onde, errant sur nos rivages, Du roc qu'en sa fureur long-temps elle a battu Baiser les pieds, ainsi dans la suite des âges Ils ramperont sous la vertu. Mais tel qu'un exilé, sur ces plages lointaines, Quand si loin de mon sol ton chant vint jusqu'à moi, Triste je l'écoutais et regardant mes chaînes, Je me pris aussitôt à pleurer avec toi: Car je te comprenais. - Mais lorsque vint l'envie Calomnier ton coeur qui pardonne et gémit, Sans que pas un de tes chiens n'arrêtât sa furie . J'ai dit: Je serai son ami! Indigné, saisissant entre mes mains la lyre, De mes lèvres alors ont jailli ces accents; Mais, hélas! qu'a-t-il pu mon impuissant délire? Pour monter jusqu'à toi trop faible est mon encens; Semblable au bruit plaintif de ma vague africaine, Qui, mourant sur les bords de nos rochers déserts, Trop faible n'atteint pas la rive européenne Et s'évapore dans les airs! Ile Bourbon, Octobre 1854 XV Les Cloches Du Soir. Quand des cloches du soir la voix mélancolique Rappelle à sons plaintifs, sous leur chaume rustique, Le pâtre et ses troupeaux dans les champs dispersés; De mes ans révolus le souvenir s'éveille; Et dans les voix du soir je crois prêter l'oreille A la voix de mes jours passés. Où sont mes jeux d'enfant? Craintives hirondelles, Vers des climats d'azur ouvrant leurs faibles ailes, Avec mes beaux printemps ils se sont envolés; Ils ont craint des hivers les haleines trop rudes... Oh! revenez parfois peupler mes solitudes Doux fantômes des jours passés! Où sont mes compagnons d'amour et de jeunesse? Le ciel qui les aimait a trahi sa promesse; Les meilleurs dans la mort reposent embrassés; De ceux qui restent l'âme est oublieuse et fière... Rappelez à mon coeur leur tendresse première Douces voix de mes jours passés! Où donc est cette enfant toute blonde et naïve Que j'aimais jeune encor d'une amitié si vive? Du sentier des douleurs ses pas sont effacés; Et des cloches du soir, dans ta sombre demeure, Tu n'entends plus la voix qui vibre et qui te pleure, Doux sylphe de mes jours passés! O cloche, qui jadis, comme une sainte mère, Me rappelais la nuit pour dire ma prière; Quand la chaleur fuira de mes membres glacés, Que ton accent plaintif m'arrive et me console; Au ciel avec tes sons que mon âme s'envole, Douce voix de mes jours passés! XVI Le Papillon. Jeune et beau papillon, dont les ailes dorées Réfléchissent du ciel les couleurs azurées, Qui passes dans les airs comme un souffle animé, Qui disputes les fleurs aux baisers du zéphyre Et quand du jour mourant le crépuscule expire, Dors sur leur calice embaumé; Si tu vois mes amours, comme à la fleur éclose, N'offre pas ton hommage à ses lèvres de rose; Cette erreur est permise à ton oeil enchanté; Mais je serais jaloux de ton bonheur suprême: Je veux seul respirer sur la bouche que j'aime Les parfums de la volupté. XVII Adieux. A un ami qui partait pour la France. Adieu, toi dont la main sur ma pâle existence De quelques jours heureux a répandu les fleurs, Toi qui seul as voulu de mon adolescence Plaindre et partager les douleurs! Adieu! Mais ton image en mon âme attendrie Vivra malgré l'espace et les ans destructeurs; La mer peut t'éloigner du sol de ma patrie, Mais ne peut séparer nos coeurs. Ah! de quoi sert d'aimer dans cette vie amère? Chaque jour quelques pleurs viennent mouiller nos yeux; Et trop souvent, hélas! la voix qui nous est chère Vient nous murmurer des adieux. Mais en dépit des coups de mon destin rebelle Qui me fait un tourment du besoin de t'aimer, A ta douce amitié mon coeur simple et fidèle Se laissera toujours charmer. Et dans mon sein flétri, sur ce lointain rivage, Ainsi qu'un pur rayon de l'astre de la nuit, Souvent ton souvenir blanchira le nuage Que ton absence produit, Mais souviens-toi parfois qu'en ce triste silence, Et l'étoile du soir et le flambeau du jour Me verront supporter les ennuis de l'absence, Dans le rêve de ton retour. XVIII Calme En Mer. A MES AMIS E. ET J. MARINEAU (de la Martinique.) Le soleil qui descend sous la vague profonde A rougi l'occident que sa lumière inonde. Le ciel étend sur moi son pavillon d'azur; La vague en réfléchit l'éclat profond et pur, Et la nuit, déroulant ses ombres et ses voiles, Et posant sur son front sa couronne d'étoiles, Répand à mes côtés ses feux mystérieux Et poursuit dans les airs son cours silencieux. Entraîné par le sort vers de nouvelles plages, De mon pays aimé j'ai quitté les rivages; Et, voguant sur les eaux du perfide élément, Je ne vois plus que l'onde et le bleu firmament. Mais le souffle des nuits s'assoupit sur la vague; Son haleine affaiblie, indécise et plus grave, Sur le sein onduleux du liquide miroir A répandu la paix et les pavots du soir; Et comme un doux zéphyr dont l'aile familière Soulève du lion la royale crinière, Il semble, en se jouant dans l'écume des flots, Du terrible Océan caresser le repos. Quel calme sous les cieux! Quel auguste silence! Le vaisseau lentement s'incline et se balance; J'écoute, et n'entends plus que les mourants accords Du flot qui mollement vient baigner nos sabords; Aucun bruit dans les airs n'a frappé mon oreille: La nuit marche en silence et l'Océan sommeille. Mais quelqu'un avec moi de cette immensité Ressent-il dans son coeur la vague majesté? Est-il une âme aussi qui, pensive à cette heure, Et parcourant des yeux la céleste demeure, Promène un long regard sur ce dôme d'azur D'où descend de la nuit le rayon doux et pur; Et qui, du firmament étoilé de lumière, Ramène ainsi que moi sa rêveuse paupière Sur les flots assoupis de l'abîme éternel, Et contemple des mers le calme solennel? Je ne sais: mais peut-être un chérubin qui passe Et franchit de l'éther les déserts et l'espace, Suspend son vol léger, et des sphères des cieux Sur ce monde endormi porte un moment les yeux. Aux mourantes lueurs des tremblantes étoiles, Dont la faible clarté blanchit au loin nos voiles; Il voit notre vaisseau, comme un cygne des mers, Laissant tomber son aile au bord des flots amers, S'endormir au roulis des onduleuses lames, Où l'astre de Vénus fait vaciller ses flammes. Le voyageur divin, immobile et surpris, Laisse flotter sur nous ses regards attendris; Il plaint l'homme imprudent qu'un fol orgueil égare, Ou que des vains trésors l'ambition avare Expose à la fureur d'un élément fatal Et ravit au doux ciel de son climat natal; A ses champs abrités dont l'ombre et le feuillage Ont voilé tant de fois les jeux de son bel âge; A la vallée ombreuse où de paisibles eaux Murmurent en coulant sous l'ombre des roseaux; Où la colombe vient baigner ses pieds de rose Sur le bord des gazons qu'une eau limpide arrose; A ces beaux lieux enfin qu'un Dieu dans son amour, Comme un nouvel Eden, lui donna pour séjour. Et l'archange attristé plaint la douleur amère D'un ami, d'une soeur, ou d'une pauvre mère, Que cet ingrat mortel a laissés loin de lui Peut-être en ce moment, sur le bord qu'il a fui, Pensive et solitaire, et pleurant sur l'absence De l'ami que son âme adorait en silence, Une amante abandonne au souffle des zéphyrs Sa plainte douloureuse et ses secrets soupirs. Hélas! je vogue aussi loin de mon toit champêtre, Loin de l'asile aimé du champ qui m'a vu naître, Où d'un Dieu paternel la prodigue bonté A versé tout aussi pour ma félicité Mais si la soif de l'or et son ardeur servile Loin de ces lieux si chers n'est pas ce qui m'exile, En ai-je moins coûté bien des regrets amers, Bien des larmes d'adieux à ceux qui me sont chers? Angélique habitant des célestes domaines, Toi qui de l'infini parcours les vastes plaines, Guide ton vol léger vers le lointain séjour Où s'ouvrit ma paupière à la clarté du jour; Tes yeux reconnaîtront à ses hautes montagnes, A son ciel rayonnant, à ses vastes campagnes, Mon île fortunée assise au sein des mers Et montrant son front bleu dans le vague des airs. Où ma soeur me rappelle, où ma mère me pleure; Alléger des mortels la peine et la douleur Des esprits bienheureux doit être le bonheur; Va consoler les maux qu'a causés mon absence Et verse dans leur sein le calme et l'espérance Mais avant de partir, doux ange, bénis-moi! Fais d'un Dieu juste et bon que j'observe la loi Mon âge à peine échappe à celui de l'enfance; J'ai besoin d'un ami pour prendre ma défense, D'un guide et d'un appui pour diriger mes pas, Dans les hasards nouveaux que je ne connais pas. J'entreprends de mes jours le long pèlerinage, J'ai peur de m'égarer; indique à mon jeune âge Les sentiers parfumés de vertus et de fleurs. Du remords à mon âme épargne les douleurs. Débile et malheureux, prodigue à ma faiblesse L'espoir de surmonter le destin qui me blesse. Viens répandre parfois dans mon obscurité Et du bien et du vrai la divine clarté. Offre enfin à mes yeux cette épouse, cette Ève, Ce vague objet d'amour qu'incessamment je rêve; Dont la jeune beauté, la grâce et la douceur De mes jours d'ici-bas consoleront mon coeur. Et quand pour m'abreuver d'une douce tristesse, Je livre à ses pensers ma rêveuse jeunesse, Et que je vais d'un pas mélancolique et lent, M'asseoir près des ruisseaux sous l'ombrage coulant, Alors pour consoler ce qui dans moi soupire, A mes doigts inspirés prête parfois la lyre. XIX A Mes Amis E. Et L.G. sur la mort de leur soeur Pourquoi donc as-tu fui dans le pays des âmes? Pourquoi mourir, toi qu'on aimait? Elise MOREAU Le zéphyre amoureux en vain cherche la rose Qu'il caressait hier de son souffle embaumé, Et demain ce ruisseau vers les bords qu'il arrose Peut-être aura cessé son cours accoutumé. Tout brille et tout s'éteint! tout vit et tout expire! De la mort tôt ou tard nous subissons l'empire. Sur ces tristes pensers j'aime à fixer mon coeur. Hélas! où sont allés ceux pour qui je soupire? Heureux ceux qui sont morts dans l'esprit du Seigneur! Sur le fleuve du temps je poursuivais ma route: D'un esquif, que berçait le flot silencieux, Un chant plaintif montait vers la céleste voûte; Sur une femme alors j'ai reposé les yeux. Mais tout à coup la mort l'emporta dans son aile. Sur les flots attristés j'ai dit: « Où donc est-elle? » Et mon coeur se perdit dans sa vague éternelle: Heureux ceux qui sont morts dans l'esprit du Seigneur! Tandis qu'elle passait, les fastes de la terre Ont couronné son front de leurs vaines splendeurs; Mais ses yeux les ont vus comme une ombre éphémère S'évanouir bientôt sous le vent des malheurs; Et ce front où brillait l'éclat de la richesse, A porté sans pâlir le poids de sa détresse La fortune a changé sans abattre son coeur. Mais où reverrons-nous cet objet de tendresse? Heureux ceux qui sont morts dans l'esprit du Seigneur! Mais nos maux sont d'un jours et la vie est rapide. L'espérance allégeait sa lourde adversité; Car elle avait compris dans son âme intrépide Que l'onde où nous passons roule à l'éternité. Ah! de son jeune enfant pressant la tête aimée, Elle n'a pu douter, ma mère heureuse et charmée, Qu'un immortel amour ne soit le seul bonheur; Et son regard lisait sur la voûte enflammée: Heureux ceux qui sont morts dans l'esprit du Seigneur! Hélas! elle a passé comme une ombre légère! Et vous, frères chéris, qu'en ses derniers instants Elle a demandés à la terre étrangère, Vous ne l'entendrez plus sur le fleuve du temps Charmer par ses accords les échos de la rive. Sa voix vient d'expirer dans sa note plaintive; Et vos regards en vain, dans leur morne douleur, Chercheraient sur les flots sa trace fugitive. Heureux ceux qui sont morts dans l'esprit du Seigneur! En vain la tendre fleur d'un parfum solitaire Embauma les gazons et les bois d'alentour, En vain la tendre fleur fut l'amour de la terre; Jamais l'affreux trépas n'eut pitié de l'amour. Riche encor de beauté, de jeunesse et de sève, L'impitoyable mort la frappa de son glaive. Hélas! près des boutons je ne vois plus la fleur! Qui leur rendra l'amour que ce jour leur enlève?... Heureux ceux qui sont morts dans l'esprit du Seigneur! Voyez ce chêne antique au paternel ombrage, Où toujours le malheur rencontrait un abri; Les souffles orageux ont brisé son feuillage; Il n'est plus désormais qu'un auguste débris. Il a vu ses rameaux mourir dans leur jeunesse: Deux fleurs restaient encor pour parer sa vieillesse, Et l'une tombe, hélas! au souffle du malheur! Ah! qui pourra tarir les pleurs de sa tristesse? Heureux ceux qui sont morts dans l'esprit du Seigneur! Ces sanglots, ces soupirs, cette plainte éternelle, Sont d'une autre Rachel qui pleure et ne veut pas Qu'on cherche à consoler sa douleur maternelle, Car ses fils sont tombés sous la faux du trépas. Pauvre coeur éploré, pauvre mère abattue, La mort a dispersé ta famille éperdue! Dieu seul peut te parler dans ta sainte douleur; Et sa voix te redit jusqu'à toi descendue: Heureux ceux qui sont morts dans l'esprit du Seigneur! Quand le tendre ramier a déployer son aile Pour chercher la pâture aux fils de son amour, En couvrant ses petits, sa compagne fidèle Meurt sous le bec sanglant du féroce vautour. C'est ainsi que la mort la trouva sans défense. Ah! lorsque le ramier reviendra de l'absence, Enfants, pour adoucir sa mortelle douleur, Répétez lui parfois ces doux mots d'espérance: Heureux ceux qui sont morts dans l'esprit du Seigneur! M'abreuvant de tristesse à la voix du zéphyre Qui se plaint et gémit dans le cyprès des morts, Je viens sur ce tombeau, de ma voix qui soupire, Mêler l'accent plaintif à des sombres accords. Et mon front sur mon sein moins tristement retombe O vous, qu'a délaissés la mourante colombe, Venez sous ces cyprès consoler votre coeur; Car une voix nous dit dans la paix de la tombe: Heureux ceux qui sont morts dans l'esprit du Seigneur! XX Couplets. Fille des mers, à qui l'onde africaine Aime à donner ses baisers les plus doux, Qui dans les cieux levant un front de reine, Brave des airs l'orage et le courroux; Daigne tourner vers nous tes yeux de mère, Nous dont la voix monte pour te bénir, Nous qui buvons à la gloire prospère De tes jours à venir. Fille des mers, île heureuse et chérie, Tes défenseurs ont droit à notre encens; Leurs noms aimés au nom de la patrie Seront unis en nos faibles accents. Dans leurs talents que ta tendresse espère, Pour ton salut ils combattront toujours; Et nous buvons à l'avenir prospère Des plus beaux de leurs jours. Fille des mers, aux vertus, au mérite, Des dignités accorde les faveurs, Et de tes fils que l'injustice irrite D'un même amour récompense les coeurs. Le talent seul, qu'un jour plus vaste éclaire, A ton amour plus qu'un autre a des droits; Et nous buvons à la santé prospère Des élus de ton choix. XXI L’Oiseau. L'astre de la nuit s'avance Dans l'azur pâle des cieux, Voici l'instant du silence Dans les bois mystérieux. La brise du soir effeuille La fleur éclose au matin, A mes pieds glisse la feuille Qu'emporte un souffle incertain. Au bruit de l'eau sous l'ombrage Dont la voix chante en coulant, Au murmure du feuillage Qu'agite un souffle inconstant; Pourquoi mêler une plainte O triste et charmant oiseau, Dont je vois l'image empreinte Dans l'azur de ce ruisseau? Dis-moi pourquoi tu soupire Ces mélodieux accords, Dont le bruit plaintif expire Parmi les fleurs de ces bords? Appelles-tu ta compagne, Lui dis-tu que le soleil Vient de fuir sous la montagne Et nous invite au sommeil? Au doux nid qui vous rassemble Qui s'oppose à son retour? Vous y reveniez ensemble Au déclin de chaque jour. Je le vois, seul en ces heures Où règne la paix des nuits, Ton coeur s'alarme et tu pleures Le veuvage et ses ennuis. Mais si quelquefois une ombre Aux lieux qui lui furent chers, Revient avec la nuit sombre, Au bruit des tristes concerts; Errante aux pieds du vieux saule, Sur les gazons et les fleurs, Ta compagne se console Aux doux chants de tes douleurs. Car une larme qui tombe, Un secret soupir de deuil, Vont consoler dans leur tombe Ceux qu'enferme le cercueil. Il doit être doux d'entendre, Dans le calme du trépas, Une voix plaintive et tendre Pour nous soupirer tout bas; Et de voir, dans cet asyle Où l'homme est enseveli, Tandis qu'un monde futile Sur nous a jeté l'oubli, Tous ceux dont notre tendresse Avait captivé les coeurs, Répandre dans leur tristesse Des prières et des fleurs! Quand j'aurai quitté la terre, Semblable au petit oiseau, O ma soeur, viens solitaire, Viens prier sur mon tombeau! XXII A Une Femme. I fall upon the thorns of life! I bleed! SHELLEY Des ombres du malheur mon front triste se voile, Mon horizon est sombre et mon jour est obscur; Mais dans mon ciel éteint, ô ma fidèle étoile, Je vois briller toujours ton rayon doux et pur. Lorsque pour me punir tout fuit et m'abandonne, Tendre pour mes erreurs ton coeur me les pardonne; Sans me blâmer jamais tu gémis avec moi; Et, sensible aux douleurs que ta bonté partage, Tu couvres de ta voix la clameur qui m'outrage. Non! il n'est point au ciel d'ange meilleur que toi! Si d'un sourire encor la sereine nature Peut réjouir mon oeil morne et désenchanté, C'est qu'elle a de ton âme, ô noble créature, Le sourire ineffable et l'auguste beauté. Si le courroux des vents en guerre avec les ondes, A réveillé des mers les colères profondes, Mon coeur peut être ému mais ce n'est point d'effroi! Des hommes et des flots que me font les tempêtes?... Mais cette vague, hélas! qui gronde sur nos têtes, M'enlève à ton beau ciel et m'éloigne de toi! T'en souvient-il? assis aux bords de la colline, Par un beau soir de mai, nous rêvions tous les deux; Un souffle tiède et pur embaumait ta poitrine, Mais des larmes voilaient tes yeux tristes et bleus. Ton pâle et doux sourire à mes regards de frère Révélait de ton coeur le douloureux mystère: D'un sort cruel déjà nous subissions la loi. A confondre nos pleurs j'ai trouvé bien des charmes! Que m'importe aujourd'hui l'amertume des larmes, J'ai connu la douceur de pleurer avec toi! Soeur, à mon amitié tu fus toujours fidèle, Femme, tu vins à moi quand je fus délaissé, Ange, tu m'abritas à l'ombre de ton aile, Et ton coeur à m'aimer ne s'est jamais lassé. O ma rose d'enfance, ô ma fleur la plus chère, Je puis songer du moins qu'il est sur cette terre Une âme riche encor de tendresse et de foi! De mon lac trouble ou bleu tu fus toujours le cygne. Et la plus adorée est aussi la plus digne Du noble et saint amour que j'ai conçu pour toi. Que l'homme en son orgueil me condamne et m'accuse, Qu'il se lève et s'acharne et marche sur mes pas, Qu'il blâme avec dédain mon amour pour la muse, Il pourra me briser, il ne me ploiera pas! Aux souffles des autans j'opposerai la tête, Car mon coeur se dilate au vent de la tempête Et j'aime à voir bondir les flots autour de moi! Bercé par le courroux de la vague orageuse, Je laisserai flotter ma barque voyageuse, Insoucieux de l'onde et ne rêvant qu'à toi. Et si le sort un jour trahissant mon courage, Je m'affaissais vaincu sous le flot triomphant, Mais toujours insoumis et défiant l'orage Et les coups acharnés contre un débile enfant; Dans cet instant suprême, incliné vers la tombe, Ma lèvre déjà froide, ô ma sainte colombe, Murmurera ton nom pour la dernière fois; Et sur les flancs brisés de ma barque qui sombre Je descendrai mourant dans ma demeure sombre, L'âme et les yeux levés vers le ciel et vers toi! XXIII En Réponse A Des Vers. Quand le triste Alcyon gémit, Bercé par la vague dormante, Sa voix glisse et tombe mourante Sur le flot calme qui frémit. Mais si le pauvre oiseau des mers, Lorsque son chant plaintif expire, Entend une voix qui soupire Au loin répondre à ses concerts; Il suit sur le flot bleu qui dort La voix qui pleure et le console, Et pour elle au souffle qui vole Il abandonne un doux accord. Attentive à mes premiers chants, Quand ta généreuse indulgence A ma muse dans son enfance Adresse des conseils touchants; Hélas! pourquoi ne puis-je aussi, Comme l'Alcyon qui soupire, Tirer des cordes de ma lyre De doux chants qui disent: « Merci! » (Bourbon, 1834). XXIV A M. W.F..., En Réponse A Ses Vers. Alors que de Colomb la barque courageuse, Déployant sur les flots son aile aventureuse, Allait braver l'abîme et l'onde et le trépas; Redoutant pour sa nef la tourmente et l'orage, Des amis alarmés déploraient son courage; Mais lui.... ne les écouta pas! Du Dieu qui l'inspirait suivant la noble trace, Le succès couronna sa généreuse audace. Son geste fit éclore un magique univers, Et tout à coup, debout sur la vague enchaînée, Il surgit aux regards de l'Europe étonnée, Maître d'un monde et roi des mers. Mais je n'ai pas tenté sa sublime conquête, Que peux-tu donc, ami, redouter pour ma tête? Que me font après tout ces flots où tu me vois! Ah! je voudrais tomber, mais semblable au tonnerre, En laissant dans ma chute, au ciel et sur la terre, L'auguste clameur de ma voix. Je l'avouerai: rêvant d'une illustre mémoire, Mon âme ardente et jeune a courtisé la gloire; Mais ma faiblesse, hélas! a trompé mon essor: Pour braver les autans mon aile est trop fragile; Le ciel ne donna point au bengali débile Le vol superbe du Condor. Fermant l'oreille aux voeux d'une jeunesse avide, Humble et soumis je marche où le destin me guide. Dieu, qui donne aux uns l'ombre, aux autres les splendeurs, Fit l'aigle pour planer dans un ciel de lumière, Le soleil pour remplir sa brûlante carrière, Et moi pour chanter mes douleurs. Mes douleurs!... noble enfant de la Calédonie, Où la brise murmure une austère harmonie, Tu n'as jamais connu ma sombre passion, Car tu n'as pas gémi sous un bras qui t'opprime, Car tu n'as pas maudit, impuissante victime, Une implacable oppression. D'un lait fécond l'étude a nourri ta jeunesse; Les bardes immortels de Rome et de la Grèce Ont passé devant toi dans leur sublimité; Et sur les monts brumeux de l'Écosse orgueilleuse, Égarant à pas lents ton enfance rêveuse, Toi, tu goûtas la liberté! Moi, dès mes premiers jours de vie et de souffrance, L'oeil voilé du bandeau d'une épaisse ignorance, J'ai langui dans la nuit d'un joug injurieux; Et, pliant sous le poids de ces chaînes mortelles, Mon âme, à qui la muse avait donné des ailes, N'a pu s'élancer vers les cieux. Je ne te dirai pas mes nuits noires et lentes, Le sommeil éveillé de mes heures brûlantes, Mes doutes, mes désirs de tombe et de cercueil, Mes blasphèmes sans fin, mes désespoirs sans nombre Et dans mon sein en feu l'ébullition sombre De la colère et de l'orgueil. Mais, touché de ma longue et cruelle agonie, Vers moi j'ai vu descendre un ange d'harmonie: Calme et beau, triste et doux, je crois le voir encor; Ses yeux d'un feu divin tout à coup s'animèrent, Et sa voix était grave, et ces strophes tombèrent Des cordes de sa harpe d'or: « Enfant que le Seigneur a placé sous ma garde, « Ce Dieu dont tu te plains il t'écoute et regarde, « Cesse donc, insensé, tes coupables clameurs! « Celui qui, dévoilant sa sagesse infinie, « De la terre et des cieux ordonna l'harmonie, « A-t-il pu vouloir tes malheurs? « Tu ne peux le comprendre et ta bouche blasphème: « Porte moins haut l'audace et connais-toi toi-même! « Le mal est fils de l'homme et de sa volonté. « Cet arbre aux fruits amers ombragea la nature, « Du jour où l'éternel fit à sa créature « Le présent de la liberté. « L'homme en a mal usé: voilà quel est son crime. « Du superbe et du fort, du faible qu'on opprime, « Un jour Dieu jugera l'orgueil et les douleurs. « Humble, à tes malheurs même il faut donc te soumettre, « Toi qui dois rendre compte à ton souverain maître « Du trésor amer de tes pleurs. « Qu'as-tu fait de tes pleurs? sous leurs gouttes divines « Ton âme au lieu de fleurs a germé des épines; « Et ta bouche, indocile aux célestes transports, « N'exhalant qu'en secret une plainte importune, « Pour instruire ou charmer tes frères d'infortune « Reste muette et sans accords. « D'un coupable sommeil réveille-toi, poète! « Chante la vérité sans craindre la tempête. « Contre un joug que le ciel ne voit qu'avec courroux « Tonne!.... Puis, apaisant ta sainte frénésie, « Même à tes oppresseurs verse ta poésie « Aux flots plus calmes et plus doux. « Apparais à leurs yeux des sommets de la lyre! « Quel que soit son orgueil, l'homme subit l'empire « Et des mâles talents et des nobles vertus. « Que ton luth soit une âme à la fibre sonore, « Et qu'il soit plus vengeur et plus terrible encore « Que le glaive d'Harmodius! « Dans tes fers étonnés jette un accent sublime! « Dieu, qui bénit ta cause et l'espoir qui t'anime, « Parlera par ta bouche et soutiendra ton coeur; « Et ton esprit, ouvrant ses ailes de lumière, « Tu pourras de ta nuit de fange et de poussière « Sortir rayonnant et vainqueur. » Et moi, prêtant l'oreille à ce mentor auguste, Dès lors, contre le mal et son empire injuste, J'ai fait vibrer le luth qui chantait sous mes doigts; Je n'ai pas reculé devant ma noble tâche, Et, volant à mon but sans crainte et sans relâche, Dans l'air j'ai répandu ma voix. « Honte à vous, dont l'orgueil est fécond en misères, « Vous qui foulez aux pieds la tête de vos frères! « D'un spectacle pareil le ciel est révolté! « Plus d'amour fraternel, plus de coeur magnanime; « Partout la main des juifs, partout la main du crime « Crucifiant l'humanité! « Honte à vous qui versez sur les humbles paupières « La nuit au lieu du jour, l'ombre au lieu des lumières; « A vous qui redoutez le pur éclat des cieux; « A vous qui, vous drapant de vos manteaux funèbres, « Venez comme la nuit dérouler vos ténèbres « Entre les astres et nos yeux! « Et nous, hommes déchus, infortunés esclaves, « Nous qui baisons les mains qui nous chargent d'entraves, « Honte à nous! - Dieu qui fit pour les oiseaux les airs, « Le soleil radieux pour éclairer la foule, « Et le vent pour qu'il vole et le flot pour qu'il roule, « Nous fit-il pour porter des fers? » Oh! que ne suis-je né dans cette Grèce antique Où la vie était libre et la tombe héroïque! Où la patrie, armant ses sacrés défenseurs, Roulait sur les tyrans une invincible armée; Où de la liberté la main n'était armée Que pour frapper les oppresseurs! Où la brise des mers et le vent des collines N'apportaient leurs parfums qu'à de nobles poitrines; Où, versant aux mortels de sublimes ardeurs, L'astre de la lumière et l'astre de la gloire, Pour éclairer ces lieux qu'habitait la victoire, Mêlaient leurs rivales splendeurs. Mais ces jours ne sont plus. L'Europe abâtardie Dans un sommeil de plomb dort et meurt engourdie; Le despotisme aveugle a détrôné les lois; Et, des mers de Borée aux mers de Salamine, Sur cette terre esclave et de gloire orpheline, L'oeil peut voir pulluler les rois. O toi, poète ami, dont l'humble et doux génie Épanche à flots si purs sa rêveuse harmonie, Fidèle aux jours mauvais ainsi qu'aux jours meilleurs, Toi qui connais mon coeur et qui pesas ses peines, Puisqu'en tous lieux, hélas! l'homme porte des chaînes, Viens donc vivre et mourir ailleurs! Je sais dans l'Océan une île où la nature Peut au moins dérouler une page encor pure. Le soleil est son père, et ce roi des climats, Illuminant d'amour la splendide créole, De son front couronné d'une immense auréole Écarta les sombres frimas. C'est une île au ciel riche, à l'air tiède, où la femme A des yeux de colombe et des baisers de flamme; Où le coeur s'abandonne aux penchants les plus doux, Où la vague en mourant vient chanter sur les grèves, Où la terre a des fleurs, où la vierge a des rêves Dont l'ange au ciel même est jaloux. Là, comme ailleurs, hélas! règne la servitude. Mais au sein des forêts cherchant la solitude, Nous fuirons sur les monts un tableau douloureux; Et les nuages blancs qui montent du rivage, Déploieront sous nos pieds pour cacher l'esclavage Leur voile errant et vaporeux. Nous verrons la cascade, à la bouche écumante, Épancher dans les airs une eau blanche et fumante; Sous d'antiques palmiers nous irons nous asseoir; Ils verseront sur nous l'ombre de leurs feuillages, Où les sylphes des bois et les oiseaux sauvages Dorment bercés des vents du soir. Sur les flancs du Salaze élevons nos chaumières. La nature pour nous de sublimes mystères Peuplera les rochers, les torrents et les bois; Et ce vaste piton que l'ouragan assiège, Au ciel portant sa tête et ses siècles de neige, Abritera nos humbles toits. L'illusion, l'espoir, l'amour, la poésie, Feront de notre coeur leur retraite choisie. Dans les splendeurs du jour, dans le calme des nuits, Avec le vent qui pleure, avec l'onde qui coule, Avec l'oiseau plaintif qui gémit et roucoule, A Dieu nous dirons nos ennuis. Et loin du souffle impur des cités de la terre, Nous faisant des vertus une culte solitaire, D'espérance et d'amour nous rêverons encor; Et quand la mort viendra pour affranchir nos ailes, Vers les cieux étoilés nos âmes fraternelles Ensemble prendront leur essor. XXV Le Piton Des Neiges. A MON AMI A. LIONNET. Océan, Océan, quand tes vagues fumantes Lèvent en mugissant leurs têtes écumantes, Un flot majestueux, se dressant dans les airs, Semble toucher le ciel de sa crête sublime; Comme un vaste cratère on voit fumer sa cime; Et de sa masse énorme il domine les mers! Les ondulations que son volume écrase, Viennent avec fureur se briser sur sa base; L'onde monte et bondit vers son front orgueilleux; Mais lui - voyez! - semblable au Dieu de la tempête, D'écume et de vapeurs il couronne sa tête Et semble maîtriser l'élément furieux. Tel, de ces lieux que tu domines, Superbe mont Salazien, Tel, de ces montagnes voisines Jaillit ton front aérien! Immense, éternel, immobile, Du centre élevé de mon île, Ton sommet auguste et tranquille Impose et commande aux regards; Un hiver éternel y siège, Et ton front que le vent assiège, Se couvre de glace et de neige Comme la tête des vieillards. L'oeil qui du sein des mers profondes Aperçoit ta mâle beauté, Sur la verte fille des ondes Aime ta noble vétusté. Et tu sembles dans ton silence, Du doux zéphyr qui se balance Ou de l'aquilon qui s'élance, Écouter le bruit dans les cieux; Ou comme un géant solitaire, Sur les ondes et sur la terre Fixant un regard centenaire, Rêver grave et silencieux! Lorsque le jour expire et que l'ombre est venue, Quand la lune se lève au-dessus de la nue, L'océan à tes pieds brille comme un miroir; Des cieux, l'astre des nuits blanchit les vastes dômes Et tu vois les vaisseaux comme de blancs fantômes, Glisser à l'horizon sous les vapeurs du soir Et le pauvre pécheur dont la barque rapide Bondit légèrement sur la plaine liquide, Et l'oiseau que la nuit a surpris sur les mers, Dans un vague lointain apercevant ta cime, Dirigeant leur essor ton sommet sublime Et s'avancent bercés par le souffle des airs. Et de loin sur la mer immense, L'oeil étonné du voyageur Te contemple dans le silence, Aux rayons de l'astre rêveur. Le nuage errant qui s'arrête, Paraît s'agiter sur ta crête, Comme on voit flotter sur leur tête Les blancs panaches des héros; Et ta masse antique et profonde Qu'une douce lumière inonde, Semble le bleu spectre de l'onde Debout sur l'abîme des flots! Ah! devant ta face ridée Combien de siècles ont passé? Mais sur ta cime saccadée Le pas du temps s'est effacé. Que de jours de calme et d'orage, Et de soleil et de nuage, Et de tourmente et de naufrage, Pour ton oeil séculaire ont lui? Tempête, ombre, aquilon lumière, Tout rentra dans la nuit première; Mais toi, dans ta stature altière, Tu fus alors comme aujourd'hui! Alors, comme aujourd'hui, la matinale aurore, Et le rayon mourant du jour qui s'évapore, Sur ta tête azurée ont répandu leurs feux; Et quand l'aube ou la nuit vint sourire à la terre, Dans l'empire éthéré tu brillas solitaire, Comme un phare aux reflets doux et silencieux. Alors, comme aujourd'hui, de tes rochers arides Tu versas dans nos champs les flots purs et limpides; Et, défiant toujours l'ouragan destructeur, Et drapant tes flancs nus du manteau des nuages, Comme un génie assis sur le trône des âges, Tu levas dans les cieux ton front dominateur. Pyramides de la nature, Pitons, sommets, vaste hauteur, Dont la gigantesque structure Parle à l'homme de son auteur; Monts altiers, masse indéfinie, Profondeurs et désharmonie, Qu'un propice ou fatal génie Sema dans ces lieux écartés; Éclairs sanglants, sombre nuage, Nid aérien d'où l'orage S'élance en bondissant de rage Au sein des airs épouvantés; Gouffres, flots, océan, tempête, Emportez-moi dans vos horreurs! Car j'aime à sentir sur ma tête Passer le vent de vos fureurs! J'aime à contempler vos abîmes, A mesurer vos hautes cimes, A suivre vos ondes sublimes, A me remplir de votre effroi; Aux vagues, aux vents, à la flamme, Je veux toujours mêler mon âme, Car mon coeur s'exalte et s'enflamme Et tout alors grandit en moi!... XXVI A M. A. Vinson. Oui, je pleure en ce jour, comme au milieu des chaînes Les enfants d'Israël, sur les bords odieux Où les tenaient captifs leurs vainqueurs orgueilleux, Pleuraient pour adoucir leurs peines. Comme la leur, ma lyre, aux arbres de ces bords, Muette aux chants joyeux demeure suspendue; Mais aujourd'hui pour toi sa corde détendue Essaiera de faibles accords. Pour toi qui dans la nuit chantas sur ma misère, Toi qui mêlas tes pleurs aux larmes de mes yeux, Et qui vins saluer d'un chant harmonieux Une muse humble et solitaire. Ami, mon vers que dicte un triste souvenir, C'est le premier parfum d'un coeur qui vient d'éclore; Mais des chants qu'inspira la tendre Eléonore Il doit ignorer l'avenir. Qu'importe! j'ai chanté pour charmer ma tristesse, Pour m'oublier, hélas! à mon plaintif accord; Comme à son bruit léger le flot des mers s'endort Sur le sable uni qu'il caresse. Quand le choeur des oiseaux se répand dans les airs, Quand je crois dans leur voix entendre un doux génie Que mon âme se berce à la molle harmonie De leurs mélodieux concerts. Quand la lune qui monte aux bords de la vallée, De son jour affaibli vient éclairer la nuit, Et que, triste et rêveur, par mes pas seuls conduit, J'erre ainsi qu'une ombre exilée. Quand sous les roseaux verts qu'elle vient arroser, Une onde a murmuré sa plainte fugitive; Semblable au bruit mourant qu'une lèvre craintive Laisse exhaler dans un baiser; Alors, m'abandonnant à mon vague délire, Ma poétique ardeur se répand dans ma voix; Je laisse avec amour se promener mes doigts Sur chaque corde de ma lyre. Le son qui s'en échappe est toujours un soupir, Un accent de tristesse, un murmure, une plainte; C'est la note expirante et la molle complainte D'un coeur qui cherche à s'assoupir. Je pleure... et voilà tout... et jamais je ne lève Un oeil d'ambition sur le vaste avenir, Car je sens que mes chants doivent s'évanouir Comme au réveil l'ombre d'un rêve. Mais toi, dont l'âme éclose aux feux d'un même ciel, Exhale en vers si doux sa senteur exotique, Tu peux, bien mieux que moi, pour ton front poétique Rêver un éclat immortel. Courage, enfant bercé par la vague africaine! Ta brise est de parfum et ton ciel est d'azur; Tu n'as pas à lutter contre le flot obscur Où vogue ma barque incertaine. Courage! un jour brillant sourit à ton réveil; Et cette voix qui chante à ton aube naissante, Tu l'entendras vibrer dans ta splendeur croissante Pour applaudir à ton soleil! XVII La Fleur Des Champs. A MES AMIS J. ET F. GARCIA. When we mourn the fate of birds and flowers, Our grief is just, for their doom is ours!... Fleur modeste des champs quelle est ta destinée? Tu sembles comme moi languir abandonnée. Dévoilant par degrés tes pudiques couleurs, Tu naquis tout à l'heure aux regards de l'aurore; Sur toi pour t'embellir elle a versé des pleurs: Mais tu vis délaissée, et tu vois, jeune encore, Se perdre dans les airs tes suaves odeurs. Fleur obscure et sans nom, comme moi solitaire, Dieu cacha tes destins dans un humble mystère; Et l'étoile du soir, aux tremblantes lueurs, Te verra disparaître inconnue à la terre. Sur l'azur velouté de ton sein virginal D'un ciel limpide et bleu tu réfléchis l'image; Une larme échappée au passager nuage Scintille sur ta feuille au rayon matinal; Et le jeune zéphyr qui s'éveille et voltige, Caresse en se jouant ta gracieuse tige; Sur le tapis naissant des gazons d'alentour Tu brilles balancée au vent de son amour. Mais ce qui brille, hélas! ne doit briller qu'un jour! Le ciel n'accorde aux fleurs qu'une vie éphémère. Les perles du matin, l'azur du firmament, T'embellissent en vain de leur grâce étrangère; Au milieu de sa course un astre étincelant Flétrira tes couleurs à son rayon brûlant; Et tout à l'heure, hélas! l'orageuse rafale Peut-être aura brisé ta tige virginale: Ou quelqu'indifférent de son pied inhumain, En passant, foulera l'humble fleur du chemin. Ah! puisse alors venir la vierge jeune et belle, Pour relever la fleur qui mourut avant elle, Et n'eut qu'un seul baiser du souffle du matin. Mais le soleil s'élève... Adieu, fleur solitaire! Demain ton souvenir ramènera mes pas Vers ces lieux qu'embellit ta corolle éphémère; Je n'aurai plus alors qu'à pleurer ton trépas! Jusque là cependant brille, fleur passagère! Comme toi je mourrai ... mais ne brillerai pas!... XXVIII Pense A Moi. A Mlle ISIS R..... A sad amorous flame Consumes my heart's core Oh! the peace of my bosom Is lost evermore. (Goëthe, trans.) Si tu vois une fleur, que le zéphyr délaisse, Mourir à son matin sans baiser ni caresse, Pense à moi, pense à moi! Et si tu plains l'oiseau que le vent ou l'orage Egara loin du nid qui berça son jeune âge, Pense à moi, pense à moi! Si d'un triste exilé quelque beauté frivole Repoussait devant toi l'amoureuse parole, Pense à moi, pense à moi! Et si tu vois alors ce fils d'un autre monde Au ciel lever des yeux que la douleur inonde, Pense à moi, pense à moi! Si tu vois quelque jour une funèbre pierre Où nul ne vient porter ses fleurs ni sa prière, Pense à moi, pense à moi! Et sur la tombe où gît la dépouille endormie, Si tu trouves ces mots: « Il n'eut jamais d'amie! » Pense à moi! Pense à moi! XXIX A Un Ami. I. Mes vers les plus aimés à toi je les adresse, A toi, dont l'amitié captiva ma tendresse; De l'absence parfois pour charmer les douleurs Tes yeux les reliront en se voilant de pleurs; Car ces vers, où pour moi le passé se reflète, S'ils ne sont pas l'accent d'une lyre poète, Charles, sur leurs défauts t'aveuglant à demi, Tu n'oublieras jamais qu'ils sont de ton ami. II. Hélas! pourquoi le ciel près de ton innocence N'a-t-il pas mis les jours de ma souffrance enfance? Prodiguant tes clartés à mon ciel nuageux, Tu m'aurais partagé ta lumière et tes jeux; Ta brise eût caressé ma tige humble et mobile, Ton ombre eût abrité mon front pâle et débile, Et la nuit, endormant notre berceau pareil, Eût porté dans mon sein la paix de ton sommeil; Et l'aube, te baignant des pleurs de sa rosée, En eût aussi versé sur ma fleur épuisée; Et, pour ton pauvre ami, ta nourrice et ta soeur Auraient eu dans leurs yeux un regard de douceur. Tout ce qui t'aime enfin: l'arbre dont le feuillage Te donne avec amour le frais de son ombrage, L'oiseau qui vient chanter aux bords de ton chemin, Le bengali qui boit dans le creux de ta main, Et la brise effeuillant les fleurs à peine écloses Pour embaumer ton air de la senteur des roses, Tout, voyant la bonté de ton amour pour moi, Tout m'eût peut-être aimé par amitié pour toi!... III. Mais non! j'ai dû grandir souffrant et solitaire, Sans espoir, sans soutien, sans ami sur la terre; De l'heure où je naquis, m'abreuvant de mes pleurs, J'ai fatigué les airs du chant de mes douleurs. Sous les premiers rayons de ma lointaine aurore Le spectacle du mal devant moi vint éclore, Et, devinant le sort qui m'était destiné, J'ai maudit avec Job le jour où je suis né. Mon pays de mes maux innocemment complice, Révoltait mon instinct d'amour et de justice; Car il n'offrait partout à mes yeux alarmés Que de vils oppresseurs et de vils opprimés! Ma lèvre dès ce jour désapprit à sourire, A l'âge où l'on bénit, je me pris à maudire Ce pays dont l'orgueil ravalait la fierté D'un coeur fait pour la gloire et pour la liberté! On borna mon chemin, on limita ma course, A ma soif de savoir on interdit la source D'où la science et l'art coulent à larges flots. On riva ma jeunesse à l'affront du repos!.... O mânes révérés de Virgile et d'Homère, Que la muse allaita de son doux lait de mère, Toi Byron, dont l'accent m'emplit d'un saint effroi, Ils ont placé leur ombre entre votre astre et moi! De peur que vos rayons fécondant ma poussière, Mon esprit ne brisât son écorce grossière, Et de nobles pensers fertilisant mon coeur, Je n'aspirasse au ciel dans un élan vainqueur! Encor si j'avais eu pour guider ma jeunesse D'un père qui n'est plus la fervente tendresse; Mais perdu dans sa route, et mort à la raison, Son esprit s'éteignait dans un vague horizon. Et moi, jeune orphelin, sans père et dans défense, On condamna mon front au joug de l'ignorance; Dans mon sein altéré de jour et de clarté Leurs mains faisaient pleuvoir l'ombre et l'obscurité; Et, m'enviant du ciel les splendeurs éternelles, On me creva les yeux, on me cassa les ailes!... Mais le ciel à mon vol prêta des ailes d'or, Et sur vous aujourd'hui plane mon libre essor. Dites! d'un oeil levé fixant mon vol agile, Dites! suis-je pétri de votre lâche argile? Pensez-vous que Dieu fit un front tel que le mien Pour se plier au joug?... Allez! nous n'êtes rien! Et des hauteurs de l'âme et des vertus augustes Je me vois au-dessus de vos mépris injustes! Parmi le peuple ailé de l'empire des airs, Il en est dont l'essor peut ramper dans les fers; Oiseaux dégénérés, enfants des marécages, Qu'ils peuplent dans vos cours et chantent dans vos cages; Mais ravir la lumière au noble oiseau des dieux! Mais refuser l'espace à son vol glorieux, Lui, dont l'aire est la nue et les cieux le domaine! Voilà ce qui survit à toute grâce humaine! Et quand j'oublierais tout, je n'oublierai jamais Ce forfait le plus grand de vos plus grands forfaits! IV. Oh! oui! j'ai dû grandir souffrant et solitaire! D'un oeil désespéré ne voyant dans la terre Qu'un déplorable empire où régnait le méchant, J'arrachai de mon coeur tout aimable penchant; L'amour et l'amitié, ces parfums que notre âme Exhale à son matin pour l'homme et pour la femme, Je les ai crus trop purs pour ce terrestre sol. Vers de plus hauts sommets j'ai fait monter mon vol; Et je vins reposer ma sombre inquiétude Dans les déserts de l'âme et dans la solitude. De là, jetant sur tout un sourire moqueur, De doute et de dégoût je nourrissais mon coeur; Et du bien et du beau méprisant la chimère, Je versais à ma soif une rosée amère. V. Heureux l'infortuné qui peut loin des humains D'une espérance encor dorer ses lendemains, Et qui dans l'éternel se consolant du monde, N'a pas fermé son âme à la foi qui l'inonde; Et, disant à la terre un solennel adieu, Met son espoir au ciel et se repose en Dieu! Pour lui la solitude est un bonheur suprême; Un esprit est partout qui le protège et l'aime; Le spectacle infini des bienfaits du Seigneur D'une sainte espérance a parfumé son coeur; Et, détachant ses pas des sentiers où nous sommes, Oubliant dans son Dieu l'injustice des hommes, Il verse dans celui qui voit tout d'un même oeil La tristesse et l'amour de sa pauvre âme en deuil. VI. Mais moi, j'ai dû grandir souffrant et solitaire, Sans même avoir un Dieu pour ami sur la terre! Eh! qu'importait alors à mon coeur révolté Pour des malheurs présents sa future bonté? Mes regards étonnés sur la terrestre rive Cherchaient, mais vainement, sa justice tardive! La justice d'un Dieu doit être de tous temps; A toute heure, en tous lieux, en signes éclatants, Et terrible à l'amie, et favorable au juste, Elle doit témoigner de sa présence auguste! Et pourtant je voyais sous la main du puissant Se lamenter le faible et gémir l'innocent; La sainte liberté râler son agonie Sous le fer dont les rois arment leur tyrannie; Et la tendre colombe, emblème de l'amour, Expirer dans son nid sous le bec du vautour. Je voyais l'homme - O honte! ô turpitude humaine Qui me navrait le coeur de mépris et de haine! - Trafiquant de son frère et vendant ses labeurs, S'engraisser de sa graisse et boire ses sueurs! Et le ciel cependant demeurait impassible! A nos maux, m'écriai-je, es-tu donc insensible! O Dieu bon, Dieu puissant, que veut dire ceci? Nous devais-tu créer pour t'en jouer ainsi? Les méchants seraient-ils les fils de tes caresses, Et pour l'homme aurais-tu d'inégales tendresses? Mais prêt à blasphémer, une voix dans mon coeur M'a dit: "Tais-toi! regarde et bénis le Seigneur! « Ami zélé du faible et défenseur du juste, « Contre l'arbre orgueilleux il prend soin de l'arbuste; « Sur le sommet des monts, pour l'insecte et l'oiseau, « Dans le sein de la fleur sa main verse un peu d'eau; « Et de la blonde Aurore à l'herbe des collines « Il répand la rosée en perles cristallines. « Il donne aux flots leur calme et leurs lits sablonneux, « Aux ramiers le duvet de leurs nids cotonneux, « Et, déroulant des mers les lames vagabondes, « Aux sables de leurs bords le doux baiser des ondes. « Il dit à l'astre: - éclaire! - à la terre: - produis! « A l'arbre: - donne au pauvre et on ombre et tes fruits! « A l'aquilon calmé: - que ton souffle caresse « De la rose d'un jour la flexible mollesse! - « A l'Océan ému: - dans l'azur de tes flots « De l'alcyon plaintif berce le doux repos! - « A l'onde qui gazouille et jaillit de sa source: - « Pour l'insecte altéré coule ici dans la mousse! - « C'est lui qui donne à l'heure où nous sentons la mort, « Une espérance au bon, au méchant un remords. « Sa voix sait consoler tout ce qui souffre et pleure, « Il est du mendiant le pain et la demeure, « Et du grand qu'on vénère à l'humble humilié, « Dans sa tendresse immense il n'a rien oublié! » VII. Et ma lèvre en suspens n'a plus osé maudire, Et mon esprit roula de délire en délire; Car le bien et le mal mêlés et confondus, S'offraient de toutes parts à mes yeux éperdus! Inhabile à sonder ce mélange adultère, Sans voix pour nier l'Être, irrité de le taire, De l'ombre à la clarté las de flotter ainsi, Au dieu qui m'obsédait j'ai demandé merci. Ma raison s'inclina devant le roi du monde; Je refusai mon âme au doute qui l'inonde, Et, cherchant tous les jours sans jamais rien trouver, Fatigué de penser je me pris à rêver... VIII. Je suivais les torrents dans leur chute pareille, J'aimais à leur prêter une rêveuse oreille; Ou je venais m'asseoir à l'ombre des grands bois Pour écouter longtemps leur silence ou leur voix; Et lorsqu'à l'horizon la vague orientale Réfléchissait du jour la teinte rose et pâle, Que le matin humide et riant sous ses pleurs, S'enivrait de parfum sur les lèvres des fleurs; J'aimais à contempler la splendide nature De l'ombre et de la nuit sortir brillante et pure, Et, secouant dans l'air les langueurs du sommeil, Montrer aux cieux ravis son front calme et vermeil; Ou telle qu'une femme aux formes ravissantes, Du tissu vaporeux des ombres blanchissantes Voilant à son réveil sa grâce et sa pudeur, Sous les vapeurs du jour dérober sa splendeur, Et, colorant son front d'une rougeur aimable, Sourire à sa beauté d'un sourire ineffable. IX. La terre aux premiers feux du roi pompeux du jour, Semblait s'épanouir sous des regards d'amour; Ses forêts agitaient leurs vertes chevelures Et remplissaient les airs d'harmonieux murmures; Et buvant du soleil les naissantes chaleurs, Ses vallons s'embaumaient d'accords et de senteurs. Mais elle, ardente et belle et féconde en son âme, Pour s'approcher de l'astre aux longs baisers de flamme, Dévoilant ses contours dans le bleu firmament, Semblait bondir d'amour vers son céleste amant. Et la mer, s'éveillant au rayon qui l'anime, Donnant à chaque vague un murmure sublime, Par les cent mille voix de son orgue éternel Saluait du soleil le retour solennel. Et mon âme, ivre aussi de vie et de lumière, A l'hymne universel a mêlé sa prière, Et pour mieux exhaler sa voix et son encens, Aux doux luth du poète emprunta ces accents: X. « La vague s'élève et palpite « Sur le sein onduleux des mers, « Et l'oiseau que l'aurore invite « La célèbre dans ses concerts. « La brise odorante et nouvelle, « La blanche et tendre tourterelle, « La vierge rêveuse et plus belle, « Tout lève un front calme et riant; « La rose à la lèvre vermeille, « Le zéphyr, la légère abeille, « Tout vit, tout renaît, tout s'éveille « A la lueur de l'orient. « Vis, renais, éveille-toi, lyre, « Mêle ta jeune et faible voix « A celle du vent qui soupire « Sur les ondes et dans les bois! « Fais entendre tes chants débiles, « Bien que tes cordes soient fragiles, « Semblables aux tissus mobiles « Que l'insecte suspend aux fleurs; « Qui redoutent la molle haleine « Des zéphyrs errant dans la plaine, « Et sur lesquels l'aube ose à peine « Semer les perles de ses pleurs. « Du jour l'astre éclatant s'élance « Dans l'air ruisselant de clartés, « Pourquoi rester dans le silence « Quand tout s'anime à nos côtés? « La vive et joyeuse alouette « Fait vibrer sa voix de poète; « Pourquoi resterais-tu muette « Lyre aux transports mélodieux? « Change-les en notes de joie, « Bénis ce jour que Dieu m'envoie « Et chante, ô mon âme, et déploie « Tes blanches ailes vers les cieux! « L'éther limpide et diaphane « Reçoit l'humble oiseau de nos bois; « Il monte, il se balance, il plane « Et remplit le ciel de sa voix. « Des ombres que le jour colore « Franchissant la vague sonore, « Il vole en chantant vers l'aurore; « De l'aigle à l'oeil fier et vermeil « Il n'a pas les puissantes ailes, « Et pourtant des sphères mortelles « Il monte aux voûtes éternelles « Et va chanter près du soleil. « Montez-donc, plaintes de mon âme, « Vers l'oreille de l'éternel! « L'accent qui pleure et le réclame « Arrive à son coeur paternel. « Avec la brise matinale, « Avec l'aurore virginale, « Dans ce jour, ô mon coeur, exhale « Un hymne aussi vers ton auteur! « La fibre qui dans toi murmure « Est une corde, quoique obscure, « De la lyre que la nature « Fait vibrer pour son créateur! » XI. O muse de ma lyre, ô sublime nature, Quand ta beauté s'assied sur le trône du jour, Quel barde, quel mortel, quelle humble créature N'a tressailli pour toi d'un filial amour? Du jour ou de la nuit portant le diadème, Dans les cent mille aspects de ta beauté suprême, O fille du Très-Haut, ô nature, je t'aime! Courbé sous le fardeau des préjugés humains, Comme un autre Caïn, vierge du sang d'un frère, Quand j'errais triste et seul, tu m'accueillis en mère, Et, nourrissant mon âme à ta mamelle austère, J'appris à mépriser leurs injustes dédains. Les sublimes pensers qu'en moi tu fis éclore, Sous leurs rayons divins ont fait grandir mon front; Mes ennemis l'ont vu croître et grandir encore, Marqué du noble sceau d'un honorable affront. Je n'étais plus l'enfant qu'on avait vu naguère! Je planais au-dessus de leur tête vulgaire Comme un nuage armé de foudre et de colère! Mais mon juste courroux s'est renfermé dans moi. Je ne suis pas de ceux qu'impunément on foule! J'étais au milieu d'eux sans être de leur foule, Et trop loin de leur voix dont la clameur s'écoule, Je ne les voyais pas, je ne voyais que toi! Que toi seule, ô nature, et remplis de ta gloire Mes yeux se complaisaient dans ta vaste beauté; Sur l'homme et ses travaux contemplant ta victoire, J'oubliais les humains et leur fragilité. Avant le jour, hélas! s'éteint notre prunelle; Le temps accorde une heure à notre oeuvre charnelle, Mais le temps ne peut rien sur ta grâce éternelle, Et d'un souffle sans fin ton être est animé. Dans l'auguste concert de tes voix unanimes Apaisant de mes maux les murmures intimes, Tu plongeais mon esprit dans des rêves sublimes Et consolais l'enfant que toi seule as aimé! Ils ne m'ont point aimé! sans pitié pour un frère Ils ont vendu Joseph et l'ont chargé de fers. Mais tremblez! car le ciel touché de sa misère, Un jour peut le venger des maux qu'il as soufferts! S'est-il levé pour moi ce jour des représailles? Dans mon sein, ô mon coeur, d'où vient que tu tressailles? C'est que je sens revivre et mordre à mes entrailles Le souvenir brûlant de mes maux d'autrefois; C'est que, si dans ces jours d'une existence amère, Un fils se surprenait à rougir de sa mère, Légitime bâtard, sans titre au nom d'un père, C'est à vous, à vous seuls, à vous que je le dois! A vous, fils de Jacob, dont l'indigne puissance D'un fratricide affreux a commis le forfait! Brisé, pauvre, isolé, sans état, sans naissance, Voilà quel avenir vos préjugés m'ont fait! Et, barde au luth muet, sans âme et sans mémoire, Quand la main du passé d'une exécrable histoire Déroule sous mes yeux la page la plus noire, Un chant mâle et sévère et que l'âge a mûri Ne s'élancera pas des cordes de ma lyre! Il ne jaillira pas de mon sein qui délire, Une voix qui proclame et montre et donne à lire Vos crimes burinés au front d'un pilori!... XII. Mais non!... mettons un frein au courroux qui m'enflamme Que les chants de pardon s'exhalent de mon âme; Comme Joseph devant ses frères malheureux, Oublions! l'oubli sied au mortel généreux! Qu'un coeur fait pour haïr garde et couve sa haine, Moi, plus aimant, je cède au penchant qui m'entraîne; Dieu fit, dans sa bonté, la fleur pour embaumer, Mes lèvres pour bénir et mon coeur pour aimer. Parfois, comme la mer, si ma colère écume, Comme un cratère en feu si ma bouche s'allume, Tombant à flots pressés, si mon rapide accent S'échappe de mon sein terrible et menaçant; C'est que des jours passés le nuage et les ombres Étendent sur mon ciel leurs teintes les plus sombres. Mais qu'un souffle plus pur lui rende la clarté, Il rentre dans son calme et sa sérénité; Et mon âme, semblable au lac clair et sans ride, Réfléchissant l'azur d'un ciel pur et limpide, N'exhale, humble et plaintive et tendre tour à tour, Qu'un murmure embaumé de tristesse et d'amour. Ah! qu'il arrive à toi ce triste et doux murmure, Ces vers, modestes fruits d'un arbre sans culture, A toi, mon tendre ami, mon frère par le coeur, Ce que j'ai vu jamais de plus pur, de meilleur, Toi, la perle sans prix et que recèle un monde Où tant de fausseté, tant d'égoïsme abonde; Toi qui seul as voulu me comprendre et m'aimer. Que je n'ai pas de noms assez doux pour nommer! Mon Dieu, quels sentiments peuplent le coeur d'un ange, Puisque l'on peut trouver, sur ce globe de fange, Dans le sein des mortels par ta grâce habité, Tant de douceur céleste et tant de pureté! Ah! garde-les toujours, ces vertus que j'adore, Trésor saint et caché que ta candeur ignore, Jeune homme, que le ciel a comblé de ses dons! S'il est des coeurs méchants, il en est de si bons, Que toute âme auprès d'eux devient aimante et bonne Et dans l'amour d'un seul se console et pardonne! Non! je ne les hais plus! tu me les fais aimer Ces hommes par lesquels je me vis opprimer! Car c'est au milieu d'eux que ton amitié pure, Comme un calice éclos et que la brise épure, Offrit au pauvre enfant qu'on abreuvait de fiel Les larmes du matin et les parfums du ciel. XIII. Oh! que ce souvenir que ma bouche proclame, Oh! qu'il me fait de bien en passant sur mon âme! Que Dieu te rende, ami, le bien que tu m'as fait! Qu'il te compte les jours par un nouveau bienfait! Que toujours de ton coeur le désir s'accomplisse, Et qu'il soit de tes voeux le paternel complice! A ta couche rêveuse épargnant les ennuis, Qu'un songe aux ailes d'ange embellisse tes nuits; Et marchant avec toi de la vie à la tombe, Qu'une amante aux yeux bleus, sainte et chaste colombe, Parfumant tes sentiers des plus molles senteurs, Effeuille sur tes pas son amour et ses fleurs! Mais si jamais ton ciel, se voilant d'un nuage, Faisait gronder sur toi la tempête et l'orage; Si jamais l'aquilon, troublant la paix des airs, A ton flot calme et pur mêlait des flots amers; Songe alors à l'ami qui te pleure et qui t'aime, Et répète avec lui ces doux mots que toi-même Tu murmuras jadis à mon coeur désolé, Que j'ai redits souvent et qui m'ont consolé: XIV. « La douleur, par le ciel à la terre infligée, « Jeune encore, il est vrai, t'a frappé sans pitié; « Mais pourquoi gémir seule, ô pauvre âme affligée? « Viens épancher ta peine au sein de l'amitié! « A partager tes pleurs tu trouveras des charmes. « Moi, je n'ai rien, hélas! à t'offrir que mon coeur, « Mais tu peux y verser ta secrète douleur; « Je mêlerai toujours une larme à tes larmes! « Pour aider ta faiblesse à remplir le chemin « Qui nous sépare encor des lieux où tout succombe, « Comme deux voyageurs cheminant vers la tombe, « Nous marcherons ensemble en nous donnant la main. « Quand viendra l'heure, hélas! qui tôt ou tard arrive, « Où la mort de nos jours éteindra le flambeau; « Après nous être aimés sur la terrestre rive, « Nous dormirons unis dans la nuit du tombeau! » XXX A Mon Frère. Comme l'oiseau qui craint l'hiver et les orages, Pour de plus doux climats déserte nos rivages Quand il voit s'envoler la saison des beaux jours; Suivant dans tes avis l'avis de la sagesse, Dans ce monde incertain ma docile jeunesse A voulu prendre un autre cours. Mais avec la craintive et prudente hirondelle, Mon frère, je n'ai pu par un vol infidèle Éviter de mon sort les plaisirs ou les pleurs; Et, semblable au ruisseau que son courant domine, J'irai peut-être, hélas! m'éteindre sous l'épine, Ou promener mes flots sous l'ombrage des fleurs. Car un secret penchant, une ardeur inquiète, Me porte à ressaisir le luth que je rejette, Et me force à chanter quand j'étouffe ma voix. Ainsi l'oiseau du soir séduit par le silence, Prélude à ses concerts d'amour et de souffrance Sous l'ombre nocturne des bois. Et sans s'inquiéter qu'on l'écoute et l'admire, Exhalant dans sa voix qui s'égaie ou soupire De son coeur oppressé les amoureux transports, Il chante pour chanter quand son instinct le pousse; Comme une eau qui murmure en glissant sur la mousse, Ne sait pas si ses bruits enchanteront ses bords. Mon coeur désabusé d'un éclat illusoire, Plus que le barde ailé n'a pas rêvé la gloire; Et, voyageur pensif sur le fleuve des jours, Si j'élève la voix dans ma mélancolie, C'est afin d'assoupir des pensers que j'oublie Dans mes jeunes rêves d'amours. Les enfants d'Israël, assis dans les vallées Dont l'Euphrate arrosait les rives isolées, Détachaient pour charmer leur exil malheureux La harpe de Sion aux saules suspendue, Et sentaient leur douleur dans leurs chants répandue S'évanouir avec les sons mélodieux. Et comme eux opprimé, dans les lieux où nous sommes, Portant l'injuste poids des préjugés des hommes, Si parfois dans mes yeux je sens rouler des pleurs, A de tristes pensers si mon coeur s'abandonne, Comme eux, pour oublier une autre Babylone, Laisse-moi chanter mes malheurs! Le poète qui cède au penchant qui l'entraîne, D'un joug triste et honteux ne ressent plus la chaîne; Pour adoucir ses maux il chante dans les fers. Ainsi la fleur des champs sous la ronce et l'épine Exhale, humble et cachée, une senteur divine Dont les zéphyrs légers vont parfumant les airs. A tes yeux cependant ne crois pas que j'excuse Le séduisant orgueil d'un espoir qui m'abuse: Cette ardeur de survivre aux siècles à venir, A qui ne veut qu'aimer fut toujours étrangère; Et je n'aspire pas à l'éclat éphémère, Dont brille un mortel souvenir. Oh! qu'il m'importe peu qu'oublié de la gloire, Dans la paix des tombeaux je dorme sans mémoire! Qu'un autre, sur les temps s'élançant en vainqueur, Rêve dans l'avenir une noble chimère! Mon nom, pour échapper à l'oubli de la terre, O vous que je chéris, n'a-t-il pas votre coeur? Mais humble en mes désirs, pauvre enfant solitaire, Si je n'ai pas nourri dans l'ombre et le mystère De l'immortalité le rêve ambitieux, J'en caresse un plus doux, dont la vague pensée, Ranimant l'espérance où mon âme est bercée, Me fait voir l'avenir sous un jour amoureux. Ah! posséder un ange au front pur et timide, Se suspendre d'amour à sa lèvre candide, Comme l'abeille aux fleurs pour s'enivrer de miel! Sentir sous ses baisers s'évaporer son âme, Comme on voit sur l'autel une odorante flamme S'éteindre et monter vers le ciel! Aimer, aimer, aimer et puis aimer encore, Aimer quand la nuit vient, aimer quand naît l'aurore Ne vivre que d'aimer! et quand luira le jour Où j'abandonnerai ma dépouille à la tombe, N'exhaler en mourant, comme une fleur qui tombe, Qu'un céleste parfum d'innocence et d'amour! Ah! voilà le désir qui seul remplit mon âme! Le rêve que poursuit sur des ailes de flamme Un coeur jeune et brûlant, qu'on flétri tour à tour L'injustice et l'orgueil et les dédains du monde, Et qui, sous les dégoûts dont la terre l'inonde, N'a plus de foi que dans l'amour! Sans amour, sans espoir, qu'est-ce donc que la vie? Des jours indifférents que l'on voit sans envie, Des matins sans parfums et des cieux sans flambeaux; Les rayons languissants d'un froid soleil d'automne, Un songe épais et lourd, une onde monotone Qui nous porte assoupis dans la nuit des tombeaux. Le bonheur pour notre âme est un besoin suprême. Il existe, ô mon frère, en la beauté qu'on aime! Mais nous le demandons à mille objets divers, Semblables, dans leurs cours, à ces fleuves rapides, Qui, par des lits nombreux, de leurs ondes limpides Vont porter le tribut aux mers. Les uns placent dans l'or leur unique espérance, Pour un renom futur veillent dans le silence, Aspirent en secret au sceptre des tyrans; D'autres, brigands armés pour ravager le monde, Promènent en tous lieux leur fureur vagabonde, Sous l'éclat usurpé du nom de conquérants. Tous enfin nous voulons, dans l'éclat, l'opulence, L'empire ou les honneurs, la gloire ou la puissance, Eteindre cette soif de la félicité; Mais le bonheur, hélas! n'est pas fait pour la terre! Il est au fond de tout un dégoût salutaire Dont l'homme est sans cesse attristé. Pour moi, dans cet ennui, ce dégoût indicible, Ce vide, ce néant, où le coeur trop sensible, D'un besoin inconnu sans cesse consumé, Ne trouve où reposer sa vague incertitude; J'ai voulu par l'amour charmer ma solitude: Ah qui peut se lasser d'aimer et d'être aimé! Lorsque la nuit descend et que ses voiles sombres Sur les monts obscurcis ont répandu leurs ombres, Que les brises du jour, sommeillant dans les fleurs, Au feuillage des bois ont rendu le silence, Et que l'astre du soir à l'horizon s'avance Porté sur un char de vapeurs; Pensif et contemplant l'obscurité qui tombe, Je vais, en soupirant, semblable à la colombe Qui foule à pas craintifs le sable uni des mers, Sur les bords isolés continuer mon rêve; Et mêler au bruit sourd qu'à murmuré la grève L'accent doux et plaintif de mes tristes concerts. L'Océan à mes pieds déroulant l'étendue, Dans un ciel vaste et pur la lune suspendue, Qui répand sur les flots sa tremblante clarté, Sur les rochers noircis une onde bondissante, Dans la vague des airs une ombre blanchissante Roulant sous un ciel argenté; Sur le sable amolli par les baisers de l'onde Le flot bleu déroulant sa nappe vagabonde, Dans l'éther vaporeux les lueurs de la nuit, Le lointain se fondant sous de bleuâtres brumes, Et sur la rive au loin la ceinture d'écumes Que roule en murmurant la vague qui s'enfuit; L'oiseau pêcheur des nuits de son vol taciturne Fendant les airs blanchis par le rayon nocturne, Comme l'esprit des eaux rasant le sein des mers; Et les brises du soir se jouant sur les vagues: Tout éveille en mon coeur des pensers doux et vagues Que j'aime à redire en mes vers. Je veux couler ainsi mes jours dans le silence. Ne me reproche plus mon heureuse indolence; Que pourrais-tu m'offrir pour mes rêves du coeur? Dans ces sentiers fleuris que crains-tu pour ma vie, Est-ce l'oeil des méchants, ou de la sombre Envie, La clameur importune et le rire moqueur? Dans les rocs tortueux et les gorges profondes, Quand un fleuve en grondant fait bouillonner ses ondes Et roule avec ses flots sa fange et son horreur; La foule, sur ses bords, immobile, attentive, L'entend sous les rochers rouler une eau captive Et le contemple avec terreur. Mais le ruisseau, glissant à l'ombre d'une rose, Coule en baisant la fleur que sa belle onde arrose, Et de son bruit léger ne charme sur ses bords Que l'oiseau reposant sous un dais de verdure, Ou la muse pensive, écoutant son murmure, Et sur un luth aimé méditant des accords. Semblable à ce ruisseau, ma voix faible et plaintive N'éveille pas la foule et l'envie attentive; Et si ma muse un jour, en chantant ses malheurs, Des heureux d'ici-bas vient troubler l'allégresse, Ils lui pardonneront ses doux chants de tristesse Car ils auront séché mes pleurs! 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