Méthodologies

5 courants d'apprentissage (vidéo 14:56)

La transmission - le behaviorisme - Le cognitivisme - Le constructivisme - Le socio-constructivisme


La pédagogie actionnelle
(Overmann, 2012)
La pédagogie de projet La pédagogie de la tâche



La méthode / l'approche

traditionnelle
naturelle
directe
active
audio-orale audio-visuelle
communicative (1) (2)
Diverses conceptions de l'einseingement-apprentissage Constructivisme et socio-constructivisme

Histoire des méthodologies 

Conférences vidéodiffusées
L'évolution des perspectives actionnelle et culturelle en didactique des langues-cultures (Christian Puren)



1.      La méthodologie traditionnelle.


La méthodologie traditionnelle est également appelée méthodologie classique ou méthodologie grammaire-traduction. Elle était utilisée en milieu scolaire pour l’enseignement du latin et du grec. Puis elle a constitué une méthode d’apprentissage des langues modernes qui ont par conséquent été considérées comme des langues mortes. Elle a été largement utilisée dans l’enseignement secondaire  français dans la seconde moitié du XIXème siècle. Il s’agit d’une méthodologie qui a perduré pendant plusieurs siècles et qui a contribué au développement de la pensée méthodologique. D’après Christian Puren, la méthodologie traditionnelle a donné lieu entre le XVIIIème et le XIXème siècles à des variations méthodologiques assez importantes, et a subi toute une évolution interne qui a préparé l’avènement de la méthodologie directe.

Le but essentiel de cette méthodologie était la lecture et la traduction de textes littéraires en langue étrangère, ce qui plaçait donc l’oral au second plan. La langue était conçue  comme un ensemble de règles et d’exceptions que l’on retrouvait et l’on étudiait dans des textes et qui pouvaient être rapprochées de la langue maternelle. Cependant on accordait plus d’importance à la forme littéraire qu’au sens des textes, même si celui-ci n’est pas totalement négligé. Par conséquent il existe une langue “normée” et de qualité, celle utilisée par les auteurs littéraires  qui devait être préférée à la langue orale et imitée par les apprenants afin d’acquérir une compétence linguistique adéquate. La culture était perçue comme l’ensemble des oeuvres littéraires et artistiques réalisées dans le pays où l’on parle la langue étrangère.

Au XVIIIème siècle, la méthodologie traditionnelle utilisait systématiquement le thème comme exercice de traduction et la mémorisation de phrases comme technique d’apprentissage de la langue. La grammaire était enseignée de manière déductive ( on présentait d’abord la règle, puis on l’appliquait à des cas particuliers sous forme de phrases). C’est à cette époque que s’est répandue l’utilisation d’un métalangage grammatical dans l’enseignement des langues; un métalangage dont l’héritage persiste encore aujourd’hui.

Au XIXème siècle, on a pu constater une évolution de la méthodologie provoquée par l’introduction de la version-grammaire dont les pratiques consistaient à découper en parties un texte de la langue étrangère et le traduire mot à mot à la langue maternelle. Cette traduction était le point de départ d’une étude théorique de la grammaire, qui n’occupait plus une place de choix dans l’apprentissage et ne pouvait donc plus être graduée par difficultés. Par conséquent, les points grammaticaux étaient abordés dans l’ordre de leur apparition dans les textes de base.

L’instruction de l’Education Nationale du 18 septembre 1840 donnait une explication très précise de la méthodologie traditionnelle et de son application en classe de langue étrangère dans les lycées de l’époque: 

La première année (...) sera consacrée tout entière à la grammaire et à la prononciation. Pour la grammaire, les élèves apprendront par c½ur pour chaque jour de classe la leçon qui aura été développée par le professeur dans la classe précédente. Les exercices consisteront en versions et en thèmes, où sera ménagée l’application des dernières leçons. (...) Pour la prononciation, après en avoir exposé les règles on y accoutumera l’oreille par des dictées fréquentes, et on fera apprendre par c½ur et réciter convenablement les morceaux dictés.                                                                    (...) Dans la seconde année (...) les versions et les thèmes consisteront surtout en morceaux grecs et latins qu’on fera traduire en anglais et en allemand, et réciproquement. (...) Dans la troisième année, l’enseignement aura plus particulièrement un caractère littéraire.[1]

Etant donné le faible niveau d’intégration didactique que présentait cette méthodologie, le professeur n’avait pas besoin de manuel, il pouvait en effet choisir lui-même les textes en fonction de leur valeur littéraire (subjective, bien évidemment) sans tenir vraiment compte de leurs difficultés grammaticales et lexicales. Dans ces conditions, il n’existait aucun schéma de classe et les activités se juxtaposaient dans un ordre aléatoire. C’est l’enseignant qui dominait entièrement la classe et qui détenait le savoir et l’autorité, il choisissait les textes et préparait les exercices,  posait les questions et corrigeait les réponses. La langue utilisée en classe était la langue maternelle et l’interaction se faisait toujours en sens unique du professeur vers les élèves. L’erreur n’étant pas admise, le professeur la corrigeait systématiquement comme s’il s’agissait d’un outrage à la langue “normée”, la seule admissible.

Le vocabulaire était enseigné sous forme de listes de mots présentés hors contexte et que l’apprenant devait connaître par c½ur. En effet, le sens des mots était appris à travers  sa traduction en langue maternelle. On peut donc constater que la méthodologie traditionnelle proposait un modèle d’enseignement imitatif qui n’admettait aucune variation créative de la part de l’élève. La rigidité de ce système et les résultats décevants qu’il apportait ont contribué à sa disparition et à l’avènement d’autres théories plus attrayantes pour les élèves.

D’après C. Puren, dès le milieu du XVIIIème siècle, la demande sociale d’apprentissage des langues a évolué. On a alors besoin d’une connaissance plus pratique des langues étrangères. C’est ainsi qu’on assiste à la multiplication d’ouvrages didactiques qui se prétendent universalistes (ils visent des publics hétérogènes et souvent professionnels) et que l’on a appelé “cours traditionnels à objectif pratique” (CTOP). Dans ces cours, on remet en question la méthodologie grammaire-traduction et on prépare l’avènement de la méthodologie directe. Les CTOP intègrent autour d’un texte de base des contenus grammaticaux gradés et réduits par rapport à la méthodologie traditionnelle, ils multiplient et varient les exercices de réemploi des formes linguistiques enseignées, et introduisent au fur et à mesure des besoins des apprenants des listes de vocabulaire organisées par rapport à des thèmes de la vie quotidienne.

D’après Henri Besse, la méthodologie traditionnelle ne peut pas être considérée efficace puisque la compétence grammaticale des apprenants a toujours été limitée et que les phrases proposées pour l’apprentissage étaient souvent artificielles. Remise en question, la méthodologie traditionnelle coexistera vers la fin du XIXème siècle avec la méthode naturelle. Puis, à partir des années 1870 une interminable polémique va opposer les traditionalistes aux partisans de la réforme directe jusqu’en 1902, date à laquelle une instruction officielle imposera d’une manière autoritaire l’utilisation de la méthodologie directe dans l’enseignement national, ce que C. Puren nomme “le coup d’état pédagogique de 1902” et sur lequel nous nous pencherons plus tard. Rodriguez, Seara: L'évolution des méthodologies dans l'enseignement du français langue étrangère depuis la méthodologie traditionnel jusqu'à nos jours, 2004, 19 p. Dossier word



2. La méthode naturelle (Méthode des séries de F. Gouin.)

La méthode naturelle se situe à la fin du XIXème siècle et a coexisté avec la méthodologie traditionnelle de grammaire-traduction bien qu’elle suppose une conception de l’apprentissage radicalement opposée aux idées précédentes. La théorie de F. Gouin naît de l’observation de ses propres problèmes pour apprendre l’allemand par une méthode traditionnelle et de l’observation du processus d’apprentissage de la langue maternelle par son petit-neveu. Il a en effet été le premier à s’interroger sur ce qu’est la langue et sur le processus d’apprentissage d’une langue pour en tirer des conclusions pédagogiques. Pour F. Gouin, la nécessité d’apprendre des langues viendrait du besoin de l’homme de communiquer avec d’autres hommes et de franchir ainsi les barrières culturelles. C’est pourquoi il faut enseigner l’oral aussi bien que l’écrit, même si l’oral doit toujours précéder l’écrit dans le processus d’enseignement-apprentissage.

C’est à partir de la méthode de F. Gouin que les méthodes didactiques vont se baser sur des théories de l’apprentissage (psychologiques, sociologiques, linguistiques, etc.).

Selon F. Gouin, l’apprentissage d’une langue étrangère doit se faire à partir de la langue usuelle, quotidienne, si l’on prétend que cet apprentissage ressemble le plus possible à celui de la langue maternelle par l’enfant. D’après lui, un enfant apprendrait sa langue maternelle par un principe “d’ordre”: il se ferait d’abord des représentations mentales des faits réels et sensibles, puis il les ordonnerait chronologiquement et enfin il les transformerait en connaissances en les répétant dans le même ordre, après une période “d’incubation” de cinq à six jours. L’enfant n’apprendrait donc pas des mots sans rapport, sinon qu’il ajouterait les nouvelles connaissances à son acquis personnel. La langue étant essentiellement orale, l’oreille serait l’organe réceptif du langage, c’est pourquoi l’enfant devrait être placé en situation d’écoute prolongée en langue étrangère. C’est pour cela que pour C. Germain, F. Gouin  peut être considéré comme le pionnier de l’immersion et le premier à avoir primé le sens sur la forme et la proposition sur le mot.

F. Gouin avait une particulière conception de la langue que nous n’allons pas nous attarder à présenter ici, qui lui a permis de créer la méthode des séries.  Une “série linguistique” étant pour lui une suite enchaînée de récits, de descriptions, de thèmes qui reproduisent dans l’ordre chronologique tous les moments et phénomènes connus de ce thème. C’est ainsi qu’il dresse une “série” de phrases qui représentent dans l’ordre chronologique toutes les actions nécessaires pour, par exemple, aller puiser de l’eau. Il établit une progression de thèmes de la vie quotidienne par difficultés. Cependant, sa méthode reste incomplète car il ne présente que quelques-unes des séries possibles.

En dépit des critiques qui ont été faites à la méthode naturelle de F. Gouin et de la difficulté de sa mise en place dans le système scolaire, il est indéniable que cette méthode a provoqué une certaine révolution en s’opposant radicalement à la méthodologie traditionnelle utilisée par ses contemporains.  Rodriguez, Seara: L'évolution des méthodologies dans l'enseignement du français langue étrangère depuis la méthodologie traditionnel jusqu'à nos jours, 19 p. Dossier word



 

3.      La méthode directe

La méthodologie directe est considérée historiquement par C. Puren  comme la première méthodologie spécifique à l’enseignement des langues vivantes étrangères. Elle résulte d’une évolution interne de la méthodologie traditionnelle (apparition des CTOP), et de la méthode naturelle qui a anticipé certains de ses principes. De plus, de nombreux facteurs externes dont nous parlerons plus tard ont impulsé son développement.

On appelle méthodologie directe la méthode utilisée en Allemagne et en France vers la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle. Elle s’est également plus ou moins répandue aux Etats-Unis. En France l’expression “méthode directe” apparaît pour la première fois dans la Circulaire du 15 novembre 1901, qui l’opposait systématiquement à la méthodologie traditionnelle de grammaire-traduction en raison de son principe direct. Dans cette circulaire, on oblige pour la première fois tous les professeurs de langue étrangère à utiliser une méthodologie unique, ce qui n’a pas manqué d’engendrer une forte polémique entre partisans et opposants du nouveau système d’enseignement.

Dès la fin du XIXème siècle la France désirait s’ouvrir sur l’étranger. La société ne voulait plus d’une langue exclusivement littéraire, elle avait besoin d’un outil de communication qui puisse favoriser le développement des échanges économiques, politiques, culturels et touristiques qui s’accélérait à cette époque.

L’évolution des besoins d’apprentissage des langues vivantes étrangères a provoqué l’apparition d’un nouvel objectif appelé “pratique” qui visait une maîtrise effective de la langue comme instrument de communication.

La méthodologie directe constituait une approche naturelle de l’apprentissage d’une langue étrangère fondée sur l’observation de l’acquisition de la langue maternelle par l’enfant.


Les principes fondamentaux qui la définissent sont:

La méthodologie directe se base sur l’utilisation de plusieurs méthodes: méthode directe, active et orale.

Par méthode directe on désignait l’ensemble des procédés et des techniques permettant d’éviter le recours à l’intermédiaire de la langue maternelle dans l’apprentissage, ce qui a constitué un bouleversement dans l’enseignement des langues étrangères. Cependant l’opinion des méthodologues directs sur l’utilisation de la langue maternelle divergeait: certains étaient partisans d’une interdiction totale (thèse adoptée dans l’Instruction de 1908), tandis que la plupart étaient conscients qu’une telle intransigeance serait néfaste et préféraient une utilisation plus souple de la méthode directe.

Par méthode orale on désignait l’ensemble des procédés et des techniques visant à la pratique orale de la langue en classe. Les productions orales des élèves en classe constituaient une réaction aux questions du professeur afin de préparer la pratique orale après la sortie du système scolaire. L’objectif de la méthode orale était donc pratique. Le passage à l’écrit restait au second plan et était conçu comme le moyen de fixer par l’écriture ce que l’élève savait déjà employer oralement, c’est ce que certains ont nommé un "oral scripturé". D’après l’instruction de 1902, la progression vers la rédaction libre passait par la dictée, puis par des reproductions de récits lus en classe et enfin par des exercices de composition libre.

Par méthode active on désignait l’emploi de tout un ensemble de méthodes : interrogative, intuitive, imitative, répétitive ainsi que la participation active physiquement de l’élève.

La méthode interrogative incitait les élèves à répondre aux questions du professeur, afin de réemployer les formes linguistiques étudiées. Il s’agissait donc d’exercices totalement dirigés.

La méthode intuitive proposait une explication du vocabulaire qui obligeait l’élève à un effort personnel de divination à partir d’objets ou d’images. La présentation des règles de grammaire se réalisait également à partir d’exemples, sans passer par l’intermédiaire de la langue maternelle. La compréhension se faisait donc de manière intuitive.

La méthode imitative avait comme but principal l’imitation acoustique au moyen de la répétition intensive et mécanique. Elle s’appliquait aussi bien à l’apprentissage de la phonétique qu’à celui de la langue en général.

La méthode répétitive s’appuyait sur le principe qu’on retient mieux en répétant. La répétition pouvait être extensive ou intensive. Cependant l’emploi intensif du vocabulaire donnerait lieu à une inflation lexicale incontrôlable et négative pour l’enseignement-apprentissage de la langue.

Finalement, l’appel à l’activité physique de l’élève pour la  dramatisation de saynètes, la lecture expressive accompagnée par des mouvements corporels, etc. permettrait d’augmenter la motivation chez l’apprenant.  

On peut estimer que c’est à partir de la méthodologie directe que la didactique des langues vivantes étrangères a fait appel à la pédagogie générale: on tenait en effet compte de la motivation de l’élève, on adaptait les méthodes aux intérêts, aux besoins et aux capacités de l’élève, en faisant progresser les contenus du simple au complexe. C’est pourquoi C. Puren estime que la rupture entre la méthodologie traditionnelle et la méthodologie directe “se situe au niveau de la pédagogie générale de référence”[3] ce qui suppose une grande nouveauté dans l’enseignement scolaire.

Le déclin de la méthodologie directe fut provoqué par des problèmes aussi bien internes qu’externes. Les problèmes internes les plus importants ont été l’incontrôlable inflation lexicale et l’intransigeance dans l’utilisation de la langue maternelle. En ce qui concerne les problèmes externes ont peut citer le refus par les enseignants d’une méthodologie qui leur a été imposée par une instruction officielle et l’ambition excessive de cette méthodologie qui exigeait des professeurs une excellente maîtrise de la langue orale sans pour autant offrir un recyclage massif des enseignants. Raison pour laquelle L. Marchand la qualifie de “véritable gaspillage d’énergie”.[4] On peut ajouter que la plupart des enseignants ont contourné la méthodologie directe et se sont lancés dans une période d’éclectisme pendant laquelle ils utilisaient le manuel direct d’une manière traditionnelle, répondant vraisemblablement ainsi à un manque d’identification avec une méthodologie trop innovante.  Rodriguez, Seara: L'évolution des méthodologies dans l'enseignement du français langue étrangère depuis la méthodologie traditionnel jusqu'à nos jours, 19 p. Dossier word

Méthode directe
Ensemble de procédés d'enseignement des langues étrangères qui s'est constitué, au début du siècle, en relation avec l'évolution des théories éducatives (cf. méthode active). La méthode directe réagit contre les conceptions traditionnelles qui faisaient de l'enseignement des langues une discipline visant à développer les capacités d'analyse et à accumuler les connaissances de vocabulaire et de grammaire, grâce à des pratiques pédagogiques comme la traduction et l'apprentissage de règles théoriques, avec l'accès aux textes littéraires et à la "culture" comme objectifs essentiels.
Elle met l'accent sur l'expression orale et le recours immédiat et constant à la langue étrangère (le "bain linguistique"). Le professeur évite de faire appel à la traduction, suscite une activité de découverte chez l'élève en présentant la nomenclature étrangère à partir des objets réels ou figurés. Le dialogue est souvent de type pédagogique, c'est-à-dire à sens unique, (question du professeur - réponse de l'élève) et la "performance" de l'élève est un moyen de vérification de ses connaissances. Dans cette méthodologie, le rôle du professeur est primordial, puisqu'il a la charge d'introduire dans la classe tous les éléments nécessaires à la compréhension des faits de langue. La méthode directe donne une grande importance à l'acquisition du vocabulaire et fait volontiers usage du centre d'intérêt. Elle n'a pas prêté assez attention à la spécificité de la langue par rapport aux autres matières d'enseignement et la révolution pédagogique qu'elle a introduit n'est pas fondée sur une révision sérieuse des postulats linguistiques et méthodologiques. Il n'en reste pas moins que la méthode directe a posé les premiers jalons d'une évolution qui n'a cessé de se préciser à travers les apports de la méthode audio-orale et de la méthode audio-visuelle. (D’après D. Coste, G. Galisson, Dictionnaire de didactique des langues, Hachette, 1976)



4.      La méthode active

La méthodologie active a été utilisée d’une manière généralisée dans l’enseignement scolaire français des langues vivantes étrangères depuis les années 1920 jusqu’aux années 1960. Cependant on constate une certaine confusion terminologique en ce qui concerne cette méthodologie. En effet, on la nommait également “méthodologie éclectique”, “méthodologie mixte”, “méthodologie orale”, “méthodologie directe”, etc. Cette réticence à nommer cette nouvelle méthodologie révèle la volonté d’éclectisme de l’époque et le refus d’une méthodologie unique. Certains l’appelaient méthodologie de synthèse, considérant qu’elle représentait un compromis entre la méthodologie directe et la méthodologie traditionnelle, alors que d’autres, comme C. Germain, ne la considérant pas comme une méthodologie à part entière, préfèrent l’ignorer.

La méthodologie active représente un compromis entre le retour à certains procédés et techniques traditionnels et le maintien des grands principes de la méthodologie directe. Lieutaud estime “qu’elle est en quelque sorte une méthode directe assouplie...”[5]. C’est pourquoi on peut dire que la méthodologie active se veut une philosophie de l’équilibre.

Ce sont les problèmes d’adaptation de la méthodologie directe en second cycle qui ont orienté dès 1906 les méthodologues directs vers une solution éclectique. La volonté d’intégration de l’enseignement des langues vivantes étrangères dans l’enseignement scolaire était devenu le principal souci des méthodologues actifs. Ils revendiquent un équilibre global entre les trois objectifs de l’enseignement-apprentissage: formatif, culturel et pratique. Faisant preuve de pragmatisme, ils permettaient l’utilisation de la langue maternelle en classe. En ce sens, on peut dire qu’ils ont réellement assoupli la rigidité de la méthode précédente. Ils n’hésitaient pas à  intégrer tous les procédés compatibles avec les objectifs de la méthode, lui conférant ainsi un caractère éclectique, et proposaient une ouverture aux innovations techniques.

Cependant, cet éclectisme technique n’a pas modifié le noyau dur de la méthodologie directe, ne faisant qu’introduire certaines variations. On constate ainsi un assouplissement de la méthode orale qui rendait au texte écrit sa place comme support didactique. Cependant  les textes de base étaient plus souvent descriptifs ou narratifs que dialogués.

On a également privilégié l’enseignement de la prononciation à travers les procédés de la méthode imitative directe. La phonétique était enseignée à la manière des manuels d’anglais de l’époque et c’est avec l’instruction de 1969 que s’est développée l’utilisation des auxiliaires audio-oraux (gramophone, radio, magnétophone).

En outre on constate un assouplissement de l’enseignement du vocabulaire puisqu’on n’interdisait plus le recours à la langue maternelle comme procédé d’explication. Par conséquent il était permis d’utiliser la traduction pour expliquer le sens des mots nouveaux. Cependant, dans tous les cours de FLE de cette époque on retrouve des leçons sur des thèmes de la vie quotidienne dans lesquelles on utilisait des images pour faciliter la compréhension et éviter si possible la traduction du vocabulaire. D’autre part, on se souciait particulièrement de contrôler l’inflation lexicale, véritable bête noire de la méthodologie directe.

L’enseignement de la grammaire s’est également assoupli. On a privilégié l’apprentissage raisonné en considérant que l’apprenant avait besoin de se rendre compte du pourquoi des phénomènes. On essayait donc d’éviter l’empirisme dans l’enseignement de la grammaire et on utilisait une démarche inductive qui privilégiait la morphologie sur la syntaxe.

Avec la méthodologie active, l’enseignement du vocabulaire et de la grammaire ne se faisait plus sur le mode de la répétition intensive, on lui préférait plutôt la répétition extensive des structures.

De même la méthode active était amplement valorisée afin d’adapter les méthodes utilisées à l’évolution psychologique de l’élève et de créer une ambiance favorable à son activité puisque la motivation de l’apprenant était considérée comme un élément clé dans le processus d’apprentissage.

Cependant l’instruction de 1969 va supposer une rupture avec la méthodologie active et favorisera le passage à la méthodologie audiovisuelle, répondant ainsi à un objectif pratique. Les méthodologies audio-orale et audiovisuelle auront comme objectif la recherche d’une cohérence maximale. C’est pourquoi elles intègreront des théories de référence, comme le distributionnalisme et le béhaviorisme, et utiliseront de nouveaux matériels pédagogiques, comme le laboratoire de langues, le magnétophone, le projecteur de vues fixes, entre autres.  Rodriguez, Seara: L'évolution des méthodologies dans l'enseignement du français langue étrangère depuis la méthodologie traditionnel jusqu'à nos jours, 19 p. Dossier word


 

5.      La méthode audio-orale

  La méthodologie audio-orale naît au cours de la deuxième guerre mondiale pour répondre aux besoins de l’armée américaine de former rapidement des gens parlant d’autres langues que l’anglais. On a alors fait appel au linguiste Bloomfield qui va créer “la méthode de l’armée”. Cette méthode n’a duré en réalité que deux ans, mais elle a provoqué un grand intérêt dans le milieu scolaire. C’est dans les années 1950 que des spécialistes de la linguistique appliquée comme Lado, Fries, etc. ont créé la méthode audio-orale (MAO), en s’inspirant  des principes de la méthode de l’armée. Pour C. Puren la MAO américaine, comme la méthodologie directe française, un demi-siècle plus tôt, a été créée en réaction contre la méthodologie traditionnelle dominante aux USA à cette époque.

La méthodologie audio-orale constituait un mélange de la psychologie béhavioriste et du structuralisme linguistique qui a largement influencé l’enseignement de la grammaire grâce aux “pattern drills” ou “cadres syntaxiques”.

D’un point de vue linguistique, la MAO s’appuyait principalement sur les travaux d’analyse distributionnelle des disciples de Bloomfield. Ce type d’analyse considérait la langue dans ses deux axes: paradigmatique et syntagmatique. Ceci explique que les exercices structuraux (pattern drills, tables de substitutions, tables de transformations) proposaient aux apprenants d’effectuer sur les structures introduites en classe les deux manipulations de base: la substitution des unités les plus petites de la phrase  ou  la transformation d’une structure à une autre. Il s’agissait donc d’exercices de répétition ou d’exercices d’imitation à partir desquels les apprenants devaient être capables de réemployer la structure en proposant de nouvelles variations paradigmatiques.

La MAO s’appuyait également sur la psychologie béhavioriste créée initialement par J. B. Watson et développée postérieurement par B. F. Skinner. Le langage, selon cette théorie, n’était qu’un type de comportement humain et son schéma de base était le réflexe conditionné: stimulus-réponse-renforcement. Les réponses déclenchées par les stimulus étaient supposées devenir des réflexes, c’est-à-dire des acquis définitifs. C’est pourquoi le laboratoire de langues va devenir l’auxiliaire privilégié de la répétition intensive car il faciliterait  la mémorisation et l’automatisation des structures de la langue.

Le but de la MAO était de parvenir à communiquer en langue étrangère, raison pour laquelle on  visait les quatre habiletés afin de communiquer dans la vie de tous les jours. Cependant, on continuait à accorder la priorité à l’oral. On concevait la langue comme un ensemble d’habitudes, d’automatismes linguistiques qui font que des formes linguistiques appropriées sont utilisées de façon spontanée. On niait la conception universaliste de la langue en considérant que chaque langue a son propre système phonologique, morphologique et syntaxique. Comme on ne considérait pas le niveau sémantique, la signification n’occupait pas une place prioritaire en langue étrangère. C’est pourquoi le vocabulaire était relégué au second plan par rapport aux structures syntaxiques. De plus, les habitudes  linguistiques de la langue maternelle étaient considérées principalement comme une source d’interférences lors de l’apprentissage d’une langue étrangère; afin de les éviter, il était recommandé d’utiliser la langue étrangère en classe.

La MAO a été critiquée pour le manque de transfert hors de la classe de ce qui a été appris et on a considéré que sa validité se limitait au niveau élémentaire. De même, à l’enthousiasme pour les exercices structuraux a succédé la déception. En effet les exercices ennuyaient les élèves, les démotivaient et le passage du réemploi dirigé au réemploi spontané ne se faisait que rarement.

D’un autre côté, la grammaire générative-transformationnelle chomskyenne s’est attaquée au structuralisme linguistique bloomfieldien en lui reprochant de ne s’intéresser qu’aux phénomènes de surface et de négliger les structures profondes de la langue. Pour les générativistes, apprendre une langue ne consisterait pas seulement à acquérir “un simple système d’habitudes qui seraient contrôlées par  des stimulus de l’environnement” mais à assimiler “un système de règles qui permet de produire des énoncés nouveaux et de comprendre des énoncés nouveaux”.

A partir du début des années 1960, on a assisté à une importante  influence de la linguistique sur la didactique du français langue étrangère. L’expression “linguistique appliquée” devient alors synonyme de “pédagogie des langues” ce qui révèle son influence sur la didactique des langues étrangères en France. Même si les références à la MAO et aux principes de la linguistique appliquée sont très nombreuses dans le discours didactique français de cette époque, cette méthodologie a eu une influence limitée en France parce qu’aucun cours audio-oral n’a été publié ni pour l’enseignement du FLE ni pour celui des langues vivantes étrangères en milieu scolaire.  Rodriguez, Seara: L'évolution des méthodologies dans l'enseignement du français langue étrangère depuis la méthodologie traditionnel jusqu'à nos jours, 19 p. Dossier word

Méthode audio-orale
Ensemble de principes méthodologiques (> Méthode 1) qui ont trouvé leur expression la plus nette à partir de 1950 aux Etats-Unis et de 1960 en France, et qui s’appuient explicitement sur :

La méthode audio-orale se présente comme une réaction contre le flou linguistique des méthodes directes. Comme celles-ci, elle accorde la priorité à la langue orale, mais elle privilégie la notion de « modèle » à imiter, dans des exercices dits « structuraux », travaillés au laboratoire de langues. Chaque exercice présente un patron de phrase ou « pattern ». Des stimuli verbaux déclenchent la réutilisa-tion du patron, avec utilisation des éléments fournis par ces stimuli ou amorces. Cette technique appelée « pat-tern drill » s’appuie sur une progression par « étapes minimales », inspirée des principes de l’enseignement programmé. Certains tenants de cette méthode contestèrent la pertinence du dialogue comme mode de présentation des éléments linguistiques, craignant que les nécessités de l’échange n’aillent à l’encontre d’une progression rigoureusement graduée. (D’après D. Coste, G. Galisson, Dictionnaire de didactique des langues, Hachette, 1976)




6.      La méthode audio-visuelle

  A partir de la deuxième guerre mondiale, l’anglais devient de plus en plus la langue des communications internationales et le français se sent alors menacé. La France a besoin de renforcer son implantation dans les colonies, de restaurer son prestige à l’étranger et de lutter contre l’essor de l’anglais. Elle va faire de l’enseignement du FLE une affaire d’Etat. C’est pourquoi le Ministère de l’Education Nationale a mis sur pied une Commission chargée de mettre au  point “le français élémentaire” (rebaptisé plus tard français fondamental), conçu comme  une gradation grammaticale et lexicale élaborée à partir de l’analyse de la langue parlée. C’est le linguiste G. Gougenheim et le pédagogue P. Rivenc entre autres qui sont chargés de cette mission en vue de faciliter l’apprentissage et par-là même  la diffusion du français.

  Les méthodologues du CREDIF vont publier en 1954 les résultats de cette étude lexicale en deux listes: un français fondamental premier degré constitué de 1475 mots, puis un français fondamental second degré comprenant 1609 mots. Le français fondamental est considéré comme une base indispensable pour une première étape d’apprentissage du FLE pour des élèves en situation scolaire. Il désire leur proposer une acquisition progressive et rationnelle de la langue qui devrait leur permettre de mieux la maîtriser. Le français fondamental a été l’objet de beaucoup de critiques surtout d’ordre linguistique: pour certains, c’était un crime contre l’intégrité de la langue française, pour d’autres,  il devait être actualisé car certains dialogues “fabriqués” présentaient une langue peu vraisemblable, il devait également tenir en compte les besoins langagiers et les motivations réelles du public visé. C’est ce que prétendra faire plus tard le CREDIF avec un Niveau  Seuil.

C’est au milieu des années 1950 que P. Guberina de l’Université de Zagreb donne les premières formulations théoriques de la méthode SGAV (structuro-globale audio-visuelle). La méthodologie audiovisuelle (MAV) domine en France dans les années 1960-1970 et le premier cours élaboré suivant cette méthode, publié par le CREDIF en 1962, est la méthode “Voix et images de France”.

La cohérence de la méthode audiovisuelle était construite autour de l’utilisation conjointe de l’image et du son. Le support sonore était constitué par des enregistrements magnétiques et le support visuel par des vues fixes. En effet, les méthodes audiovisuelles avaient recours à la séquence d’images pouvant être de deux types: des images de transcodage qui traduisaient l’énoncé en rendant visible le contenu sémantique des messages ou bien des images situationnelles qui privilégiaient la situation d’énonciation et les composantes non linguistiques comme les gestes, les attitudes, les rapports affectifs, etc.

  Selon C. Puren, la MAV française est une méthode originale, parce qu’elle constitue une synthèse inédite entre l’héritage direct, la méthodologie induite par les moyens audiovisuels et une psychologie de l’apprentissage spécifique, le structuroglobalisme. La MAV se situait dans le prolongement de la méthodologie directe tout en essayant de donner des solutions aux problèmes auxquels s’étaient heurtés les méthodologues directs. Les didacticiens français ont également reconnu l’influence décisive américaine dans les débuts de l’élaboration de la MAV française, cependant c’est Chomsky qui influencera la suite de son élaboration et la méthodologie finie.

  Dans la méthodologie audiovisuelle, les quatre habiletés étaient visées, bien qu’on accordât la priorité à l’oral sur l’écrit. La MAV prend aussi en compte l’expression des sentiments et des émotions, non considérés auparavant.

  Sur le plan de l’apprentissage, la MAV suivait la théorie de la Gestalt, qui préconisait la perception globale de la forme, l’intégration par le cerveau, dans un tout, des différents éléments perçus par les sens. Dans le cas des langues,  l’apprentissage passerait par l’oreille et la vue. La langue étant considérée comme un ensemble acousticovisuel, la grammaire, les clichés, la situation et le contexte linguistique avaient pour but de faciliter l’intégration cérébrale des stimuli extérieurs.

  D’après C. Puren, toutes les méthodes présentes dans la méthodologie directe se retrouvent organisées dans la MAV.

Pour la méthode directe ce sont les images qui servent de point de départ pour une compréhension directe, c’est-à-dire sans passer par la langue maternelle. Cette méthode s’appliquera aussi bien à l’enseignement du lexique (sans recourir à la traduction en langue maternelle)  qu’à l’enseignement grammatical (sans l’intermédiaire de la règle, l’apprenant saisit les règles de manière intuitive). Comme la méthode directe,  la méthode audiovisuelle s’appuie sur un document de base dialogué conçu pour présenter le vocabulaire et les structures à étudier.

En ce qui concerne la méthode orale, le support audiovisuel remplace le support écrit. La forme “dialoguée” du dialogue de base vise à faciliter son exploitation orale en classe. L’accent est placé dès le début sur la correction phonétique en évitant les interférences de la graphie.

La méthode active est présente dans la MAV puisqu’on sollicite l’activité de l’élève à travers l’image qui stimule la motivation. Les personnages présentés dans les dialogues se veulent proches des élèves afin qu’ils s’identifient à eux. L’enseignement lexical et grammatical se fait d’une manière intuitive. Le vocabulaire de base est sélectionné et présenté à partir de centres d’intérêt inspirés du français fondamental.

La méthode interrogative apparaît également car la MAV considère nécessaire un dialogue constant entre le professeur et la classe sans que celle-ci ne dépende entièrement de lui. En effet, grâce au  support audiovisuel il est possible de rompre le face à face élève-professeur.

La méthode intuitive en fait aussi partie étant donné que l’image audiovisuelle permet au professeur d’éviter les “pitreries” auxquelles il était condamné par la méthodologie directe. Le dialogue sert à  illustrer dans un contexte un nombre de mots usuels nouveaux par un procédé intuitif. En effet l’élève établit une association systématique du dialogue et de l’image chargée de représenter la situation de communication. La MAV se différencie de la méthodologie directe parce qu’elle interdit toute explication grammaticale. Les exercices structuraux fonctionnent comme une technique d’application de la méthode intuitive intégrale en enseignement grammatical et c’est le professeur qui facilitera à l’élève au cours des exercices l’analyse implicite des structures.

Et finalement les méthodes imitative et répétitive que l’on retrouve dans les exercices de mémorisation et dramatisation du dialogue de base, et dans les exercices structuraux réalisés au laboratoire ou dans les exercices écrits.

D’après H. Besse, la méthodologie Structuro-globale-audiovisuelle serait plus proche de la méthodologie directe européenne que de l’audio-orale américaine et présenterait également des affinités avec la méthode situationnelle anglaise. En ce sens la SGAV aurait le mérite de tenir compte du contexte social d’utilisation d’une langue et permettrait d’apprendre assez vite à communiquer oralement avec des natifs de langues étrangères, mais n’offrirait pas la possibilité de comprendre des natifs parlant entre eux ni les médias.

Pour conclure, l’une des principales raisons du succès des méthodes audiovisuelles semble correspondre au faible investissement qu’elles requièrent de ceux qui les pratiquent. Cependant la méthodologie SGAV est entrée en déclin et a cédé sa place à l’approche communicative basée sur d’autres théories linguistiques (le fonctionnalisme) et psychologiques (le cognitivisme).  Rodriguez, Seara: L'évolution des méthodologies dans l'enseignement du français langue étrangère depuis la méthodologie traditionnel jusqu'à nos jours, 19 p. Dossier word


Méthode audio-visuelle
Ensemble d’hypothèses méthodologiques qui ont trouvé leur expression, en France en particulier, avec les travaux des équipes de Zagreb et de Saint Cloud, à partir des années 1950. Ces hypothèses, ensuite diversi-fiées et adaptées par d’autres méthodologues, s’appuient sur les considérations, les choix et les principes suivants.
Au plan méthodologique :

Au plan pédagogique :
Au plan technique



7. L’approche communicative

 L’approche communicative s’est développée en France à partir des années 1970 en réaction contre la méthodologie audio-orale et la méthodologie audio-visuelle. Elle apparaît au moment où l’on remet en cause en Grande-Bretagne l’approche situationnelle et où aux USA la grammaire générative-transformationnelle de Chomsky est en plein apogée. Elle est appelée approche et non méthodologie par souci de prudence, puisqu’on ne la considérait pas comme une méthodologie constituée solide. Quoique Chomsky ait beaucoup critiqué les méthodes audio-orale et situationnelle, sa linguistique n’est pas directement la source de l’approche communicative. En effet, c’est la convergence de quelques courants de recherche ainsi que l’avènement de différents besoins linguistiques dans le cadre européen ( Marché commun, Conseil de l’Europe, etc.) qui a en définitive donné naissance à l’approche communicative.

Il n’y a pas de rupture dans les objectifs entre les méthodes structurales et la méthode fonctionnelle comme cela avait été le cas entre les méthodologies directe et traditionnelle. La différence se situe au niveau de la compétence: pour les structuralistes l’important est la compétence linguistique tandis que pour les fonctionnalistes il faut privilégier la compétence de communication, c’est-à-dire l’emploi de la langue.

A ce moment-là l’intérêt de nombreux psychologues, sociologues, pédagogues, didacticiens s’est porté sur les besoins d’un nouveau public composé d’adultes, principalement de migrants. En effet, la loi de juillet 1971 insistait sur le droit à la formation continue, c’est pourquoi on a mis en place de nouvelles structures d’enseignement et de recherche pour donner naissance à une nouvelle méthodologie. Pour sa part, l’enseignement des langues étrangères en milieu scolaire a cherché à s’approprier le système d’enseignement des langues étrangères pour adultes insérés dans le monde du travail, ce qui a produit une brusque inversion du modèle éducatif de référence. En France cette  loi sur la formation continue a permis d’obtenir des moyens financiers pour la création de deux ouvrages clés commandés par des organismes publics: un Niveau Seuil par le Conseil de l’Europe, et Analyse de besoins langagiers d’adultes en milieu professionnel par le Secrétariat d’Etat aux Universités. Grâce à ces crédits et pour la première fois en didactique des langues on a pu composer des équipes de chercheurs pluridisciplinaires.

Dans les années 1960, la MAV se basait pour la sélection et la gradation linguistiques sur des listes de fréquence (Français Fondamental) supposées correspondre à la langue de base devant être acquise quel que soit l’usage postérieur de la langue étrangère. Mais au début des années 1970, les méthodologues de FLE se sont trouvés confrontés aux problèmes spécifiques posés par l’enseignement du français langue étrangère à des étudiants non-spécialistes de français, dans leurs pays, pour leur permettre l’accès à des documents écrits de caractère informationnel. Les choix d’objectifs, de contenus et de méthodes étaient donc motivés par la situation des pays concernés et par les besoins présents et futurs des étudiants de ces pays.

La MAV, même adaptée à un contenu scientifique, ne pouvait convenir à ce genre de public, puisqu’elle donnait la priorité à l’expression orale, proposait une acquisition très progressive du lexique à partir d’un tronc commun et ne travaillait pas au-delà du niveau de la phrase. Cette approche fut appelée tout d’abord français instrumental et par la suite français fonctionnel étant donné la diversité du public visé: ouvriers migrants, scientifiques, techniciens, étudiants en formation, etc. Contre l’approche universaliste de la MAV s’imposait ainsi une approche diversifiée dont la préoccupation était de s’adapter aux besoins langagiers de chaque public. Toute une partie de la recherche en didactique des langues vivantes étrangères va s’orienter dans les années 1970 vers l’analyse des besoins avant même d’élaborer un cours de langue. Ceci provoque une nouvelle définition d’apprentissage:

Apprendre une langue, c’est apprendre à se comporter de manière adéquate dans des situations de communication où l’apprenant aura quelque chance de se trouver en utilisant les codes de la langue cible.

Le français instrumental ne vise pas la communication orale, autrement qu’en situation de classe, il désire satisfaire un besoin de compréhension immédiat, il s’agit d’acquérir une compétence de compréhension. Il s’intéresse à la compréhension de textes spécifiques plutôt qu’à la production.

Le français fonctionnel, lui, est fondé sur les besoins langagiers réels des individus. Il envisage une relation de locuteur à locuteur dans certaines situations de communication, et selon certains rôles sociaux. Un Niveau Seuil  est la tentative la plus importante d’élaboration d’un français fonctionnel pour l’enseignement du français à des étrangers adultes. On détermine les besoins langagiers des apprenants en fonction des actes de parole qu’ils auront à accomplir dans certaines situations. Cependant le français fonctionnel et le français instrumental ont le même objectif pédagogique, celui de l’enseignement volontairement limité plus ou moins utilitaire et répondant à un appel urgent d’un public spécialisé.

Jusque là en enseignement scolaire les besoins langagiers étaient inconnus. L’enseignant fixait les contenus d’apprentissage à partir d’objectifs généraux. D’après Richterich l’enseignement d’une langue est étroitement lié au type de public auquel il s’adresse, il est donc indispensable de faire une description minutieuse du public visé. Même si la notion de besoin est ambiguë et se confond parfois avec intérêt, but, etc., l’élève demande d’autant plus de formation qu’il a lui-même une formation plus large. Néanmoins, il existe de nombreux facteurs de diversification des besoins des apprenants selon le pays où il habite et les contacts que ce pays entretient avec les pays où l’on parle la langue étrangère, son niveau de langue, la filière choisie dans ses études et les propres différences entre individus.

L’évaluation des besoins des apprenants en milieu scolaire restait cependant difficile à établir étant donné qu’ils étaient souvent incapables de les exprimer clairement. Il reviendrait donc au didacticien d’établir une liste de besoins plus ou moins généraux pour le milieu scolaire, de peur qu’on en arrive à supprimer l’étude des langues étrangères à l’école jusqu’à l’âge où l’apprenant puisse communiquer personnellement ses besoins linguistiques. De même les besoins ne pouvaient être définis une fois pour toutes en début d’apprentissage puisqu’ils évoluent au cours même du processus d’apprentissage.

La notion de besoin langagier a été controversée et certains, comme D. Coste, pensent que la notion de besoin langagier n’aurait pas d’existence réelle. En effet, il n’y aurait que des besoins d’être et de se réaliser à travers le langage ou même des besoins de survivre dans le cas des migrants. En réalité seuls des spécialistes du langage comme les poètes et les écrivains auraient d’authentiques besoins langagiers, car ils utilisent la langue pour  elle-même. De même, pour H. Besse, l’approche fonctionnelle se préoccuperait trop des besoins de l’apprenant et pas assez de ce qu’il a appellé “ses potentialités d’apprentissage”, c’est-à-dire ses propres stratégies d’apprentissage et les “savoir-apprendre” qu’il a déjà assimilés dans sa culture maternelle.

Pour les méthodologues, les étudiants qui ont besoin d’apprendre le français pour des raisons professionnelles seraient motivés par une approche fonctionnelle, contrairement aux apprenants en milieu scolaire qui apprennent une langue étrangère par obligation.

Dans l’approche communicative les quatre habiletés peuvent être développées puisque tout dépend des besoins langagiers des apprenants. La langue est conçue comme un instrument de communication ou d’interaction sociale. Les aspects linguistiques (sons, structures, lexique, etc.) constituent la compétence grammaticale qui ne serait en réalité qu’une des composantes d’une compétence plus globale: la compétence de communication. Elle prend en compte les dimensions linguistique et extralinguistique qui constituent un savoir-faire à la fois verbal et non verbal, une connaissance pratique du code et des règles psychologiques, sociologiques et culturelles qui permettront son emploi approprié en situation. Elle s’acquiert en même temps que la compétence linguistique. Il ne suffirait donc pas de connaître les règles grammaticales de la langue étrangère pour communiquer, il faudrait en plus connaître les règles d’emploi de cette langue (quelles formes linguistiques employer dans telle ou telle situation, avec telle ou telle personne, etc.). L’objectif est d’arriver à une communication efficace:

Les tenants de l’approche communicative considèrent qu’une communication efficace implique une adaptation des formes linguistiques à la situation de communication (statut de l’interlocuteur, âge, rang social, lieu physique, etc.) et à l’intention de communication (ou fonction langagière: demander d’identifier un objet, demander une permission, donner des ordres, etc.

  De plus, le sens communiqué n’est pas toujours totalement identique au message que le locuteur a voulu transmettre, car le sens est le produit de l’interaction sociale, de la négociation entre deux interlocuteurs. En effet, lorsque l’on produit un énoncé rien ne  garantit qu’il sera correctement interprété par notre interlocuteur.

Selon l’approche communicative, apprendre une langue ne consisterait pas, comme le croyaient les béhavioristes et la méthode audio-orale, à créer des habitudes, des réflexes. Pour les psychologues cognitivistes, l’apprentissage est un processus beaucoup plus créateur, plus soumis à des influences internes qu’externes. C’est pourquoi les exercices structuraux ont été critiqués car ils provoquaient une certaine lassitude chez les élèves et le professeur. On leur reprochait d’être purement mécaniques et de ne faire référence à aucune situation concrète. Alors que pour l’approche communicative les constructions ne devraient jamais fonctionner hors des énoncés naturels de communication.

L’apprentissage n’est plus considéré comme passif, recevant des stimuli externes, sinon comme un processus actif qui se déroule à l’intérieur de l’individu et qui est susceptible d’être influencé par cet individu. Le résultat dépend du type d’information présenté à l’apprenant et de la manière dont il va traiter cette information. L’enseignant devient ainsi “un conseiller”. Il doit recourir à des documents appelés “authentiques”, c’est-à-dire non conçus exclusivement pour une classe de langue étrangère.

L’approche communicative présente, au moins pour la compréhension orale, diverses formes linguistiques destinées à transmettre un même message. On prend en compte le niveau du discours et on distingue entre cohésion (les relations existant entre deux énoncés) et cohérence (les relations établies entre des énoncés et la situation extralinguistique). On utilise en classe de préférence la langue étrangère, mais il est possible d’utiliser la langue maternelle et la traduction. En ce qui concerne l’erreur, elle est considérée inévitable.

Selon D. Coste, l’acte de parole dans l’approche communicative est un outil d’analyse encore trop statique et manque de réalité psychologique. Les listes de structures morphosyntaxiques et de mots ont fait place aux listes d’actes de parole et de notions: on n’aurait alors pas dépassé le stade de la description-inventaire. D. Coste critique le fonctionnalisme pur et dur parce qu’il vise un public idéal et des enseignants surdoués, évoluant dans des situations d’enseignement-apprentissage débarrassées des contraintes matérielles et des programmes scolaires classiques. Il estime que les apprenants en milieu scolaire ne sont pas en mesure d’assumer leur éducation et que les enseignants sont insuffisamment formés pour appliquer correctement cette méthode.

Cependant l’approche fonctionnelle a eu le mérite de montrer qu’il n’est pas nécessaire de disposer d’un bon cours pour réaliser un bon enseignement, que l’apprenant devait être situé au premier plan, que l’écrit devait récupérer son statut et qu’il n’est pas nécessaire de suivre un cours général de langue pour atteindre un objectif spécifique.  Rodriguez, Seara: L'évolution des méthodologies dans l'enseignement du français langue étrangère depuis la méthodologie traditionnel jusqu'à nos jours, 19 p. Dossier word

Cf. aussi l'article de  Nadine Bailly et de Michael Cohen: http://flenet.rediris.es/tourdetoile/NBailly_MCohen.html ou ici (consulté en juillet 2012)
Bibliographie en didactique langue seconde - Approche communicative. Consulté en mai 2005: http://www.chass.utoronto.ca/french/res/didactique/03_cles_approches_communicative_verbal.html (consulté en juillet 2012)



La pédagogie actionnelle - Manfred Overmann, 2012

La perspective actionnelle prônée par le Cadre Européen Commun de Référence "considère avant tout l'usager et l'apprenant d'une langue comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches (qui ne sont pas seulement langagières) dans des circonstances et un environnement donnés, à l'intérieur d'un domaine d'action particulier. Si les actes de paroles se réalisent dans une activité langagière, celles-ci s'inscrivent elles-mêmes à l'intérieur d'actions en contexte social qui seules leur donnent leur pleine signification". (2000, chap.2.1., p.15 ). Ces quelques lignes du CECR renferment la clef pour une nouvelle approche didactique passant d'une approche communicative à une perspective actionnelle (AC - PA) afin de surrmonter les difficultés de communication rencontrées par les professionnels des langues vivantes (CECR, p. 9).

Les tâches se distinguent des exercices par leurs objectifs extra-linguistiques qui dépassent la dimension langagière au niveau de l'action sociale et pragmatique. Quelques descripteurs de la tâche: a) l'activité est contextualisée dans la mesure où elle est reliée à une situation authentique à laquelle l'apprenant peut être confrontée réellement dans la vie de tous les jours 
b) il s'agit toujours d'un problème à résoudre dans une situation extra-linguistique dépassant les objectifs purement langagiers. Ce nouveau scénario d'apprentissage-action est défini par Bourguignon
"comme une simulation basée sur une série de tâches communicatives, toutes reliées les unes aux autres, visant l’accomplissement d’une mission plus ou moins complexe par rapport à un objectif. Cette série d’activités amène à la réalisation de la tâche finale."(cf. Bourguignon 2006)
c) la tâche est finalisée, c'est-à-dire elle doit être réalisée, accomplie dans un contexte concret. Le CECR impose d'inscrire la tâche communicative dans une finalité actionnelle. Ainsi la communication est au service de l'action qui se traduit par une mission / un projet à réaliser appelée "macro-tâche" qui seule lui donne du sens. Les connaissances langagières sont inverties dans une perspective pragmatique en tenant compte de paramètres d'ordre socioculturel.
d) la tâche est toujours intégrée dans une situation complexe et multidimensionnelle afin de convoquer une série de savoirs, d'aptitudes et de stratégies mise en oeuvre par l'apprenant pour mener la tâche à bien à travers l'enchaînement de séquences appelées "phases". Ainsi l'apprenant prend en charge l'architecture même du scénario à réaliser 
e) la tâche doit aboutir à un résultat
concret. Ainsi elle engage tout l'être à mobiliser ses préaquis, ses connaissances antérieures, à s'informer et à interagir pour résoudre le problème posé. Il s'agit d'une action intentionnée de la part de l'apprenant qui essaie d'obtenir un résultat concret à propos de la résolution d'un problème
f) la tâche est ouverte, c'est-à-dire son produit n'est pas fixé dans la mesure où il serait totalement prévisible. L'enseignant donne des consignes et aide les apprenants en tant que médiateur, coach et metteur en scène, mais il ne les guide pas de manière linéaire à produire un résultat unique.
Exemples de tâches à réaliser: acheter un billet de train, préparer un voyage en France, organiser la visite d'une ville, réaliser des projets en coopération averc d'autres acteurs sociaux...
La réalisation d'une tâche doit remplir un certain nombre de critères:
1. La tâche se définit à travers un plan de travail et un cadre d'action, fixe un objectif final et les étapes à suivre
2. Elle est centrée sur le sens, ce qui veut dire que la communication entre les apprenants sert à obtenir un objectif extra-linguistique et implique la mise en place de processus réels d'utilisation de la langue 
3. Elle implique le recours à des compétences linguistiques, par exemple la compréhension orale et/ou écrite et/ou l'expression orale ou écrite
4. Elle met en place des processus cognitifs et pragmatiques entre plusieurs acteurs sociaux
5. Elle aboutit à un produit qui est l'objectif final de la tâche dans une perspective actionnelle. (cf.Conejo Lopez-Lago 2006). 
1. Généraliser la pédagogie du projet
2. Construire des unités didactiques sur la base de l’unité d’action et non plus seulement de communication.
3. Mettre les documents au service de l’action, et non plus seulement les tâches au service des documents.
4. Mettre les différences « compétences langagières » (CO/CI/EO/EE) au service de l’action, et non plus seulement de la communication.


Conférences vidéodiffusées

L'évolution des perspectives actionnelle et culturelle en didactique des langues-cultures (Christian Puren)





La pédagogie de la tâche (cf. aussi la pédagogie actionnelle)


"Est définie comme tâche toute visée actionnelle que l’acteur se représente comme devant parvenir à un résultat donné en fonction d’un problème à résoudre, d’une obligation à remplir, d’un but qu’on s’est fixé. Il peut s’agir tout aussi bien, suivant cette définition, de déplacer une armoire, d’écrire un livre, d’emporter la décision dans la négociation d’un contrat, de faire une partie de cartes, de commander un repas dans un restaurant, de traduire un texte en langue étrangère ou de préparer en groupe un journal de classe." (CECR:16)



"
Il n'y a de tâche que si l’action est motivée par un objectif ou un besoin, personnel ou suscité par la situation d'apprentissage, si les élèves perçoivent clairement l'objectif poursuivi et si cette action donne lieu à un résultat identifiable. (...) La pédagogie de projet est certainemen6t la forme la plus aboutie d'une démarche ationnelle." (Goullier, p. 21). 

3. la notion de " tâche " (Le Cadre européen commun de référence pour les langues)

La tâche est à relier à la théorie de l'approche actionnelle du cadre au sens de réalisation de quelque chose, d'accomplissement en termes d'actions. Autrement dit, l'usage de la langue n'est pas dissocié des actions accomplies par celui qui est à la fois locuteur et acteur social. Ceci peut aller du plus pragmatique (monter un meuble en suivant une notice) au plus conceptuel (écrire un livre, un argumentaire, emporter la décision dans une négociation). Dans cette perspective, la compétence linguistique peut être sollicitée en totalité (ex du livre), en partie (cas de la notice de montage), ou pas du tout (confectionner un plat de mémoire). La compétence linguistique est un type de compétence qui entre dans la réalisation de tâches.

On pourrait résumer, à ce stade, le cadre comme la somme de niveaux de maîtrise de compétences (langagières ou non langagières) entrant dans la réalisation de tâches. Cette approche a des incidences sur les apprentissages et leur conception car cela veut dire sérier les activités langagières et les croiser, hiérarchiser les difficultés et associer le dire au faire.


Associer le dire au faire.
Importance de l'authenticité des situations.
La tâche crée le besoin.

Apprentissage par tâches
Extrait de  Peter GRIGGS, Rita CAROL et Pierre BANGE,  La dimension cognitive dans l’apprentissage des langues étrangères,  | Publications Linguistiques | Revue Française de Linguistique Appliquée, 2002/2 - Volume VII - http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=RFLA&ID_NUMPUBLIE=RFLA_072&ID_ARTICLE=RFLA_072_0025 - 2.2. Apprentissage par tâches .

"De tous les dispositifs s’inscrivant dans le cadre général d’une approche communicative, c’est l’apprentissage par tâches qui cherche le plus résolument à reproduire les conditions naturelles de la communication et à centrer la pédagogie sur les activités de l’apprenant. Le principe d’une telle démarche consiste à proposer comme élément central la mise en place de tâches communicatives dans une séquence qui les approche progressivement en complexité et en authenticité de la communication en situation naturelle (Long & Crookes, 1992). D’après une définition de Skehan (1998, 95), une tâche communicative comporte les caractéristiques suivantes : le sens prime sur la forme ; il y a un problème de communication à résoudre ; il existe un rapport avec des activités du monde réel ; l’achèvement de la tâche est prioritaire ; la tâche s’évalue en termes du résultat. La mise en ½uvre d’une tâche communicative entraîne en général, d’une part, la répartition des apprenants en binômes ou en petits groupes et, d’autre part, la création d’un écart d’informations entre différents locuteurs (information gap), les apprenants ayant pour but de diminuer cet écart par une activité communicative en L2.

L’utilisation de tâches comme outils pédagogiques s’inspire largement de l’idée qu’une communication authentique suffit pour déclencher une dynamique d’acquisition. Selon les thèses interactionnistes, une interaction asymétrique, telle qu’une communication exolingue, entraîne une négociation des sens, caractérisée par des demandes de clarification, des contrôles de compréhension, des auto- et hétéroreformulations, qui génère des processus plus ou moins implicites d’acquisition chez le locuteur faible en l’amenant à focaliser sur les formes langagières pour assurer sa participation dans la communication [3].

La position interactionniste semble pourtant valoir beaucoup moins pour le cas des tâches communicatives en contexte scolaire, où les élèves partagent une langue maternelle commune et possèdent à peu près le même niveau de compétences dans la langue cible. Des travaux antérieurs (Griggs, 2000, 2002 ; Nussbaum & al., 1999) montrent en effet que dans ces conditions les problèmes d’intercompréhension sont rares et que les tâches communicatives génèrent donc peu de négociation des sens. En outre, les apprenants ont souvent tendance à privilégier la communication à tout prix en mettant l’accent sur la fluidité de la production aux dépens de la correction linguistique et de la complexité du discours. La conséquence, traduite en termes du modèle cognitif, est que les règles procédurales qu’ils utilisent reposent trop sur la L1 et sur des structures lexicales mémorisées ou construites ad hoc, au détriment de la génération et de l’évolution de règles morpho-syntaxiques en L2, ceci provoquant une procéduralisation précoce, et donc une fossilisation, de certaines structures idiosyncrasiques. Par ailleurs, comme les tâches communicatives se réalisent généralement entre apprenants sans l’intervention directe d’un enseignant, il manque souvent au cours des interactions un modèle linguistique pouvant fournir l’input et le feedback textuels et grammaticaux nécessaires pour ajuster les productions des locuteurs aux normes conventionnelles de la langue cible.

Il ne suffit donc pas de communiquer dans une classe de langues pour apprendre une langue étrangère. Bien que les tâches communicatives créent des conditions favorables, ce sont les conduites langagières que les apprenants adoptent en les réalisant qui constituent le facteur le plus déterminant pour leur apprentissage. D’après une étude déjà citée (Griggs, 2000, 2002), les interactions les plus fructueuses du point de vue acquisitionnel se caractérisent par un taux élevé d’activité métalinguistique (auto- et hétéroreformulations, recours à L1…) destinée non pas à l’intercompréhension mais à un travail, effectué souvent en collaboration, de recherche de la forme conventionnelle de la langue cible. Cela dit, l’enseignant a un rôle primordial à jouer dans un dispositif d’apprentissage par tâches. Même s’il se tient à l’écart au cours de l’activité communicative, il doit, lors d’une phase préparatoire, mettre en place d’autres activités destinées à générer l’input nécessaire pour alimenter les productions des élèves, et, lors d’une phase d’évaluation, fournir un feedback permettant aux élèves de prendre un recul métalinguistique par rapport à leurs productions..."

Würffel, Nicola (2006): Strategiengebrauch bei Aufgabenbearbeitungen in internetgestütztem. Tübingen: Narr (Giessener Beiträge zur Fremdsprachendidaktik).

Bausch, Karl-R./Burwitz-Melzer, Eva/Königs, Frank G./Krumm, Hans-J. (Hrsg.) (2006): Aufgabenorientierung als Aufgabe. Arbeitspapiere der 26. Frühjahrskonferenz zur Erforschung des Fremdsprachenunterrichts. Tübingen: Narr (Giessener Beiträge zur Fremdsprachendidaktik).

Müller-Hartmann, Andreas / Schocker-v. Ditfurth, Marita (Hrsg.) (2005): Aufgabenorientierung im Fremdsprachenunterricht. Task Based Language Learning and Teaching Festschrift für Michael K. Legutke. 



La pédagogie différenciée

Pédagogie différenciée : tentative de réponse à l’hétérogénéité des classes par une adap-tation des démarches, des supports, des aides, des modes d’évaluation, etc., aux besoins des apprenants ou groupes d’apprenants. (Voir I.O. pour les classes de col-lège, pp. 22-24.) (d’après Y. Cossu, 1995)


Pédagogie différenciée
Sabine Laurent, Maître de conférences,  Sciences de l’Education. Source:
http://recherche.aix-mrs.iufm.fr/publ/voc/n1/laurent2/index.html

La pratique de la différenciation pédagogique consiste à organiser la classe de manière à permettre à chaque élève d'apprendre dans les conditions qui lui conviennent le mieux. Différencier la pédagogie, c'est donc mettre en place dans une classe ou dans une école des dispositifs de traitement des difficultés des élèves pour faciliter l'atteinte des objectifs de l'enseignement.
Existe-t-il des dispositifs différents permettant d'atteindre un même objectif pédagogique, ou peut-on déterminer des profils d'élèves à qui certaines méthodes conviennent mieux que d'autres?
Remarque importante : il ne s'agit donc pas de différencier les objectifs, mais de permettre à tous les élèves d'atteindre les mêmes objectifs par des voies différentes.

Pourquoi parler de différenciation ?

La transformation du système éducatif, en particulier du premier cycle de l'enseignement secondaire (création des Collèges d'Enseignement Secondaire à trois filières en 1963, et du collège unique par René Haby en 1976) a placé les professeurs devant la difficulté d'avoir à enseigner un même programme dans des classes devenues très hétérogènes : différences de niveau scolaire et d'origine sociale, arrivée au collège d'élèves dont les parents n'avaient pas fait d'études secondaires et qui avaient donc plus de difficultés à rentrer dans le nouveau contrat, etc...

Des expérimentations tendant à gérer ces différences on été conduites dans les classes au cours des années 70, impulsées par l'Institut National de la Recherche Pédagogique et par des mouvements pédagogiques. En liaison avec ces innovations, une réflexion s'est développée autour de l'idée de différenciation pédagogique chez des auteurs qui étaient également les animateurs de ces expérimentions, comme Louis Legrand (1), André de Peretti (2) et Philippe Meirieu (3). Ce courant, représentatif des préoccupations pédagogiques de l'époque, privilégiait l'acquisition de méthodes par les élèves ; mais la prise en compte des difficultés liées à l'apprentissage de contenus de savoirs particuliers - le pôle "savoir" du triangle didactique - s'est peu à peu imposée par la suite.

Alors que l'enseignement primaire assume depuis le siècle dernier la formation de l'ensemble de la population, la pédagogie différenciée est apparue comme un moyen de faire face aux difficultés des premiers apprentissages. Dans le cadre de l'organisation en cycles de l'école primaire, les dispositifs de différenciation doivent permettre aux enseignants de gérer des groupes classes dans lesquels certains élèves n'ont pas atteint tous les objectifs du niveau considéré. On retrouve donc au niveau d'une mesure institutionnelle des modalités d'organisation du travail en classe traditionnellement mises en ½uvre depuis longtemps dans l'enseignement primaire.

Il convient de souligner que pour les auteurs de la pédagogie différenciée, la classe homogène est un mythe - le mythe identitaire selon de Peretti -, puisque l'enseignant recrée toujours de l'hétérogénéité à partir d'un groupe homogène.

Qu'est-ce qu'un dispositif de pédagogie différenciée ?

L'enseignant, ou l'équipe d'enseignants :

Qu'en est-il des différences attribuées aux élèves ?

La question des différences entre élèves est diversement appréciée selon les auteurs et les acteurs :

Remarques :

D'un point de vue pratique, le choix de cette grille d'analyse est évidemment le point crucial : elle doit être à la fois pertinente à l'objectif et suffisamment simple pour être gérable.
D'un point de vue théorique, il est difficile d'y voir clair : au débat scientifique s'ajoutent des considérations idéologiques, certaines différences ne sont pas fondées scientifiquement, d'autres sont vivement discutées, d'autres encore relèvent de critères pragmatiques.

Comment adapter les stratégies aux "profils" des élèves ?

En faisant varier certaines caractéristiques du dispositif pédagogique :

Après de Peretti, beaucoup d'auteurs ont souligné que la différenciation n'était pas forcément simultanée, mais qu'elle pouvait également être successive : deux stratégies sont proposées successivement à la classe pour deux tâches analogues (5).

Soulignons pour terminer que la stratégie choisie par l'enseignant peut être conforme, ou contraire à celle que l'élève privilégierait spontanément: cela dépend de l'objectif que l'enseignant se fixe à un moment donné.

Peut-on connaître les caractéristiques des élèves ?

Les ouvrages sur la différenciation proposent des questionnaires ou des entretiens à mener avec les élèves sur leurs méthodes de travail. L'observation de leur comportement, l'analyse des questions qu'ils posent, de leurs erreurs, des demandes d'aides qu'ils formulent, constituent d'autres indices de leurs difficultés. Les contraintes temporelles qui pèsent sur l'enseignement et ce que nous avons dit précédemment des grilles d'analyse montrent les limites de ces investigations, mais l'instauration de ce questionnement entre le professeur et l'élève sur les modalités d'accès au savoir peut être très utile.

En conclusion

Les réflexions et les pratiques rapidement décrites ici ont produit une grande variété de situations pédagogiques à la disposition des enseignants, de la plus complexe (plusieurs groupes d'élèves travaillant en même temps dans des conditions différentes), à la plus simple en apparence (recommencer l'explication d'une notion mal comprise en changeant de méthode).

La pédagogie différenciée part de la nécessité d'une formation générale de base de même niveau pour l'ensemble de la nation et pose le principe de l'éducabilité de tous les élèves. Elle répond à ce défi en termes de gestion des différences entre les élèves. En conséquence, elle soulève le problème de la nature des différences à prendre en compte au sein de la population scolaire pour construire des situations d'apprentissage. La question est de savoir jusqu'où cette perspective peut-elle négliger des variables d'ordre didactique, c'est-à-dire spécifiques des contenus enseignés et de leur transmission? Elle ne peut pas non plus s'envisager sans référence aux pratiques d'évaluation.

Dans les trente dernières années, on est passé du constat de l'égalité d'accès de tous les élèves à l'enseignement à la nécessité d'optimiser leurs chances de réussite, d'où l'interrogation sur la nature des difficultés rencontrées et la recherche de solutions adaptées. C'est le sens du fameux passage de la loi d'orientation "l'élève est au centre du système".

(1). Legrand, L. (1995). Les différenciations de la pédagogie, P.U.F.

(2) Peretti, A. de (1987). Pour une école plurielle, Paris : Larousse.

(3) Meirieu, P. (1987) Apprendre, oui mais ... comment ?. E.S.F.

(4) Peretti, A. de (1991). Organiser des formations, Paris : Hachette.

(5) Astolfi, J.P. (1992). L'école pour apprendre, E.S.F.

(6) Cahiers Pédagogiques (1997) Différencier la pédagogie, plusieurs éditions

(7) Przesmycki, H. (1991). Pédagogie différenciée, Paris : Hachette éducation






La pédagogie du projet
Le projet 
Sylviane Feuilladieu-Gely, Maître de conférences,  Sociologie. Source:
http://recherche.aix-mrs.iufm.fr/publ/voc/n1/laurent2/index.html

"Projet" apparaît au XV° siècle. C'est un terme dérivé du verbe "porjeter" qui signifie en vieux Français "jeté dehors, au loin, en avant". De la Renaissance à aujourd'hui quatre figures de la notion de projet se sont succédées (1). La première est celle du projet architectural, première forme de division du travail entre la conception et la réalisation d'une ½uvre. Au XVIII° siècle, le projet glisse de l'univers technique à l'univers sociétal. Prédomine alors la figure du projet de société, portée par la philosophie des Lumières, la croyance en la science et le progrès. Puis s'impose au XIX° une troisième figure : le projet existentiel, concept philosophique central de la phénoménologie et de l'existentialisme. Le projet définit l'intentionnalité de l'homme, ce par quoi il va instaurer une relation privilégiée avec son environnement et qui va donner sens à son existence. Enfin, la dernière figure est celle du projet individualisé, qui occupe tous les secteurs depuis le milieu des années 70. Si l'on parle tant "projet" dans un contexte de crise, c'est pour demander à l'individu d'orienter lui-même ses actions, dont la société n'en produit plus le sens et n'en offre plus les cadres de référence, en l'absence d'un projet sociétal global.

Le projet est en effet, par définition :

Il est représentation et gestion de l'espace et du temps, rationalisation et orientation de l'action. C'est un processus dynamique, moteur de l'action, puisque par son projet l'individu vise non seulement une situation future mais organise aussi très concrètement l'ensemble des opérations nécessaires à l'avènement de cette situation. C'est également un processus ouvert parce que tant que l'action anticipée n'est pas factuelle, elle garde un caractère réversible. C'est là un des caractères fondamentaux de tout projet. Un projet n'est pas un carcan. Il n'est pas un cadre rigide et enfermant. Il n'est pas non plus un contrat, une "convention par laquelle une ou plusieurs personnes" s'obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose" (Code civil)" (Le petit Robert). Il est le fil conducteur évolutif et malléable à souhait d'une histoire en devenir, un scénario possible parmi d'autres qui peuvent à tout moment être privilégiés à la place du choix initial.

Avoir un projet suppose donc l'exploration d'un environnement ouvert. Cela suppose que l'individu puisse agir sur son environnement, que ce dernier ne soit pas entièrement déterminé. La notion de projet véhicule une conception optimiste et humaniste des rapports sociaux : elle sous-entend l'existence d'un champ accessible de possibles.

Par ailleurs, la démarche de projet est une démarche globale et singulière. Globale parce que le projet forme un tout cohérent entre le but visé et la démarche entreprise pour l'atteindre. Il englobe à la fois l'élaboration, l'exécution, la gestion et l'évaluation de l'action. Singulière parce qu'il propose une réponse spécifique à un cas particulier.

Le projet dans l'Education nationale

L'idée de l'élève acteur de ses apprentissages n'est pas récente. Elle est présente dès la première moitié du XX° siècle dans les courants pédagogiques prônant les méthodes actives, comme la pédagogie ouverte (Dewey) ou l'éducation nouvelle (Freinet, Montessori, Decroly). L'idée de projet, elle, apparaît plus tard. Elle apparaît dans les textes officiels au milieu des années 70, à une période marquée par la pédagogie par objectifs, centrée sur l'apprenant et la finalité des apprentissages. Le premier moment de la politique de projet a été l'instauration en 1973 des "10% pédagogiques". Cette mise à disposition des établissements secondaires d'un contingent horaire a été à l'origine de nombreux projets pédagogiques innovants, d'expérimentations dans les classes et les écoles. Ont suivi en 1979 les projets d'action culturelle et éducative (PACTE), en 1981 les projets d'action éducative (PAE) et les projets de zones d'éducation prioritaires (ZEP), en 1989 le projet d'établissement et le projet personnel de l'élève...

La liste est longue. Tous les niveaux du système éducatif sont concernés : l'élève dans sa trajectoire scolaire ; les enseignants dans leur pratique pédagogique ; le chef d'établissement et le personnel non enseignant dans l'organisation et le fonctionnement de l'établissement, dans la gestion du public accueilli ; les zones d'éducation prioritaires et les bassins de formation dans la gestion du réseau éducatif... Personne n'y échappe. L'Education nationale de plus en plus confrontée à des situations problématiques (échec scolaire, orientations mal vécues, tensions...), comme la société globale, s'est mise à l'heure du projet. Avec la loi d'orientation sur l'éducation de 1989, l'élève est officiellement placé au centre du système éducatif. C'est l'aboutissement du mouvement d'individualisation des scolarités et l'institutionnalisation de la mise en projet des pratiques scolaires, amorcés dix ans plus tôt.

Si la notion de projet est omniprésente à l'Ecole, c'est parce qu'elle joue un rôle essentiel : elle participe à la gestion institutionnelle des dysfonctionnements. D'une part, elle permet de répondre au problème de l'hétérogénéité du public scolaire qu'un même mouvement éducatif ne permet plus d'embrasser et de mobiliser. Il appartient désormais à chacun de trouver sa place dans la formation. D'autre part, elle permet d'apaiser les tensions élève/institution en déplaçant le problème de l'échec scolaire et des orientations subies du système vers l'individu. En personnalisant les parcours, le projet renvoie la responsabilité des scolarités difficiles sur les élèves.

Avec le projet, l'Education nationale laisse au "terrain" l'initiative de résoudre les situations de crise, d'imaginer de nouveaux modes de fonctionnement. Le projet est un outil central des politiques éducatives. Il permet de déléguer mais aussi d'évaluer la mise en ½uvre de ces politiques. Cependant, pour évaluer les pratiques scolaires, encore faut-il que les projets élaborés soient de vrais projets. C'est-à-dire qu'ils reposent sur des actions concrètes, impulsées par la volonté d'un individu ou d'une équipe, non des chartes fantômes reprenant les généralités des textes dans le seul but de satisfaire à la demande institutionnelle.

Les projets de l'univers scolaire

Au-delà la dimension concrète des points abordés, ce type de projet détermine la politique même de l'école ou de l'établissement : les orientations prises en matière de notation, d'orientation, de lutte contre l'échec scolaire, d'apprentissage de la lecture, de gestion des actes de violence, d'ouverture sur l'environnement... Poser des objectifs et des axes de travail commun permet d'intégrer les activités de chacun dans l'action collective, de dynamiser et mobiliser tout ou partie de l'équipe éducative dans la vie de l'établissement. Ceci est un point non négligeable. En effet, une étude récente sur la violence en milieu scolaire (3) a montré l'importance de la mobilisation et de la cohésion interne de l'équipe éducative dans la régulation des conflits. Or, le projet d'établissement peut être le moyen de faire émerger et de légitimer une image forte de l'établissement, et de rassembler enseignants, personnel éducatif et élèves autour de cette identité.

Se projeter permet au jeune de se sentir impliqué dans l'évolution de sa carrière scolaire, de "garder la face" (au sens goffmanien, 5) dans une trajectoire sur laquelle les contraintes pèsent lourdement. Il n'est plus seulement un élève, le projet lui rend son statut de personne. Cependant, la demande institutionnelle de projet est porteuse de paradoxes et d'illusions. La demande même de projet auprès d'un public en difficulté est une injonction paradoxale. En effet, l'expérience scolaire de ces élèves est tellement sous tension qu'elle ne recèle "aucune des ressources du projet" (6). En l'occurrence, la responsabilisation et l'autonomisation des choix scolaire et professionnel, sous-jacentes à cette demande, fonctionnent comme un miroir déformant. La formulation d'un projet d'orientation n'implique pas forcément une grande liberté de choix des possibles. Ce n'est pas parce que le jeune a un "projet-opératoire" qu'il a un "projet-existentiel". Au contraire même, le premier peut légitimer l'absence du second, et faire oublier aux "outsiders" du système que les conditions de leur expérience ne permettent pas l'émergence d'un "projet-liberté".

L'utilisation des PAE, malgré l'idée qui est à l'origine de leur création, peut s'accompagner d'effets pervers. Comme le montre une étude portant sur le contenu de 430 projets "la nature des activités entreprises et les objectifs poursuivis à travers les PAE varient sensiblement en fonction de la composition du public scolaire" (8). D'une manière générale en effet (mais non systématique) les activités rattachées au monde du travail, aux relations humaines, à la vie quotidienne, les productions matérielles et intellectuelles sont davantage présentes dans les collèges dont le public est issu de milieu modeste ou très défavorisé. Il semblerait que les actions mises en place visent à préparer ces élèves à la réalité sociale qui les attend, ou à "compléter" les connaissances transmises dans leur milieu. Les activités artistiques elles, scolairement appréciées, sont surtout l'apanage des collèges dont le public est issu des classes aisées. L'auteur conclut ainsi à un maintien de la différenciation sociale inter-établissements "dans le sens où les savoirs et les savoir-faire transmis dans le cadre des PAE n'ont pas la même valeur en termes de culture légitime".

A partir d'études portant sur les projets et les actions menés en ZEP, Rochex pose la question de "l'extraordinaire du projet contre l'ordinaire de la classe" (10). En effet, ces études montrent la séparation existant d'une part entre les activités hors classe menées dans le cadre du projet de zone (jugées motivantes) et celles menées en classe (jugées ennuyeuses), et d'autre part entre les actions socialisantes et les apprentissages. Ces dichotomies posent problème :

Rochex met ainsi en évidence le fait qu'à trop couper les activités pédagogiques du projet de zone des activités pédagogiques de la classe, l'on risque de s'éloigner de l'objectif premier : réduire l'échec scolaire et améliorer les conditions de scolarité des enfants issus de milieu défavorisé.

Le nouveau plan de relance des ZEP fait évoluer le projet de zone vers un contrat de réussite qui "doit reposer sur un diagnostic de la situation et des résultats obtenus, en identifiant les causes de réussite et d'échec. Il comportera des objectifs précis et des engagements mutuels pour la réussite des élèves" (9c). Portant sur une période de 1 à 4 ans, ce contrat engagera l'ensemble des partenaires concernés ainsi que le recteur de l'académie. On aura compris que ce contrat-là n'est pas de même nature que le contrat didactique : il prend l'idée de contrat dans le sens de ce terme en droit civil, tandis que le contrat didactique fait référence au contrat social comme système d'attentes implicites que nul ne peut décrire en entier.

Le passage d'une politique de projet à une politique de contrat, s'il a indéniablement des avantages, comporte aussi ses limites. Le contrat de réussite lève les ambiguités d'une utilisation "molle" du projet : le faire-semblant d'une initiative pour se débarrasser d'une "corvée" institutionnelle, la diffusion d'un discours d'autonomie qui masque la réalité contrainte, le caractère nébuleux des objectifs et du plan d'action pour échapper à une évaluation perçue comme un contrôle... Avec le contrat, les choses sont claires : les acteurs "s'engagent mutuellement" à ½uvrer pour une plus grande réussite des élèves. Or, un individu qui signe un contrat se doit de respecter ses engagements. Cette obligation morale et institutionnelle, légalisée, permet moins facilement de renvoyer la responsabilité sur les autres, ou de s'en tenir à de simples intentions. Les actions projetées gagneront sans doute en réalisme et en pertinence. De par sa nature et son mode de fonctionnement, le contrat oblige à plus de pragmatisme et de clarté. Pour autant, ce mode de fonctionnement n'est pas sans faire question. En effet, le passage de la notion de projet à celle de contrat implique de renoncer à l'un des caractères fondamentaux et essentiels du projet : le caractère réversible de l'action projetée. Or, avec le contrat les choses sont définies dès le départ : la marge d'erreur et de liberté d'action risque de se réduire comme peau de chagrin.

Fin des années 80, Jean Vassillef a développé une théorie de la pédagogie du projet. Il définit celle ci comme "une socio-pédagogie, ce qui signifie que les compétences comportementales s'y acquièrent par le vécu direct d'une mise en situation réelle. Dans cette optique la formation n'est pas considérée comme un lieu de préparation des compétences pour leur mise en action ultérieure (plus tard et ailleurs) dans la réalité sociale, mais comme une institution sociale à part entière, de même grandeur que les autres (c'est même l'une des plus importantes), où chaque vécu prend la dimension immédiate de la réalité sociale" (13). Si l'on retrouve dans sa conception le principe fondamental de la pédagogie du projet, Vassillef, fort de son expérience de formateur confronté à un public en difficulté, va en faire une véritable pédagogie de l'autonomie.

Cette approche est surtout pertinente avec les adolescents (notamment ceux en échec, en mal de projet ou dont l'expérience scolaire est douloureuse), la capacité à analyser son histoire et à se projeter étant insuffisantes chez les jeunes enfants. En effet, ici le projet ne sert pas seulement les activités de la classe, il n'est pas non plus un simple outil de l'orientation ou de l'insertion. Il est à la base de la démarche d'autonomie de la personne, l'autonomie étant entendue comme "vivre selon un projet existentiel authentique, en retirant dans le présent la satisfaction de réaliser un projet d'anticipation personnel bâti sur les valeurs cohérentes d'un désir dont on connaît la genèse" (13). Dans cette conception, la pédagogie de projet consiste à articuler passé-présent-futur pour aider les individus en formation à élaborer un projet motivé, c'est-à-dire un projet d'anticipation qui s'articule de façon logique avec le projet existentiel ("ligne de conduite générale (que la personne) se donne et à laquelle elle tendra à rapporter l'ensemble des actes de sa vie" (13), un projet personnel qui ne soit pas "décharné", mais qui s'enracine dans l'histoire de l'individu et ait une signification profonde pour lui.

Conclusion

Cette présentation critique a posé les limites de la notion de projet et de ses principales formes rencontrées dans l'Education nationale. Ce n'est pas pour la bannir, au contraire : la notion de projet, si on la prend au mot, sans lui faire jouer le rôle d'une baguette magique, peut être un formidable outil d'action et de pensée. Outre sa fonction d'alibi, elle offre un espace de conscientisation et de liberté aux acteurs du système éducatif, ouvre un espace de parole et d'échange, permet de clarifier, négocier et légitimer l'action, de briser l'isolement des initiatives individuelles.

Ainsi, même si le projet tend à déplacer les dysfonctionnements du système plus qu'il ne les résout, il a au moins le mérite en tant que réponse à un problème scolaire et social de le soulever dans la volonté de l'amoindrir. Si l'Ecole développe des initiatives qui permettent aux enfants et aux jeunes de vivre mieux leurs années d'école, de collège ou lycée, c'est un bon début.







Enseignement-apprentissage
René Amigues, Professeur des Universités, Sciences de l’Education. Source: 
http://recherche.aix-mrs.iufm.fr/publ/voc/n1/laurent2/index.html

Pour des raisons historiques liées au développement des disciplines scientifiques, les rapports entre enseignement et apprentissage scolaires sont traités différemment selon les courants théoriques. Par exemple lorsqu'on parle de théories de l'apprentissage, il est fait référence généralement à des recherches psychologiques. Mais les psychologues, qui ont étudié finement les processus individuels d'apprentissage, ne peuvent pas dire grand chose, en tant que psychologues, sur l'enseignement. On pourrait tenir des propos analogues pour la sociologie de l'éducation qui propose des explications externes au processus d'enseignement-apprentissage.

Ce n'est que récemment, notamment par le biais des Technologies de l'Information et de la Communication, qu'un regain d'intérêt pour l'apprentissage par enseignement à réactiver des problématiques déjà anciennes en sciences sociales. De même que la création des IUFM conduit à réinterroger les courants théoriques "classiques" pour les besoins de la formation des enseignants. D'abord parce que pour certains d'entre eux il existe des rapports étroits entre enseignement et apprentissage, tandis que pour d'autres les deux processus peuvent être considérés de manière quasi indépendante. Ensuite, parce qu'on ne forme pas de la même manière les futurs professeurs selon que l'on considère l'enseignement comme devant suivre le développement psychologique des enfants et assister les élèves dans leurs apprentissages, ou que l'on considère l'enseignement comme ouvrant sur le développement de capacités ou de compétences intellectuelles qui nécessite l'apprentissage d'outils de pensée spécifiques. Enfin, parce que ces courants théoriques n'échappent pas aux idéologies et aux débats actuels sur les enjeux sociaux de l'école.

Diverses conceptions de l'apprentissage scolaire

En matière d'éducation ou de formation, l'apprentissage peut être considéré :

On notera que si ces deux courants dominants s'opposent sur le plan théorique ils se conjuguent cependant sur le plan idéologique comme en témoignent les directives ministérielles concernant l'individualisation de l'enseignement. Le seul courant théorique qui ait proposé de considérer l'enseignement-apprentissage comme un système est l'approche historico-culturelle qui souligne l'importance du processus de transmission de signes et d'½uvres socialement élaborés et du travail collectif dans l'appropriation individuelle des savoirs.

Les courants théoriques, leurs rapports à l'enseignement et l'apprentissage scolaire

Le behaviorisme (ou comportementalisme en français) considère l'apprentissage comme une modification durable du comportement résultant d'un entraînement particulier. Les mécanismes d'acquisition se fondent sur les théories du conditionnement selon lesquelles l'apprentissage consiste à établir une relation stable entre la réponse que l'on souhaite obtenir et les stimulations de l'environnement, à l'aide de renforcements (positifs ou négatifs). Motivation, répétition et renforcements positifs de la bonne réponse sont les ingrédients indispensables à tout apprentissage. Pour obtenir le comportement attendu, la matière à enseigner est découpée en unités de comportement, un programme de renforcements (1) doit être prévu pour orienter l'action vers les stimulus cibles (apprentissage discriminatif), les répétitions permettent d'assurer l'association stimulus-réponse.

Le behaviorisme a particulièrement insisté sur le délai entre la réponse fournie par l'élève et le renforcement en retour délivré par le professeur. De nombreuses études expérimentales ont pu montrer que plus ce délai était bref, meilleure était la performance finale. Par exemple, un délai de trois semaines pour rendre des copies ne constitue pas de bonnes conditions pour que l'élève réorganise son action. Dans les pratiques courantes d'enseignement, cette idée s'est traduite sous la forme d'une évaluation immédiate ou "en temps réel" selon le scénario suivant : exposé de la notion, exercice d'entraînement, évaluation de ce que les élèves ont retenu, de façon à adapter la prochaine leçon aux résultats obtenus. Une des conséquences de ce type de pratique est la disparition "d'écrits longs", par exemple, réalisés en classe ou à la maison.

Les thèses behavioristes se sont cristallisées dans l'enseignement programmé qui vise à installer un apprentissage sans erreur en proposant une progression graduée des unités comportementales. Les machines à enseigner (ancêtres des ordinateurs) proposées par Skinner sont supposées fournir un programme de renforcements adapté à chaque élève (1). Elles assureraient, mieux que ne peut le faire l'enseignant, une meilleure individualisation de l'enseignement (2).

Pour le béhaviorisme, l'apprentissage est le résultat de l'enseignement qui doit fournir des formes adaptées aux besoins des élèves. L'enseignement doit parvenir à "un système d'éducation presque sans erreur" (2). La qualité de l'enseignement consiste à fournir aux élèves des situations stimulantes, des renforcements adaptés, des rétroactions correctrices sous forme d'évaluation formative. Cette dernière consiste à mettre en place un programme d'entraînement qui assure l'atteinte par tous les élèves des objectifs prescrits. Ainsi, le béhaviorisme fournit à l'enseignement des instruments comme la pédagogie de maîtrise et l'évaluation formative pour assurer les apprentissages des élèves. L'apprentissage est défini comme le temps requis pour atteindre un objectif précis pour un niveau de maîtrise déterminé (voir par exemple l'organisation en cycles à l'école élémentaire). La variable temporelle est essentielle dans l'apprentissage. Par exemple, de nombreuses études expérimentales ont montré qu'un entraînement distribué dans le temps produit un meilleur apprentissage qu'un entraînement massé (cours regroupés, par exemple). Mais, visiblement, ce n'est pas sur de tels résultats que se fonde la semestrialisation des formations à l'université, par exemple.

Du point de vue de l'enseignement, la référence essentielle est celle du préceptorat (2) puisque lui seul permet d'individualiser les parcours de formation, de prendre en compte les difficultés de chaque élève. Idées que l'on retrouve dans les propositions ministérielles relatives à l'aide individualisée, aux parcours diversifiés, aux technologies de l'information et de la communication éducatives (T.I.C.E.). Cette perspective, essentiellement pragmatique, évacue notamment le rapport au savoir, les difficultés conceptuelles des matières d'enseignement, le rapport aux autres, l'analyse du travail du professeur, et la question des rythmes scolaires ne prend pas en compte les rythmes d'apprentissage des élèves puisque celui-ci est confondu avec le temps d'enseignement.

Le constructivisme, considère l'apprentissage comme un processus de construction des connaissances qui se réalise dans l'interaction entre le sujet pensant et l'environnement dans lequel il évolue. Ces thèses accordent un rôle essentiel aux actions et aux opérations réalisées par le sujet dans la structuration de la pensée. Pour construire ses connaissances, l'individu utilise les connaissances antérieures comme moyen de représentation, de calcul et de réflexion sur sa propre action. Les connaissances anciennes jouant le rôle de processus d'assimilation des connaissances nouvelles (3). En d'autres termes, ce qu'un individu va apprendre dépend de ce qu'il sait déjà.

Les thèses constructivistes proposent un modèle universel (système de régulation propre aux systèmes vivants) du développement individuel de l'intelligence, considérée comme une forme particulière d'adaptation. Elles proposent ainsi un modèle du développement intellectuel unidirectionnel et autonome ; c'est à dire interne au sujet et dont l'évolution est indépendante de l'environnement (culturel, éducatif, etc.) et, a fortiori, de l'enseignement.

Cette approche a été largement reprise par les discours pédagogiques et les instructions officielles. Elle fournit la rationalité qui fonde les méthodes d'éducation actives dont les pionniers (Claparède, Decroly, Dewey) avaient souligné l'importance de l'action propre de l'élève et d'une pédagogie centrée sur la découverte et l'intérêt. Dans cette approche puérocentrique, le rôle du professeur consiste à proposer un environnement structuré et riche pour que l'élève découvre par lui-même les contradictions qu'il est prêt à affronter en inventant de nouvelles structures intellectuelles. Cette tendance est particulièrement marquée dans l'enseignement scientifique (voir les micromondes informatiques proposés par Papert ou "la main à la pâte" proposée plus récemment par Charpack).

Ce que l'on retient généralement du constructivisme, dans sa forme vulgarisée, c'est :

  1. l'élève construit ses connaissances par son action propre,
  2. le développement intellectuel est un processus interne et autonome, peu sensible aux effets externes, en particulier ceux de l'enseignement,
  3. ce développement est universel et se réalise par étapes successives,
  4. l'élève ne peut "assimiler" des connaissances nouvelles que s'il dispose des structures mentales qui le permettent. En d'autres termes, il ne sert à rien de vouloir enseigner quelque chose à un élève tant qu'il n'est pas "mûr" pour l'assimiler. Cette position à engendré un certain "attentisme pédagogique" et à fait dire à Vygotski que pour Piaget "l'apprentissage est à la remorque du développement",
  5. lorsqu'un individu parvient à un niveau de fonctionnement logique il peut raisonner logiquement quel que soit le contenu de savoir.
    Si sur le plan théorique ces différents points sont controversés et remis en cause il en va autrement pour les instructions officielles et les doctrines pédagogiques.

Dans cette perspective, le rôle de l'enseignant consiste surtout à ne pas entraver le processus de développement interne de l'élève en imposant un programme d'enseignement (l'enseignement doit s'adapter aux besoins des élèves). Son rôle consiste à observer, à diagnostiquer, à pratiquer l'évaluation formative et la pédagogie différenciée. Les pratiques de "l'enseignant-médiateur" qui tendent à se répandre actuellement mêlent des ingrédients behavioristes à la "sauce" constructiviste. Aussi convient-il dans les débats de bien distinguer les résultats de la recherche scientifique, d'un côté, les doctrines pédagogiques et les réformes ministérielles, d'un autre côté.

Ces deux courants théoriques privilégient essentiellement "l'apprenant" : le behaviorisme se centre sur les conditions et les mécanismes par lesquels un élève parvient à fournir la réponse attendue dans des conditions bien précises ; le constructivisme piagétien s'intéresse essentiellement à la modification de processus internes de l'élève. Mais l'un comme l'autre ignorent les conditions réelles du travail scolaire qui mettent en présence un enseignant, des élèves, un savoir et les contraintes de mise en ½uvre et de gestion d'une situation didactique : épistémologiques, communicationnelles, temporelles, sociales, etc. En somme, ces deux courants théoriques, qui inspirent bien des réformes, des programmes scolaires et des doctrines pédagogiques, ne parviennent pas complètement à rendre compte des rapports entre enseignement et apprentissage.

Le cognitivisme est un courant théorique qui n'étudie pas l'apprentissage stricto sensu ou la construction de connaissances. Il tente de rendre compte de la mobilisation de connaissances acquises dans la résolution de problèmes. Les notions centrales de représentation de connaissances et de stratégies de traitement de l'information sont souvent évoquées pour rendre compte des difficultés des élèves dans la lecture d'énoncés, la compréhension de consignes, le traitement de l'information, etc. Ces difficultés, considérées comme préalables à l'apprentissage sont alors imputées à l'élève, elles sont à l'origine d'erreurs ou d'obstacles à l'apprentissage, mais ne sont pas considérées comme des éléments constitutifs du processus d'enseignement ou d'apprentissage. D'inspiration mentaliste, cette perspective renforce les conceptions du constructivisme vulgarisé qui privilégie les thèses internalistes du fonctionnement cognitif et individualistes de la formation.

L'approche historico-culturelle proposée par Vygotski est le seul courant théorique qui se soit donné pour objet d'étude les rapports entre l'enseignement et le développement intellectuel médiatisés par un apprentissage "instrumental" (4). La thèse essentielle pourrait être résumée de la façon suivante : l'enseignement est un processus de transmission culturelle qui engendre le développement de capacités mentales, non encore maîtrisées par les élèves, et qu'ils construisent par un apprentissage d'outils spécifiques constitutifs des ½uvres humaines (littéraires, scientifiques, artistiques…). La transmission culturelle de ces dernières étant largement dévolue à l'école.

Selon Vygotski, les savoirs enseignés (les "concepts scientifiques") se distinguent des conceptions familières (les "concepts quotidiens") construites à travers l'expérience pratique. Les premiers sont des produits de l'activité humaine, des "½uvres" -littéraires, scientifiques, artistiques…- socialement élaborées, historiquement datées et culturellement transmises, notamment par l'école. Il ne s'agit pas d'opposer les deux types de concepts, mais de différencier leur mode de transmission et d'appropriation.
L'école transmet des savoirs constitués (linguistiques, mathématiques, biologiques…), des savoirs "écrits" qu'elle transmet sous différentes formes d'écritures (différents types de textes, symboles, plans, cartes, tableaux…). Ce qui engendre à la fois une difficulté particulière dans l'acquisition et un changement dans le rapport de l'élève au monde. Pour connaître le monde l'élève n'agit pas directement sur la réalité physique qui l'entoure, il agit par l'intermédiaire de ces différents modes de représentation sur une partie de monde reconfigurée à cette fin. Le rapport au temps ou à l'espace, par exemple, ne peut se concevoir indépendamment des outils qui seront utilisés pour l'apprécier (sablier, calendrier, montre, système métrique…). L'école transmet des "outils" qui assurent une fonction de médiation entre l'élève et le monde, les autres et soi.

La thèse vygotskienne avance que le psychisme humain est de nature sociale et que les fonctions intellectuelles se développent par l'apprentissage de ces "outils" ou de "systèmes de signes", au premier rang desquels figure le langage (4). Cette approche historico-culturelle (ou socio-historique, selon les auteurs) se distingue, d'un côté, du réductionnisme behavioriste, de son "immédiateté" et de son "pragmatisme", et, d'un autre côté, du constructivisme piagétien, dont elle refuse les explications "internalistes". La transmission culturelle scolaire est à la fois la source de la formation intellectuelle et de la socialisation. C'est pour rendre compte de ce processus que cette approche étudie les activités sémiotiques et les processus de médiation dans les situations d'enseignement-apprentissage.

La transmission scolaire de tels savoirs se distingue des pratiques sociales courantes (familiales, formation sur le tas). C'est la raison pour laquelle l'école propose des situations dites "artificielles" par opposition à des situations qui seraient "naturelles". Pour ce faire, les rapports sociaux doivent être repensés dans une perspective d'éducation formelle. B. Lahire parle de "pédagogisation des relations sociales" (5), pour désigner non seulement les rapports scolaires entre les maîtres et les élèves, notamment l'asymétrie de la relation maître-élève, mais aussi les formes du dialogue didactique, qui se distinguent de formes langagières familières. Ce cadre d'échange est aussi une façon de penser son rapport au savoir et aux autres. C'est dans ce cadre que l'on peut situer l'action du professeur et des élèves au sein d'un collectif de travail ou groupe-classe.

Le travail de l'enseignant consiste à organiser un milieu d'étude pour un collectif d'élèves. Il organise non seulement l'environnement technique et symbolique de construction d'une réponse collective, mais il organise aussi les conditions du dialogue didactique : professeur/collectif, explicitations, confrontations de points de vue entre élèves, re-formulation, réinscription de connaissances anciennes, etc. C'est le déroulement du dialogue didactique, le développement discursif qui permet l'accomplissement du travail réflexif sur l'action, l'analyse critique, la prise de distance et de conscience de ce que l'on fait et des raisons pour lesquelles on fait ainsi et pas autrement. C'est une technique d'enseignement qui dispose les élèves pour étudier un objet de savoir particulier et les enrôle dans un processus participatif.

Le processus d'enseignement inscrit l'apprentissage dans le temps ; ce qui signifie très précisément que le traitement fait des connaissances actuelles a certes un sens par rapport à leur passé, mais doivent en avoir par rapport à leur devenir. C'est dire que la progression scolaire suppose la transformation permanente d'une mémoire en pensée agissante, la construction progressive d'instruments de contrôle, de mobilisations particulières, ce que Vygotski nomme les fonctions psychiques supérieures (attention, mémoire, volonté, pensée verbale,...). En proposant des situations d'étude distribuées dans le temps, le professeur est contraint de "gérer" à la fois la "continuité" des apprentissages et leur "rupture" pour entraîner l'élève au-delà de ce qu'il sait faire. Il est ainsi amené à créer une zone de proche développement.

Ce paradoxe, continuité/rupture, est caractéristique du processus transmission-appropriation qui doit transformer les contraintes d'action en ressources cognitives qu'utilise le groupe-classe. Par exemple, dans la classe l'élève construit une réponse raisonnée (il doit rendre compte de son action dans les termes d'un système sémiotique (grammaire, algèbre…) validé par d'autres que lui-même (la société, la grammaire "officielle", l'algèbre enseigné…) et socialement acceptable par le groupe-classe. Ainsi, pour dire publiquement "comment et avec quoi" il pense, l'élève doit utiliser des "outils de pensée" élaborés par les générations précédentes, et ces significations sociales font l'objet d'échanges et de partage. La contrainte "rendre public l'utilisation de significations sociales" constitue une ressource cognitive pour l'élève et le groupe. C'est pour cela qu'il doit d'abord raisonner avec les autres (professeur et élèves) pour penser pour lui-même et par lui-même. C'est le passage de l'interpsychique à l'intrapsychique sur lequel le socioconstructivisme a particulièrement insisté.

Le processus de transmission-appropriation de savoirs

L'élève s'approprie les savoirs scolaires dans un contexte d'usage "d'outils" caractéristique du fonctionnement de la classe. Cela signifie plus précisément que la construction de connaissances par l'élève passe par la reconstruction et l'intériorisation des rapports sociaux de mise en ½uvre des savoirs transmis. Ici le terme de "transmission" mérite bien des guillemets car il ne faut surtout pas l'entendre dans le sens ordinaire de "transmission directe d'information du professeur à l'élève", mais plutôt comme la construction d'un "contexte d'usage" de techniques, de façons de faire et d'utiliser des outils construits par d'autres. C'est la raison pour laquelle, il ne faut pas confondre le temps d'enseignement, qui place l'élève dans des conditions particulières d'étude d'une question donnée et qui ouvre sur la co-construction du savoir enseigné par le professeur et le groupe-classe, et le temps d'apprentissage qui correspond au temps psychologique de reconstruction par l'élève de cette expérience partagée en classe (6).

Placé dans des conditions particulières d'étude, par l'enseignement, l'élève utilise des "outils", des "techniques" qui médiatisent son rapport à l'objet étudié. Il ne s'agit pas d'une action directe (comme avec le behaviorisme) mais d'une mise à distance, d'un recul, qui implique une réflexion sur l'action médiée par les outils spécifiques à sa réalisation. Cette activité réflexive et critique est conduite collectivement par l'enseignant qui organise le cadre de questionnement et d'échange, de façon à ce que chaque élève repère ce qu'il y a à faire et comment s'y prendre, qu'il "s'approprie" en situation les techniques de pensée. Mais, l'apprentissage suppose que l'élève "recycle" pour lui-même ces données préalablement travaillées et mises en forme dans le groupe-classe, qu'il transforme ces "outils sociaux" en "instruments" de pensée. Cette reconstruction pour soi ne se fait pas instantanément dans une seule situation d'exécution. Elle s'inscrit dans le temps, diverses situations et expériences sociales. Elle se fait dans "l'après-coup", "par à-coups", "retours en arrière", reconstructions partielles et provisoires. Dès lors la "progression de l'apprentissage" ne peut être confondue avec la "progression pédagogique", qui suppose une organisation croissante des difficultés. Dès lors, si l'enseignement engendre le développement de compétences, il ne peut prévoir ce que l'élève va apprendre et comment il va l'apprendre, mais il pourra constater, à travers les situations proposées, ce qu'il "sait". Du coup, si ce que l'élève apprend dépend de ce qui a été enseigné, une partie de ce qu'il apprend échappe nécessairement au professeur. Ce qui va à l'encontre d'une idée "toute faite" en matière de formation des enseignants selon laquelle, "si l'on savait comment l'élève apprend alors on saurait comment enseigner", ou, ce qui revient au même, "parce que chaque élève apprend à sa façon alors il faut individualiser l'enseignement". Cette position idéologique est trompeuse parce qu'elle suppose que l'enseignant pourrait "tout contrôler" de l'apprentissage de l'élève tandis que celui-ci serait l'unique responsable de ses apprentissages. Elle est à l'origine d'un malentendu didactique fondamental qui piège aussi bien les professeurs que les élèves.

L'apprentissage peut se réaliser à l'extérieur de l'école et de bien des façons : les devoirs à la maison, refaire les exercices, apprendre son cours pour la prochaine fois, etc. Mais il est aussi organisé à l'intérieur de l'école, non seulement par les rappels : récitation du cours, corrigés d'exercices, "contrôles", etc., mais aussi, et surtout, parce que l'enseignement fait avancer les contenus et que l'élève doit rejouer son expérience, mettre à l'épreuve ses connaissances, les confronter avec celles des autres, les reformuler dans un autre cadre de questionnement spécifique à un objet d'étude et qui évolue lui aussi dans le temps. La reconstruction pour soi des outils transmis peut se réaliser dans les divers milieux d'appartenance de l'élève, dont il est le siège. Cette reconstruction inscrit l'élève dans ce réseau de milieux et de pluralité de significations auxquelles il doit confronter son propre point de vue. C'est bien dans cette circulation des savoirs et des lieux que l'apprentissage de l'élève prend sens. C'est parce qu'il est soumis à plusieurs régimes de productions de savoirs dont il doit assumer les tensions et les contradictions que l'élève se construit comme individu et comme personne. Contrairement à l'idéologie individualiste, c'est dans les rapports sociaux que l'individualité se construit et non pas dans la coupure sociale qui sépare l'individu mythique d'un collectif qui l'est tout autant. C'est la raison pour laquelle prôner l'individualisation de l'enseignement, c'est laisser l'individu face à lui-même : "faire le vide social autour de l'élève c'est faire le vide à l'intérieur du sujet" (7,8).

Le processus de transmission-appropriation établit un rapport au savoir qui est à la fois technique, discursif et social. C'est vraisemblablement la raison pour laquelle se développent de plus en plus d'approches pluridisciplinaires des situations d'enseignement, ou encore que les recherches en didactiques des disciplines font de plus en plus référence aux thèses vygotskiennes.

L'approche historico-culturelle pose des questions fondamentales auxquelles la recherche en éducation commence à s'ouvrir (9) : Qu'est-ce qui se transmet ? Qu'est-ce qui s'apprend ? Qu'est-ce qui se développe ? A l'école et en dehors de l'école ?
Ce courant théorique connaît actuellement un regain d'intérêt. Non pas parce qu'il propose des solutions empiriques, ni une théorie achevée des rapports entre enseignement-apprentissage-développement de compétences. Mais parce qu'il pose des questions essentielles en matière de médiation qui permettent de penser ces rapports en termes de continuité/rupture des apprentissages, de conflit et de tension entre divers lieux de formation, de situer l'individu comme siège de ces conflits et tensions constitutifs de son identité, etc. Il offre en outre un cadre qui permet de resituer des questions clés pour la formation, aussi bien initiale que continue. Par exemple, la construction de connaissances en contexte (scolaire), le rapport entre expérience et savoir, entre individu et collectif, socialisation par la transmission de savoirs, relations entre activités scolaires et extra scolaires, etc. qui sont autant de questions vives sur le plan scientifique que d'enjeux forts dans les choix de politique scolaire.


(1). Skinner, B.J. (19 ). La révolution scientifique de l’enseignement.

(2). Bloom, B.J. (1979). Caractéristiques individuelles et apprentissages scolaires. Paris : Nathan.

(3). Piaget

(4) Vygotsky, L.S. (1934/1985). Pensée et langage. Paris, Ed. Sociales.

(5). Lahire, B.(1994). In G. Vincent, B. Lahire et D. Thin (Eds). L’éducation prisonnière de la forme scolaire ? Scolarisation et socialisation dans les sociétés industrielles. Presses Universitaires de Lyon.

(6). Amigues, R. (2000). Enseigner en maternelle un acte d’institution, in R. Amigues et M.T. Zerbato-Poudou (Eds.). Comment l’enfant devient élève. Les apprentissages à l’école maternelle. (pp. 85-132). Paris : Retz.

(7). Amigues, R. et Zerbato-Poudou, M.T. (Eds.). Comment l’enfant devient élève. Les apprentissages à l’école maternelle. Paris : Retz.

(8).Rochex, J.Y. (1999). Vygotski et Wallon : pour une pensée dialectique des rapports entre pensée et affect. in Clot, Y. (Ed.). Avec Vygotski. Paris : La Dispute

(9). Clot, Y. (1999). Avec Vygotski. Paris : La Dispute.