Les rapports entre langue maternelle (LM) et langue étrangère (LE) sont des aspects essentiels de l’enseignement précoce. Lév Vygotski affirme que "l’enfant assimile à l’école une langue étrangère tout autrement qu’il n’apprend sa langue maternelle (…). L’enfant assimile sa langue maternelle de manière inconsciente et non intentionnelle alors que l’apprentissage d’une langue étrangère commence par la prise de conscience et l’existence d’une intention" .
Nous allons essayer de vérifier cette affirmation en évoquant le cas de l’école française de Bratislava.
Cette étude se fera en 3 parties. Tout d’abord, il conviendra d’analyser la situation dans laquelle évolue l’école française de Bratislava. Puis, après avoir établi les rapports entre la langue maternelle et la langue étrangère, il sera question de s’intéresser à la manière avec laquelle les écoles françaises, et plus particulièrement l’école française de Bratislava, gèrent les rapports entre ces deux langues.
L’école française de Bratislava est implantée dans un établissement slovaque. Elle fonctionne dans le cadre d’une école slovaque, dans le quartier Nové-Mesto Kramare. L’école slovaque compte environ 250 élèves répartis dans 10 classes. Cette école a une forte tradition dans l’enseignement des langues et du sport. L’école slovaque met à disposition de l’école française des locaux :
3 classes dans le bâtiment des classes
élémentaires,
1 classe dans le bâtiment des classes maternelles.
Les 4 enseignants sont intégrés à l’équipe pédagogique en place. L’école a rempli les conditions pour être homologuée en janvier 2004 tant par la partie française que slovaque. De plus, elle a obtenu le conventionnement avant l’été 2004.
L’école française scolarise des enfants de familles françaises qui résident provisoirement ou durablement en Slovaquie et des élèves issus de Slovaquie (pays de résidence) ou de pays tiers. A l’école, les enfants sont majoritairement francophones :
en maternelle, sur 37 élèves, 5 ne parlent
français que partiellement,
en élémentaire, sur 53 élèves, 4 ne parlent français
que partiellement.
A l’école élémentaire, il y a :
36 Français (dont les binationaux),
13 Slovaques,
4 tiers (Suisse/Italien, Anglais/Américain,
Hollandais).
28 enfants ne parlent pas slovaque du tout.
Ainsi, il s’avère que les classes sont très hétérogènes et donc très riches du fait de la variété des âges, des nationalités, des cursus et des situations familiales de chacun.
A) Une approche théorique
a) De l’étrangeté de la langue étrangère et de son appropriation
Aucune langue n’est étrangère en soi. Ce n’est que d’un point de vue existentiel qu’une langue peut être dite étrangère. Il est nécessaire de considérer la langue maternelle comme point de départ obligé à toute réflexion sur la notion même de langue étrangère comme réalité subjective. Pour qu’il y ait apprentissage et ici pour ce qui concerne l’apprentissage d’une langue étrangère, il faut qu’il y ait intention, c’est-à-dire une décision liée à une évaluation, un jugement. Ce sont là des fonctions essentielles de ce qu’on appelle la conscience. Comment cette décision se construit-elle ? Cela relève d’un processus de formation complexe qui articule des paramètres aussi bien individuels que sociologiques. Ramené à la problématique de la construction de l’individu, elle résulte dans le développement de ce que le psycholoque Vygotski appelle des fonctions psychiques supérieures .
b) La notion de fonction psychique supérieure pour expliquer les places respectives de LM et LE dans la construction de l’individu
Schématiquement et fondamentalement, les fonctions psychiques supérieures sont des fonctions acquises qui se développent d’abord au plan des rapports sociaux et sont transmises aux individus dans les processus d’apprentissage et de socialisation/individualisation. Elles naissent de l’interaction des individus dont la dynamique constitue concrètement la réalité sociale. Leur acquisition s’effectue dans un mouvement qui va de l’extérieur du sujet vers l’intérieur (la conscience). L’acquisition d’une fonction psychique relève donc d’un processus spécifique qui consiste dans l’organisation d’un transfert de l’inter-psychique (le social comme réalité émanant de l’interaction des individus) à l’intra-psychique (la conscience du sujet en tant qu’elle reflète sous formes de systèmes de signes les structures de l’univers social).
c) Acquisition spontanée de la LM et apprentissage conscient de la LE
La connaissance d’accueil que représente la langue maternelle, cette matrice en quelque sorte, n’est de même nature que la connaissance nouvelle proposée par le processus d’apprentissage. Pour ce qui concerne l’enfant, la langue maternelle appartient à son vécu intime, et elle a été acquise spontanément dans des expériences suscitées par le contact avec son environnement immédiat. Elle n’est pas essentiellement réflexive, elle organise le monde selon des rapports sensibles immédiats. Elle est liée à la vie affective et à son développement. Elle est organisée subjectivement et renvoie à l’intimité. Vygotski écrit que "l’enfant assimile à l’école une langue étrangère tout autrement qu’il n’apprend sa langue maternelle. On peut dire que cette assimilation suit une voie directement opposée à celle qu’emprunte le développement de la langue maternelle. L’enfant ne commence jamais à assimiler sa langue maternelle par l’étude de l’alphabet, la lecture et l’écriture, la construction consciente et intentionnelle d’une phrase, la définition et la signification d’un mot, l’étude de la grammaire, toutes choses qui constituent habituellement le début de l’assimilation d’une langue étrangère. L’enfant assimile sa langue maternelle de manière inconsciente et non intentionnelle alors que l’apprentissage d’une langue étrangère commence par la prise de conscience et l’existence d’une intention. C’est pourquoi on peut dire que le développement de la langue maternelle se fait de bas en haut tandis que celui de la langue étrangère s’opère de haut en bas" .
Au-delà des variations d’approche pédagogique, la position de Vygotski garde une validité absolue. Le caractère scolaire de l’apprentissage de langue étrangère détermine des modalités spécifiques dans la relation à l’objet langagier qui découle de l’aspect conscient et rationnel de cette relation à la langue dite étrangère. Ceci la place irrémédiablement du coté du concept scientifique, dont elle aura les forces (le caractère conscient, organisé, structuré) et les faiblesses (un déficit de réalité subjective, d’enracinement dans l’intimité existentielle du sujet). C’est parce qu’elle est de l’ordre du concept scientifique que la langue étrangère est dans une dépendance nécessaire à la langue maternelle, de la même façon que le concept vrai dépend du concept spontané pour construire son mode propre de généralisation.
A part la simple acquisition des connaissances, l’apprentissage réussi doit aboutir à une nouvelle capacité psychique résultat de l’interaction entre le sujet et le social et aboutissant à une transformation de l’identité du sujet. Cette dialectique dépend d’une autre, intra-psychique cette fois, entre nouvelle fonction et fonction(s) déjà installée(s). La langue maternelle est la principale de ces fonctions d’accueil : "Comme on sait, l’assimilation d’une langue étrangère à l’école suppose un système déjà formé de significations dans la langue maternelle. En l’occurrence, l’enfant n’a pas à développer à nouveau une sémantique du langage, à former à nouveau des significations de mots, à assimiler de nouveaux concepts d’objets. Il doit assimiler des mots nouveaux qui correspondent point par point au système déjà acquis de concepts. De ce fait un rapport tout à fait nouveau, distinct de celui de la langue maternelle, s’établit entre le mot et l’objet. Le mot étranger que l’enfant assimile a avec l’objet un rapport non pas direct mais médiatisé par les mots de la langue maternelle" .
Ce passage explicite le système des relations d’identité qui articule la LE sur la LM : "Si le développement de la langue maternelle commence par sa pratique spontanée et aisée et s’achève par la prise de conscience de ses formes verbales et de leur maîtrise, le développement de la langue étrangère comme par la prise de conscience de la langue et sa maîtrise volontaire et s’achève par un discours aisé et spontané. Les deux voies vont en sens opposé. Mais entre ces voies de sens opposé il existe une interdépendance réciproque tout comme entre le développement des concepts scientifiques et celui des concepts spontanés" .
Ainsi, à la différence évidente des mots, c’est-à-dire de l’organisation phonétique, et des relations syntaxiques entre deux langues différentes, Vygostki nous fait prendre conscience qu’il s’en ajoute une autre qui réside dans la nature de l’expérience conceptuelle (réalité de pensée) qui unit le sujet à l’une et à l’autre.
Vygotski nous rappelle que le but visé est en principe identique dans les deux cas : parvenir à l’existence d’un locuteur. Ce qui implique que ce qui manque à l’apprentissage scolaire d’une LE, le vécu existentiel qui plonge ses racines dans le plus intime de l’expérience subjective, doit faire l’objet d’un travail particulier dans le cadre de la classe de langue, destiné à compenser, autant que possible, ce manque essentiel qui fragilise la présentation didactique d’une langue.
B) La LM et la LE à l’école, d’un point de vue didactique
a) L’enseignement de la LM et de la LE à l’école
La LM et la LE ne se présentent pas à l’individu avec
le même enjeu. Dans le cas de la langue qualifiée de maternelle,
l’enjeu de son acquisition est vital pour l’enfant qui grandit, se
construit psychiquement et se construit une identité en même temps
qu’il entre dans la parole et acquiert la maîtrise du langage dans ses
relation sociales au contact des autres. La langue dite étrangère est
par nature secondaire, sur un plan temporel d’abord, et surtout parce
qu’elle apparaît comme dénuée de sens pour l’enfant, car non rattachée
dans son environnement de vie à un immédiat communicatif et affectif.
Quant à la place respective de la langue maternelle et de la
langue étrangère au sein même de l’école (en tant qu’instance
d’apprentissage), elle diffère en de nombreux points.
La LM est à la fois langue de communication (qui permet les
échanges entre les élèves et avec les enseignants, dans la classe et à
l’extérieur), langue d’enseignement (vecteur oral et écrit de
transmission des connaissances pour toutes les matières) et langue
cible ou objet d’enseignement dans le cas de l’apprentissage de la
langue en tant que norme qui inclut principalement l’enseignement de
ses aspects grammaticaux et lexicaux, à l’écrit et à l’oral. Elle est
alors l’objet de toutes les attentions dans chacune des matières
scolaires.
Elle est finalement disponible comme instrument pour l’école,
alors même que l’école n’a pas à se poser les problèmes de son
initiation. Commune au maître et aux élèves, la LM est transparente.
Elle est nécessaire et légitime, motivée comme instrument de
communication.
La LE, au contraire de la LM, n’est pour les enfants ni un outil de communication, ni un vecteur de transmission de connaissances, au sein de l’école, de la famille et plus largement de la société dans laquelle ils évoluent. Par conséquent, elle n’est que peu motivée/légitimée par l’environnement extrascolaire pour lequel elle n’est pas objectivement nécessaire en tant qu’instrument de communication. Elle dispose d’un statut exclusif de langue cible, d’objet d’enseignement dont l’initiation dépend entièrement de l’école. Sa pratique est forcément restreinte dans le temps et circonscrite dans l’espace. Son apprentissage est sans enjeux pratiques immédiats, à la différence des apprentissages fondamentaux (lire, écrire et compter), des savoirs urgents et nécessaires.
L’enseignement précoce de la LE correspond davantage à
une attitude volontariste des institutions (scolaires et politiques)
pour des raisons en partie idéologiques qu’à une nécessité clairement
ressentie par l’enfant, un besoin socio-subjectif spontané.
C’est un enseignement fragile, qui se heurte à des handicaps que
la précocité de l’apprentissage ne permet pas de lever. Ce que l’on
gagne du point de vue de la facilité articulatoire par exemple ne
compense pas les lacunes représentatives du jeune enfant par rapport au
contexte étranger. De ce fait, sa motivation restera essentiellement
extérieure. Elle dépendra principalement de la pertinence et de la
richesse de la démarche pédagogique qu’on lui proposera. Cependant,
cette démarche, au niveau de sa mise en ½uvre, reste de toute manière
très éloignée de l’efficacité des procédures d’acquisition de la LM et
même de la langue seconde.
b) Apprentissage de la LE et médiation
La LE relève, comme le dit Winnicott à propos de la
réalité, d’un mystère pour le sujet. C’est pourquoi il est nécessaire
de ménager des transitions, plus exactement des espaces potentiels
habités par des objets transitionnels destinés à être rejetés et
oubliés lorsque la distance qui sépare le sujet du réel aura été, au
moins en partie, comblée. Ces objets sont constitués dans le processus
d’apprentissage par les outils pédagogiques, les exercices, les
activités de classe, les comportements de l’enseignant.
Ainsi, la planification pédagogique n’est pas simplement
représentation de l’objet mais également processus transitionnel,
mouvement vers, qui doit transformer l’abstraction extériorisée de la
connaissance en intériorité vivante. C’est à ce point que la
problématique didactique rencontre les questions de la modélisation non
seulement cognitive mais aussi fictionnelle et ludique.
Enseigner une LE va donc demander la mise en place d’un dispositif
didactique adéquat qui permette d’organiser la rencontre, dans les
conditions spécifiques de l’école, entre celle-ci et les enfants. Une
simple présentation sur le mode traditionnel, leçon d’analyse et
d’explicitation puis apprentissage et mémorisation, a peu de chance
d’aboutir à un résultat satisfaisant. Si le fonctionnement effectif
d’une langue met bien en ½uvre les paramètres que nous avons essayé
d’analyser (les dimensions identitaires et affectives), il faudra
construire un dispositif pédagogique qui les prenne effectivement en
compte.
c) Enseignement de la LE et construction d’un espace fictionnel et ludique
Ainsi, le concept de fiction peut-il venir prendre sa
juste place dans le dispositif de la relation du sujet au monde. Elle
est ce processus par lequel le monde pour le sujet devient son monde,
le moyen par lequel les objets deviennent ses objets. Et lui-même peut
s’y reconnaître comme protagoniste de passage dans une histoire sans
commencement ni fin.
La fiction donc, non pas comme une des modalités possibles de
l’apprentissage de la langue étrangère, cette expérience recommencée du
devenir locuteur, mais comme modalité essentielle, déterminante pour la
réussite de la tentative. C’est à travers elle, à travers ses procédés,
que doit s’organiser la relation entre la LE et le sujet. Une question
se pose : Sur quelle modalité autre que imaginaire l’objet langue
peu-il tout d’abord exister pour l’enfant ?
Ainsi, la décision de construire des démarches d’apprentissage en
les considérant comme des procédures de médiation de forme ludique, ne
relève pas simplement d’une intuition justifiée par un évident bons
sens : les enfants passent beaucoup de temps à jouer. En fait,
cela
nous renvoie à ce travail sur la construction du subjectif, sur la
place et le mode de fonctionnement du cognitif dans cette construction,
son rapport à l’inscription corporelle comme mode de formation
d’appropriation du sens pour aboutir enfin à la signification
linguistique qu’on ne pourra plus considérer seulement sous l’angle du
système théorique au jeu parce qu’il constitue un mode essentiel du
rapport au monde du sujet enfantin.
C’est à ce point que le principe de modélisation trouve à
s’appliquer de manière tout à fait productive au processus
d’apprentissage de la LE. En effet, la notion de modèle permet de
penser les limites de l’espace scolaire comme lieu d’une mise en ½uvre
réglée de certains paramètres essentiels au fonctionnement de la
deuxième langue sous formes d’un espace fictionnel de communication et
de représentations destinée à palier l’absence d’un espace réel.
A) "L’inquiétante étrangeté de la langue seconde, le cas des enfants non francophones des écoles françaises de l’étranger"
Ana Vivet affirme que dans les écoles françaises à l’étranger, la langue d’enseignement et de communication est le français et que la langue maternelle des enfants non francophones est tolérée seulement au début de l’apprentissage, mais elle devra disparaître. En effet, les enseignements fondamentaux se font uniquement en français. L’objectif est que les enfants pensent en français. 2 raisons à cette vision des choses, selon elle :
un
principe d’ordre éducatif. En effet, le jeune enfant possède des
facilités pour l’apprentissage précoce des langues (flexibilité
cérébrale, capacités auditives, absence de préjugés négatifs,…). De
plus, l’immersion totale permet d’accélérer le processus d’acquisition
de la L2.
c’est une politique linguistique de la France pour la
diffusion à l’étranger de son modèle scolaire traditionnel…unilingue.
L’interdiction de parler la LM est du au fait que de nombreux professeurs pensent que l’utilisation de la LM est un obstacle au progrès linguistique en français.
Par conséquent, les enfants sont déstabilisés dans la relation avec autrui. Ils sont accueillis dans une langue inconnue et donc privés de repères familiers et sécurisants de la communication. Donc, les enfants non francophones deviennent angoissés à cause de cette perte de repères. Ils se posent des questions parmi lesquelles :
qui sont ces adultes ?
où suis-je ?
qu’est-ce qu’ils veulent ?
Privés de leur langue, ces enfants sont donc privés de langage. Or, c’est avec les mots de leur langue qu’ils ont commencé à se structurer. C’est une remise en question avec cette situation nouvelle pour les enfants. De nombreux enfants peuvent à cette occasion être victimes de troubles comportementaux (agressivité, repli sur soi, mutisme, refus de participer ou de jouer,…) ou d’un manque d’attention, de dissipation,… Face à cela, les enseignants peuvent avoir des comportements maternants (câlins,…) et à la longue, selon Ana Vivet, cette attitude semble efficace.
Ana Vivet ajoute que cette situation de monolinguisme entraîne une situation paradoxale. Il est interdit pour les enfants non francophones d’apprendre à lire et à écrire dans leur LM. Mais, il s’avère que
1) les mots français n’ont pas de sens pour les enfants non francophones donc cela ils ont des difficultés pour lire et pour déchiffrer. Devant ce fait, certains instituteurs comprennent mal la situation et se découragent alors que les élèves non francophones, eux, peuvent :
avoir
une perte de confiance et un désintérêt de l’apprentissage scolaire qui
entraînera une soumission à l’enseignant, ce qui serait un constat
d’échec,
prendre la décision de relever le défi (réussite
scolaire, admiration du professeur,…).
2) les thèmes abordés dans les contes et les comptines sont étrangers aux non francophones car les manuels sont pour des petits Français.
Selon Vivet, il faut donc :
remettre en question cette ignorance de la
culture de tous les enfants,
proposer des modèles auxquels les enfants peuvent
s’identifier et donc affirmer leur propre identité.
Pour obtenir le monolinguisme, les professeurs peuvent faire semblants de ne pas comprendre les enfants quand ils s’expriment en LM (un mot, une phrase,…) pour les obliger à parler en français. Le résultat de ce comportement de l’enseignant est, pour les enfants :
pour se protéger de ce harcèlement
linguistique, le développement de stratégies de défense (se taire, se
désintéresser,…),
la soumission à l’enseignant,
la
révolte et la revendication de l’utilisation de la LM interdite. Ceci
est une attitude de défi qui peut provoquer la colère des enseignants.
Dans les établissements à fonctionnement bilingue, Ana Vivet constate qu’il n’y a pas de comportements défensifs pour protéger la LE car l’objectif est la communication et la recherche de l’efficacité pour apprendre la LE.
B) Le projet de l’école française de Bratislava
Tout d’abord, il convient de préciser que le projet de cette école semble tenir compte des remarques d’Ana Vivet et rentre dans le cadre général du projet pédagogique et éducatif de l’agence pour l’enseignement français à l’étranger tout en s’adaptant au contexte local.
Les objectifs majeurs sont :
la mise en ½uvre d’une pédagogie attachée
à la réussite de tous les élèves,
la définition de dispositifs originaux dans
l’enseignement des langues (français, slovaque, anglais),
la prise en compte des spécificités du contexte local.
L’entraide et le tutorat sont encouragés. Il convient de permettre
à la fois aux enfants, ne parlant pas slovaque de mieux connaître la
langue et la culture du pays dans lequel ils vivent et sont scolarisés
et aux élèves étrangers, dont les parents ont choisi le système
éducatif français de ne pas être coupés de leur milieu d’origine.
Par conséquent, la politique générale de ce projet vise également à l’ouverture sur la langue et la culture du pays d’accueil.
La langue slovaque fait partie des préoccupations de l’école française. Ainsi, les activités proposées doivent permettre aux élèves, non slovaques, de s’ouvrir sur l’environnement proche ou lointain de l’école. De ce fait, en plus de la maîtrise de langue française, un statut est offert aux autres langues.
C) Les actions mises en ½uvre à l’école française de Bratislava
Conformément à la circulaire AEFE 2850 du 7/7/1993, l’école est engagée dans une réflexion sur "la façon de mieux prendre en compte l’environnement de l’école, les besoins des élèves étrangers, sans bouleverser en profondeur la trame et l’esprit éducatif français". Il a donc fallu aménager les horaires par rapport aux horaires classiques français pour favoriser l’intégration et l’ouverture sur la culture locale et tenir compte des programmes en vigueur en Slovaquie. Dans cette partie, nous attacherons seulement aux élèves français et slovaques.
L’ouverture sur la langue et la culture du pays d’accueil s’est faite :
1- Introduction systématique de l’enseignement de la langue du pays hôte dans les emplois du temps des classes.
Il s’agit de permettre aux élèves d’atteindre un niveau
de communication et d’expression orale (et écrite) plus performant et
donc de s’ouvrir aux divers aspects des réalités culturelles véhiculées
par cette langue.
A l’école élémentaire, l’enseignement de la langue slovaque
s’organise sur une durée de 1h30 par semaine. Cet aménagement a été mis
en place avec la coopération de la direction slovaque. 2 enseignantes
slovaques de l’école interviennent dans les classes à raison de deux
séances de 45 minutes par semaine programmées sur deux jours
différents.
A l’école maternelle GS, les enfants slovaques bénéficient d’un
enseignement en français pendant 35 minutes, une fois par jour, pendant
4 jours. Dans le même temps, les enfants français apprennent le
slovaque. Le 5e jour, un enseignement commun slovaque est dispensé. En
MS et PS, l’enseignement de la langue slovaque est différencié et a
lieu 2 fois par semaine pendant 20 minutes pour chaque niveau.
Ainsi, l’enfant construit ses repères dans cette
organisation hebdomadaire et bénéficie d’un enseignement de qualité,
évolutif et suivi dans le temps. Comme les autres matières, cet
enseignement fait l’objet d’une évaluation régulière par l’enseignant.
Il s’intègre dans les programmes et donc dans les livrets scolaires des
enfants.
De plus, pour les enfants français, la parenté linguistique de la
langue slovaque avec d’autres langues étrangères ou des communautés
linguistiques transfrontalières est susceptible d’être exploitée et de
donner lieu à une réflexion sur la langue de nature à faciliter
l’apprentissage ultérieur d’autres langues vivantes.
2- Accès à la langue (et à la culture) du pays par la méthode de l’immersion et adapter les enseignements dans les différentes disciplines :
a) La méthode de l’immersion
La présence de la langue slovaque dans la vie de la
classe, de l’école et de son environnement est une condition du succès
sur l’ouverture sur le pays d’accueil. C’est pourquoi, des contacts et
des échanges au sein de l’école sont développés.
L’intervention de locuteurs en langue slovaque, les sorties, les
manifestations culturelles, les classes de découvertes sont autant
d’occasion d’imprégnation linguistique que d’ouverture et d’échanges
motivants.
La méthode de l’immersion se caractérise par l’utilisation de
langue comme langue véhiculaire pour des apprentissages et des
enseignements ainsi que pour la vie scolaire. Les enfants y sont
confrontés pour l’EPS, les activités péri-scolaires de l’après-midi, la
garderie du matin et du soir, la cantine, la récréation et les diverses
sorties…
Une évaluation formative de tous les instants permet d’analyser
les réussites ou les erreurs et de mettre en place une remédiation
immédiate et individuelle. La mise en ½uvre de cet enseignement par
immersion doit concerner l’ensemble du cursus de l’école primaire de
façon à garantir aux familles et aux élèves de bénéficier de la
continuité du chois des modes d’apprentissage.
b) Adapter les enseignements dans les différentes disciplines Cela permet de trouver les aménagements nécessaires à l’introduction d’éléments culturels du pays de résidence.
En maternelle, les enfants sont amenés :
à faire des drapeaux,
à écouter de la musique et découvrir des compositeurs
slovaques (Bella),
à participer aux fêtes traditionnelles (St Nicolas),
à étudier la géographie slovaque (les montagnes des
Tatras).
En primaire :
en
mathématiques, situations et problèmes authentiques en utilisant la
monnaie locale, les distances entre 2 villes slovaques, les
pourcentages en rapport avec des études locales,
en
français, lecture ou écoute de contes traditionnels slovaques, lecture
du journal scolaire slovaque, vocabulaire (un mot slovaque, anglais et
français étudié chaque jour),
en géographie, étude du climat, du relief, des
paysages et des grandes villes slovaques,…
3- Accueil et accompagnement des élèves non francophones.
Cela implique :
un
temps d’enseignement du slovaque (quotidien en maternelle) très
important pour fonder l’apprentissage de leur propre langue. Conforter
sa propre langue est indispensable pour se rassurer et investir mieux
la langue étrangère,
l’enseignant ne doit parler qu’une seule langue
lorsqu’il s’adresse à un enfant,
d’insister sur les consignes (répéter, reformuler,
expliciter),
l’attention particulière en début d’activité,
d’avoir des exigences moindres en début d’année
notamment,
de recourir exceptionnellement à la traduction en cas
de blocage,
une organisation de la différenciation pédagogique,
un travail accompagné avec l’enseignant, individuel ou
en petit groupe,
la reprise de l’écrit à l’oral en élémentaire (l’élève
formule, l’enseignant écrit),
le contrat (un mot usuel par jour dit en français à
l’enseignant au début de la classe),
le tutorat avec un élève francophone,
le retour systématique sur les activités,
de multiplier les échanges avec les parents, les
associer au travail et leur demander de s’investir eux-mêmes dans la
langue.
Ce dossier met donc en lumière le rapport particulier entre la langue maternelle de l’enfant et la langue qui lui est étrangère. Ana Vivet présente les conditions spécifiques dans lesquelles peuvent évoluer des enfants non francophones au sein des écoles françaises de l’étranger et fait des propositions afin de remédier à certains problèmes. L’école française de Bratislava semble avoir, de son côté, fait sienne de ces remarques et essaie de les appliquer dans son projet et ses activités.
Bibliographie
CALAQUE E., L’enseignement précoce du français langue
étrangère, Lidilem-Université Stendhal Grenoble 3, Grenoble, 1997.
LIETTI A., Pour l’éducation bilingue, Favre, Lausanne, 1989.
MALLET B., Enseigner le Fle à l’école primaire et maternelle, Lidil-
PUG, Grenoble, 1991.
PORCHER L., GROUX D., L’apprentissage précoce des langues étrangères,
PUF-QSJ ?, Paris, 1997.
TAESCHNER T., Les langues étrangères dès l’école primaire ou
maternelle, De Boeck Université, Paris-Bruxelles, 1998.
VIVET A., L’inquiétante étrangeté de la langue seconde, le cas des
enfants non francophones des écoles françaises de l’étranger, in
Actualité de l’enseignement bilingue, Français Dans Le Monde, numéro
spécial, Hachette, 01/2000.
VYGOTSKY L., Mind in Society, 1978.
VYGOTSKI L., Pensée et langage, Terrain-Messidor, Paris, 1985.