"Ces dernières
années, le concept de plurilinguisme a pris de l’importance dans
l’approche qu’a le Conseil de l’Europe de l’apprentissage des langues.
On distingue le « plurilinguisme » du « multilinguisme » qui est la
connaissance d’un certain nombre de langues ou la coexistence de
langues différentes dans une société donnée. On peut arriver au
multilinguisme simplement en diversifiant l’offre de langues dans une
école ou un système éducatif donnés, ou en encourageant les élèves à
étudier plus d’une langue étrangère, ou en réduisant la place dominante
de l’anglais dans la communication internationale. Bien au-delà,
l’approche plurilingue met l’accent sur le fait que, au fur et à mesure
que l’expérience langagière d’un individu dans son contexte culturel
s’étend de la langue familiale à celle du groupe social puis à celle
d’autres groupes (que ce soit par apprentissage scolaire ou sur le
tas), il/elle ne classe pas ces langues et ces cultures dans des
compartiments séparés mais construit plutôt une compétence
communicative à laquelle contribuent toute connaissance et toute
expérience des langues et dans laquelle les langues sont en corrélation
et interagissent. Dans des situations différentes, un locuteur peut
faire appel avec souplesse aux différentes parties de cette compétence
pour entrer efficacement en communication avec un interlocuteur donné.
Des partenaires peuvent, par exemple, passer d’une langue ou d’un
dialecte à l’autre, chacun exploitant la capacité de l’un et de l’autre
pour s’exprimer dans une langue et comprendre l’autre. D’aucun peut
faire appel à sa connaissance de différentes langues pour comprendre un
texte écrit, voire oral, dans une langue a priori « inconnue », en
reconnaissant des mots déguisés mais appartenant à un stock
international commun. Ceux qui ont une connaissance, même faible,
peuvent aider ceux qui n’en ont aucune à communiquer par la médiation
entre individus qui n’ont aucune langue en commun. En l’absence d’un
médiateur, ces personnes peuvent toutefois parvenir à un certain niveau
de communication en mettant en jeu tout leur outillage langagier, en
essayant des expressions possibles en différents dialectes ou langues,
en exploitant le paralinguistique (mimique, geste, mime, etc.) et en
simplifiant radicalement leur usage de la langue. De ce point de vue,
le but de l’enseignement des langues se trouve profondément modifié. Il
ne s’agit plus simplement d’acquérir la « maîtrise » d’une, deux, voire
même trois langues, chacune de son côté, avec le « locuteur natif idéal
» comme ultime modèle. Le but est de développer un répertoire langagier
dans lequel toutes les capacités linguistiques trouvent leur place."
(CECR:11)
Plurilinguisme,
Dialogue Interculturel et Enseignement des Langues
Depuis
l'année 2006/2007, les
chercheur(e)s des laboratoires LCMI (Langage, Culture, Médias,
Identité) de l'université du Luxembourg et PLURIEL (Plurilinguisme,
Dialogue Interculturel et Enseignement des Langues) de l'IUFM d'Alsace
réfléchissent ensemble à des problématiques communes concernant la
formation
des enseignants en contexte plurilingue.
Tant
au Luxembourg qu'en France, un nombre croissant d'élèves sont
scolarisés dans deux puis trois langues, que ce soit par le biais de
programmes bi-plurilingues, ou par celui d'une expérience de migration
et/ou de scolarisation dans différentes langues. En outre,
l'augmentation constante du nombre d'immigrants et de réfugiés et
l'objectif social d'inclusion de tous les apprenants dans la scolarité
générale implique que les enseignants/formateurs apprennent à gérer la
diversité sociale, ethnique et culturelle de leurs élèves et ou futurs
enseignants. Nous partons du postulat que ces situations de
plurilinguisme extrêmement variées et complexes concernent tous les
enseignants de toutes les disciplines à tous les niveaux, que ces
derniers enseignent dans des dispositifs bilingues ou non. On
rappellera également que, de nos jours, les enseignants sont confrontés
à des programmes de plus en plus ambitieux qui ne tiennent pas toujours
compte de la diversité des publics scolaires, et que, de manière
générale, l'institution scolaire tend à envisager cette hétérogénéité
comme un problème plutôt que de la concevoir comme une ressource
d'apprentissage pour construire le plurilinguisme à l'école.
Face à cette complexité, il nous semble
essentiel de repenser les priorités de la formation des enseignants, et
de tenter de construire des formations qui tiennent compte de la
diversité des pratiques linguistiques, culturelles, identitaires, etc.,
ainsi que des idéologies et des relations de pouvoir qui les
sous-tendent. Il est clair que les recherches récentes dans le domaine
du plurilinguisme et du pluriculturalisme ont eu comme effet une remise
en cause radicale du rapport langue(s)/enseignement et que se pose
dorénavant la question du rôle des langues - au pluriel - dans la
communication au sein des classes et dans la construction des savoirs.
En outre, de nombreux chercheurs insistent sur l'idée que toute
situation d'apprentissage implique une négociation d'identités. Pour
mieux penser l'élaboration de pratiques réflexives en contexte
plurilingue et pluriculturel, nous avons besoin d'outils conceptuels,
de savoirs qui rendent intelligibles nos pratiques de formateurs
d'enseignants et celles des enseignants stagiaires. Aussi avons nous
décidé de retenir plusieurs notions au sein d'un même champ conceptuel
pour penser la relation langage/langue(s)/éducation : celles d'identité
et d'altérité, de mobilité et d'hybridité, de langue(s) et pouvoir, et
nous avons proposé à un groupe de chercheurs de réfléchir avec nous aux
questions suivantes :
Comment donner aux futurs enseignants les
moyens de développer une capacité réflexive sur le monde actuel et sur
le rôle du langage et des langues non seulement dans les apprentissages
mais dans la construction identitaire des élèves ?
Comment aider les futurs enseignants à se
forger une identité professionnelle qui leur permette d'agir dans
l'espace scolaire, de jouer un rôle dans les processus de changements
sociaux et éducatifs tout en s'épanouissant
dans leur métier ?
Comment faire prendre conscience aux futurs
enseignants des relations de pouvoir qui régissent les rapports aux
langues dans la société et à l'école?
Comment les aider
à développer une vision écologique des langues et des cultures de leurs
élèves et les encourager à oser négocier dans leur classe des échanges
linguistiques multilingues?
Comment préparer les futurs enseignants à
assumer des responsabilités éthiques et politiques, à porter une
attention particulière aux situations et contextes dénués de pouvoir et
à trouver leurs propres stratégies pour transformer ces relations au
sein de leur classe et de leur établissement ?
Par ailleurs, nos travaux de recherche menés
en collaboration avec des enseignants sur le terrain nous ont
convaincues de l'importance de placer les praticiens au cour de nos
investigations et de construire de nouvelles approches de recherche qui
remettent en cause les traditionnelles relations de pouvoir entre
praticiens et chercheurs. Il s'agit donc pour nous d'encourager la
transformation de l'institution éducative à partir du terrain
dans une perspective montante plutôt que la traditionnelle imposition
des choix éducatifs par le haut. De tels choix impliquent aussi de
repenser la formation des enseignants : en effet, c'est bien à partir
de la pratique que nous envisageons que nos enseignants stagiaires
apprennent à réfléchir : à nous donc de les encourager à devenir
autonomes et responsables, de les aider à se construire une identité
professionnelle en partageant avec eux des savoirs qui leur permettent
de théoriser leurs expériences. Enfin, nous avons fait le choix de
dépasser nos frontières nationales à la fois en invitant des chercheurs
venant de dix pays différents (Etats-Unis, Colombie, Israël, Irlande,
Japon, Pays Basque, Royaume-Uni, Allemagne, France, Suisse) et en
choisissant d'organiser notre colloque dans deux villes
européennes
Luxembourg et Strasbourg. Notre perspective est donc comparative dans
le sens où nous pensons que si nous voulons mieux former les
enseignants de demain, nous devons dépasser non seulement nos
frontières nationales mais surtout nos frontières mentales : ce sont
ces dernières qui souvent nous empêchent de remettre en question nos
certitudes et surtout d'imaginer de nouvelles formes d'apprentissage,
d'enseignement et de nouvelles approches de formation. Les regards
croisés que nous apporteront les collègues chercheurs des quatre
continents qui ont accepté de participer à ce colloque international
nous ouvrirons de nouveaux horizons.
Sabine
Ehrhart & Christine Hélot
"La
formation des enseignants en contexte plurilingue.
Identité-Hybridité-Mobilité"
Ass. Prof. Dr. Sabine Ehrhart & Prof. Dr. Christine Hélot, LCMI -
LACETS
&
PLURIEL - ALSACE Université du Luxembourg, Campus Walferdange et IUFM
d'Alsace, Strasbourg, Campus Meinau
Colloque
international
LA FORMATION DES
ENSEIGNANTS EN CONTEXTE PLURILINGUE
IDENTITÉ-HYBRIDITÉ-MOBILITÉ
Université du Luxembourg Campus Walferdange
et IUFM Alsace, Strasbourg Campus Meinau
Mercredi 12 et jeudi 13 mars 2008