Machines � Sous

D�sespoirs et tristesse

(Extrait de "Paroles", Jacques Pr�vert)

D�jeuner du matin

Il a mis le caf�
Dans la tasse
Il a mis le lait
Dans la tasse de caf�
Il a mis le sucre
Dans le caf� au lait
Avec la petite cuiller
Il a tourn�
Il a bu le caf� au lait
Et il a repos� la tasse
Sans me parler
Il a allum�
Une cigarette
Il a fait des ronds
Avec la fum�e
Il a mis les cendres
Dans le cendrier
Sans me parler
Sans me regarder
Il s'est lev�
Il a mis
Son chapeau sur sa t�te
Il a mis
Son manteau de pluie
Parce qu'il pleuvait
Et il est parti
Sous la pluie
Sans une parole
Sans me regarder
Et moi j'ai pris
Ma t�te dans ma main
Et j'ai pleur�.

Le d�sespoir est assis sur un banc

Dans un square sur un banc
Il y a un homme qui vous appelle quand on passe
Il a des binocles un vieux costumes gris
Il fume un petit ninas il est assis
Et il vous appelle quand on passe
Ou simplement il vous fait signe
Il ne faut pas le regarder
Il ne faut pas l'�couter
Il faut passer
Faire comme si on ne le voyais pas
Comme si on ne l'entendais pas
Il faut passer presser le pas
Si vous le regardez
Si vous l'�coutez
Il vous fait signe et rien ni personne
Ne peut vous emp�cher d'aller vous asseoir pr�s de lui
Alors il vous regarde et sourit
Et vous souffrez attrocement
Et l'homme continue de sourire
Et vous souriez du m�me sourire
Exactement
Plus vous souriez plus vous souffrez
Atrocement
Plus vous souffrez plus vous souriez
Irr�m�diablement
Et vous restez l�
Assis fig�
Souriant sur le banc
Des enfants jouent tout pr�s de vous
Des passants passent
Tranquillement
Des oiseaux s'envolent
Quittant un arbre
Pour un autre
Et vous restez l�
Sur le banc
Et vous savez vous savez
Que jamais plus vous ne jouerez
Comme ces enfants
Vous savez que jamais plus vous ne passerez
Tranquillement
Comme ces passants
Que jamais plus vous ne vous envolerez
Quittant un arbre pour un autre
Comme ces oiseaux.

Le miroir bris�

Le petit homme qui chantait sans cesse
le petit homme qui dansait dans ma t�te
le petit homme de la jeunesse
a cass� son lacet de soulier
et toutes les baraques de la f�te
tout d'un coup se sont �croul�es
et dans le silence de cette f�te
j'ai entendu ta voix heureuse
ta voix d�chir�e et fragile
enfantine et d�sol�e
venant de loin et qui m'appelait
et j'ai mis ma main sur mon coeur
o� remuaient
ensanglant�s
les septs �clats de glace de ton rire �toil�.

Le cheval rouge

Dans les man�ges du mensonge
Le cheval rouge de ton sourire
Tourne
Et je suis l� debout plant�
Avec le triste fouet de la r�alit�
Et je n'ai rien � dire
Ton sourire est aussi vrai
Que mes quatre v�rit�s.

L'automne

Un cheval s'�croule au milieu d'une all�e
Les feuilles tombent sur lui
Notre amour frissonne
Et le soleil aussi.

Dimanche

Entre les rang�es d'arbres de l'avenue des Gobelins
Une statue de marbre me conduit par la main
Aujourd'hui c'est dimanche les cin�mas sont pleins
Les oiseaux dans les branches regardent les humains
Et la statue m'embrasse mais personne ne nous voit
Sauf un enfant aveugle qui nous montre du doigt.