Bien entendu, toutes les situations que constituent les parcours diversifi�s et les travaux personnels encadr�s sont des occasions de placer l'�l�ve dans une situation o� le professeur accompagne plus qu'il n'impose. L'enseignant doit amener les apprenants � se construire des m�thodes de travail et � sortir d'un enseignement cloisonn�, rigide et �triqu� afin de faire germer la cr�ativit� dans une perspective multidimensionnel. Ce sont surtout les TIC qui offrent� l’opportunit� de cr�er un nombre important et vari� de t�ches permettant une plus grande diff�renciation et un apprentissage centr� sur l’�l�ve. Face � leur processus d’apprentissage les apprenants d�veloppent alors une attitude plus responsable tout en travaillant � leur rythme et � leur niveau de connaissance.
"L'autonomie de l’apprenant implique qu'il prenne activement en charge tout ce qui constitue un apprentissage, c'est-�-dire aussi bien sa d�finition, sa gestion et son �valuation que sa r�alisation." (Holec 1991 : conclusion; cf. aussi Camilleri 2002, Autonomie de l'apprenant et r�le de l'enseignant, p. 41-47.)
Dans le langage commun, l'autonomie est synonyme d'ind�pendance, de libert� voire de souverainet�. Le Petit Robert (1993) nous dit que c'est le droit de se gouverner par ses propres lois. Cette notion, ce concept, s'oppose � celle de d�pendance. Dans le domaine de l'enseignement et des m�thodes p�dagogiques la notion est centrale dans toutes les formes de m�thodes actives centr�es sur l'apprenant. On vise par ces m�thodes � rendre l'apprenant autonome, � le responsabiliser, � lui donner la possibilit� de prendre des initiatives, de d�cider. En effet, transpos�e dans le domaine de l'enseignement, l'autonomie de l'apprenant peut �tre comprise comme ind�pendance vis-�-vis de l'enseignant et ou de l'enseignement (de ses modalit�s). L'autonomie de l'apprenant sera fonction de la possibilit� qu'il aura de prendre ses distances par rapport � l'enseignant, d'abord d'un point de vue spatial et temporel. Ceci renvoie � des dispositifs construits autour d'un centre de ressources offrant des situations de travail individuel o� l'apprenant est ma�tre de son temps, du moment et de la dur�e de la s�ance de travail, hors de la pr�sence d'un enseignant (intimit�, anonymat). On pourra parler de travail en autonomie.
Mais cette ind�pendance vis-�-vis de l'enseignant, cette prise de distance peut aller au-del� de cette libert� spatiale et temporelle si l'apprenant a la possibilit� de d�cider des mat�riaux � partir desquels il va travailler, des contenus (par exemple, dans un contexte d'apprentissage g�n�ral d'une langue seconde�: travailler l'�crit ou l'oral, le lexique, la grammaire, la civilisation, l'orthographe, la litt�rature...), des activit�s (exercices, cours, lecture, jeu, conversation, s�ances de groupes, entretiens avec un enseignant, avec un "tuteur"). L'enseignant n'est plus le prescripteur habituel, il devient le conseiller, le facilitateur, la ressource � laquelle l'apprenant peut faire appel quand il en a besoin. Il nous para�t important de pr�ciser ici que nous nous pla�ons pour cette conception de l'autonomie dans des dispositifs qui ont �t� pens�s par un ou des enseignants, les mat�riaux ayant �t� soigneusement s�lectionn�s selon des crit�res scientifiques et didactiques, bien d�finis et coh�rents.
Nous reprendrons volontiers ici la conception de l'individualisation d�velopp�e par Meirieu (1994). Il nous rappelle que le concept d'individualisation est relativement ancien (les premi�res exp�riences datent des ann�es 20) et qu'il �tait au d�part essentiellement bas� sur le souci de respecter le rythme d'apprentissage des apprenants. La notion actuelle d'individualisation met l'accent sur la diversit� des moyens d'apprendre adapt�s � chacun. Il s'agit aujourd'hui de diff�rencier, d'individualiser, toutes les dimensions de l'acte d'apprendre, c'est-�-dire de proposer des situations d'apprentissage/enseignement� tant�t individuelles et tant�t collectives, de mettre en oeuvre des m�thodes p�dagogiques diversifi�es et de mettre � disposition des outils eux aussi vari�s qui privil�gient tant�t l'�crit, tant�t l'oral et qui exploitent les potentialit�s des TIC.
Avec les TIC, on dispose aujourd'hui d'une palette de moyens d'action de formation/enseignement/apprentissage particuli�rement riche qui s'appuie � la fois sur des outils de formation et des outils de communication.
Dans le domaine des langues, de nombreuses exp�riences sont men�es qui explorent et exploitent � des fins d'apprentissage les potentialit�s des outils de communication en ligne (les r�seaux dont bien s�r Internet), qu'ils soient synchrones comme la visioconf�rence, le bavardage (chat, en anglais) ou asynchrones comme le courrier �lectronique, les forums. Du c�t� des produits de formation, on dispose soit de produits p�dagogiques hors-ligne sur c�d�rom (ou sur disquettes) ou de produits en ligne sur des sites p�dagogiques.
Cette vari�t� de moyens permet d'imaginer toutes sortes d'environnements d'apprentissage, de dispositifs de formation/enseignement "sur mesure" au sens propre du terme, pour r�pondre aux attentes et aux besoins des apprenants, donnant l'opportunit� � chacun de mettre en oeuvre ses propres strat�gies d'apprentissage.� lire la plupart des projets d'�coles ou des projets d'�tablissements, � consulter les instructions minist�rielles, � entendre les parents et les enseignants, on d�couvre que l'"autonomie" est au centre de tous les discours. On veut former des �l�ves autonomes, des enfants autonomes, former � l'"autonomie requise pour l'exercice d'une citoyennet� responsable", etc.
Or, � regarder de pr�s les pratiques scolaires et les comportements des �l�ves, on d�couvre que, en r�alit�, ce n'est pas l'autonomie qui est d�velopp�e mais bien plut�t quelque chose comme la d�brouillardise. En fait, ce qui est vraiment form� � l'�cole c'est la capacit� � s'en tirer le mieux possible avec le moins d'efforts possible, � faire semblant d'�couter plut�t que d'�tre vraiment attentif, � interpr�ter ce que le ma�tre veut qu'on dise plut�t qu'� comprendre r�ellement ce qu'il dit, � �chapper � la punition quand on n'a pas fait son travail, � ne pas se faire � interroger quand on n'a pas appris sa le�on. Ainsi se construisent d'�tranges mais efficaces attitudes qui permettent d'appara�tre bon �l�ve plut�t que l'�tre vraiment et de se d�brouiller dans l'imbroglio des propositions scolaires... Une fois acquises, ces attitudes permettront de choisir correctement ses langues et ses sections, de calculer au mieux les investissements minima pour parvenir � ses fins personnelles.
Certes, l'Ecole n'est pas, � elle seule, responsable de cette confusion entre l'autonomie et la d�brouillardise : il existe une multitude de pratiques sociales qui invitent � aller dans ce sens. Mais peut-�tre, pr�cis�ment, l'Ecole a-t-elle, ici, un devoir de r�sistance et ne doit-elle pas h�siter � travailler � contre-courant ? Peut-�tre doit-elle former � une autonomie v�ritable qui soit tout � la fois interrogation sur l'efficacit� et sur la valeur de ses actes ? Peut-�tre ne doit-elle pas syst�matiquement favoriser ceux qui connaissent d�j�, en raison d'une sorte de complicit� culturelle et sociale, les r�gles du jeu ? Peut-�tre doit-elle apprendre � tous les �l�ves � voir les cons�quences � long terme de ce qu'ils font au lieu de s'en tenir � une rentabilit� imm�diate�?
Car la v�ritable autonomie, en tant qu'elle est apprentissage � la capacit� de se conduire soi-m�me, met en jeu, de mani�re �troitement li�e, trois dimensions : la d�finition d'un champ de comp�tences pr�cises pour l'�ducateur, une option sur des valeurs que l'on cherche � promouvoir et une appr�ciation du niveau de d�veloppement de la personne.
La d�finition d'un champ de comp�tences d'abord : tout le monde peut � former � l'autonomie mais n'importe qui n'est pas capable de promouvoir cette autonomie dans tous les domaines. Une assistante sociale visera l'autonomie des familles dans la gestion de leur budget par la lutte contre le surendettement. Une infirmi�re pourra former � l'autonomie dans le domaine de la sant� en apprenant aux personnes � g�rer intelligemment leur armoire � pharmacie. Un animateur de MJC voudra amener les habitants de son quartier � une autonomie dans la mani�re d'utiliser leur temps de loisir en profitant des infrastructures socioculturelles mises � leur disposition. L'instituteur a, quant � lui, la responsabilit� de former ses �l�ves � l'autonomie dans la gestion de leur travail scolaire: c'est � lui � leur apprendre � s'organiser, � trouver les m�thodes les plus efficaces pour apprendre leur le�on ou r�viser leur contr�le, � �valuer les r�sultats qu'il atteint, � chercher les rem�diations requises, etc.: c'est l� une t�che qui lui revient de droit en tant qu'il est un sp�cialiste des apprentissages scolaires; il ne doit en aucun cas laisser cette t�che aux parents qui ne sont ni form�s, ni bien plac�s pour cela... Chaque parent sait bien, en effet, - m�me s'il est enseignant - qu'il n'est jamais le mieux plac� pour "faire travailler" ses enfants; chacun a fait l'exp�rience de cette "surchauffe affective" qui menace quand, dans un sursaut de "conscience parentale", il s'ent�te � remplacer un instituteur sans disposer de la distance affective n�cessaire; le chantage affectif est toujours l�, latent, en d�pit de toutes les bonnes intentions: "si tu m'aimais vraiment, tu saurais faire cette division"! Cela ne veut pas dire, bien s�r, que les parents n'ont aucune responsabilit� en mati�re de formation � l'autonomie: mais il vaut mieux profiter des occasions offertes par la vie familiale pour cela... l'organisation d'un voyage ou d'un go�ter, la participation � des travaux de bricolage, la r�flexion sur l'usage de la t�l�vision par une lecture collective des programmes et un choix raisonn� des �missions, tout cela fournit d'excellentes occasions de r�fl�chir � ce qu'est une attitude autonome dans laquelle on se laisse pas dicter ses choix. Et les parents sont bien plus efficaces l�, en faisant leur m�tier de parent, qu'en jouant aux instituteurs du soir�!
La formation � l'autonomie suppose, ensuite, une option lucide sur les valeurs que l'on cherche � promouvoir : car, il n'est aucune mani�re de se comporter qui n'engage pas une certaine conception de l'humanit� et de la socialit�. Et, ces valeurs, bien souvent, sont implicites... quand elles ne sont pas ouvertement en contradiction avec les intentions affich�es. Qui ne connait pas ces situations o� l'on parle sans cesse de la solidarit� quand, par ailleurs, l'on invite � r�ussir en �crasant ou humiliant le voisin? Or, �tre autonome c'est acc�der progressivement aux enjeux de ses propres actes � et non agir en fonction des seuls int�r�ts du moment sans apercevoir le type de soci�t� qui se profilerait si ces comportements �taient syst�matis�s. Et, dans ce domaine, les enseignants ont une responsabilit� toute particuli�re: c'est � eux d'assurer, � travers les apprentissages scolaires, la formation � certaines valeurs fondatrices de l'humanit�. C'est � eux d'amener, en particulier, les �l�ves � surseoir � la violence imm�diate dans leurs actes et leurs paroles et � r�fl�chir avant d'agir... des dispositifs comme "le conseil" ou "la boite aux lettres", mais aussi des attitudes quotidiennes dans le dialogue en classe sont ici d�terminants. Certes, les enseignants ne sont pas les seuls � devoir former de telles attitudes, mais ils ont � y contribuer, � travers leur sp�cificit�.
Enfin, la formation � l'autonomie suppose une appr�ciation du niveau de d�veloppement atteint par un sujet : en effet, en mati�re d'autonomie, on conna�t trop bien ces sortes de convulsions p�dagogiques dont sont pris, parfois, les enseignants que nous sommes... Nous annon�ons aux �l�ves que nous voulons les former � l'autonomie et nous mettons en place des situations trop difficiles � g�rer pour eux: comme nous observons, alors, qu'ils "en profitent pour chahuter ou ne pas travailler", nous revenons � des situations traditionnelles, sous les yeux ravis des sp�cialistes du "je vous l'avais bien dit" et nous annon�ons p�remptoirement aux �l�ves qui n'y comprennent pas grand chose: "c'est tout ce que vous m�ritez!" C'est que nous avons mal �valu� le niveau des d�veloppement des �l�ves et n'avons pas su doser correctement les apprentissages � que nous leur avons propos�s.
Car tout se joue, en effet, dans le rapport entre le d�veloppement et l'apprentissage. Pour faire simple, disons qu'il y a toujours eu, sur ce sujet, deux th�ses antagonistes: d'une part, il y a ceux qui, croyant �tre fid�les � Piaget, consid�rent que le d�veloppement pr�c�de l'apprentissage; pour eux, si un enfant ne parvient pas � apprendre, c'est qu'"il n'est pas assez mur" ou qu'"il n'a pas atteint le bon stade"; il convient donc d'attendre patiemment que l'enfant se d�veloppe pour lui proposer les apprentissages correspondants. D'autre part, il y a ceux qui, croyant t�moigner par l� de leur confiance absolue dans la "nature humaine", pensent que l'on peut faire apprendre n'importe quoi � n'importe qui n'importe quand et que le d�veloppement se r�duit � la somme des apprentissages. Les premiers pratiquent une p�dagogie attentiste, les autres une p�dagogie volontariste... les uns et les autres risquent de basculer dans de dangereuses d�rives: l'abstention p�dagogique pour les premiers, le dressage pour les seconds.
Or un psychologue russe mort en 1937, Vygotsky, nous donne les moyens de d�passer cette alternative: il montre qu'il existe bien une logique du d�veloppement (on ne peut pas apprendre n'importe quoi n'importe quand) mais que les apprentissages pr�c�dent et ne suivent pas le d�veloppement: on peut apprendre des �l�ments nouveaux et acqu�rir des fonctions psychiques qui sont l�g�rement sup�rieures au niveau de d�veloppement atteint par le sujet � condition de lui fournir les aides didactiques requises. Dans cette perspective, la fonction du p�dagogue est d'estimer - avec une marge d'appr�ciation qui est n�cessairement un peu approximative - le niveau de d�veloppement atteint et de proposer des acquisitions l�g�rement mais nettement sup�rieures: dans un premier temps, le sujet ne pourra fonctionner "au dessus de ses possibilit�s" qu'avec tout un dispositif d'�tayage, dans un second temps, il parviendra � l'autonomie dans l'exercice et l'usage de ces fonctions nouvelles si on prend la peine de proc�der � un d�s�tayage progressif.
Plus concr�tement, il s'agit d'abord de construire des situations de formation � tant dans leur dimension socio-relationnelle que dans leur dimension cognitive : assurer la r�assurance affective requise pour engager un apprentissage qui est toujours d�stabilisant et risque de provoquer des r�tractations, voire des crispations, par peur de l'inconnu et de la d�stabilisation toujours anxiog�ne que cela provoque... mais aussi organiser une situation didactique la plus rigoureuse possible, s�lectionner les bons mat�riaux, poser les bonnes questions pour faire construire les bonnes r�ponses. Ensuite, il convient de permettre au sujet de � se d�gager progressivement de cette aide afin d'�viter les situations de d�pendance � l'�gard de la situation de formation et de l'enseignant... et cela, encore, tant sur le plan socio-relationnel que sur le plan cognitif : pour le premier, il faut apprendre � l'�l�ve � se passer d'un soutien affectif qui lui a �t�, un moment, n�cessaire; pour le second, il faut lui donner les moyens de savoir comment r�utiliser ce qu'il a appris dans d'autres contextes que le contexte o� il l'a appris.
Or si nous autres, enseignants, savons relativement bien organiser des situations d'�t�yage, nous savons relativement mal organiser des situations de d�s�tayage: ce qui fait que nous construisons des murs qui ne tiennent plus d�s que nous ne sommes plus l�; en d'autres termes, nous ne savons pas former des �l�ves vraiment autonomes. Si nous voulons former vraiment � l'autonomie, il nous faut investir tout autant d'�nergie � construire des situations formatives qu'� organiser la disparition progressive de ces situations: il nous faut, � la fois, faire acqu�rir des connaissances � l'�l�ve et rendre l'�l�ve ind�pendant de nous dans l'usage qu'il fait de ce que nous lui permettons d'acqu�rir... c'est ce que j'appelle la transformation de connaissances en comp�tences. Inutile de nous le cacher, cette transformation est difficile: elle requiert une pratique syst�matique de la d�contextualisation. Qu'est-ce que la d�contextualisation? Ce n'est pas le fait, pour l'enseignant, de proposer sans cesse de nouveaux exercices d'application, c'est le fait de faire chercher par l'�l�ve lui-m�me d'autres situations dans lesquelles il peut utiliser, faire jouer, mobiliser ce qu'il a appris. C'est l� une pratique encore assez rare aujourd'hui et qui rend l'acquisition de l'autonomie al�atoire aux histoires individuelles et aux rencontres favorables que certains enfants auront pu y faire.
Concluons cette trop br�ve analyse : l'autonomie n'est pas un don�! Elle ne survient pas par une sorte de miracle ! Elle se construit dans la rencontre d'�ducateurs capables d'articuler, dans leurs pr�occupations, une meilleure d�finition de leur domaine de comp�tences, une plus grande lucidit� sur les valeurs qu'ils veulent promouvoir et un meilleur discernement du niveau de d�veloppement de l'enfant et des apprentissages qui peuvent lui permettre de progresser. Ce n'est certes pas l� chose ais�e, mais l'enjeu est si important que nous n'y travaillerons jamais assez.
Philippe MEIRIEU