Altenance
codique
Extrait de: Causa, Mariella (2007):
Enseignement bilingue. L'indispensable alternance codique. Le Français dans le Monde,
Mai-juin 2007 - N°351.
"L’alternance
codique, c’est-à-dire les passages dynamiques d’une langue
à l’autre, est l’une des manifestations les plus significatives du parler
bilingue.
Bien sûr, l’alternance codique ne doit pas être confondue avec le mélange
de codes (stratégie
de communication dans laquelle le locuteur mêle les éléments et les
règles des deux langues), mais elle ne doit pas non plus être
uniquement analysée comme la manifestation d’un manque de maitrise dans
l’une des deux langues concernées. Maitrisée, elle est au contraire la
marque d’une compétence bilingue, celle-ci entendue comme une
compétence originale, spécifique et complexe et non comme l’addition de
deux compétences linguistiques séparées.
L’emploi de l’alternance codique en classe de langue étrangère a
fait l’objet de plusieurs travaux en France, surtout à partir des
années 1990, travaux qui ont contribué de manière essentielle à sa
réhabilitation. Plus particulièrement, ces recherches ont montré,
contrairement à un a priori bien installé que, dans
l’espace-classe, l’alternance codique est un procédé courant qui
recouvre des fonctions différentes et variées et ce, tant du côté de
l’enseignant que du côté de l’apprenant. Ces études ont en même temps
établi la particularité de cette alternance codique qui se caractérise,
dans ce contexte précis, par son haut degré de didacticité.
Réhabiliter l’alternance des codes
La réhabilitation de l’emploi de l’alternance des codes en
classe de langue tient également à un regard nouveau porté à la classe.
G. Lüdi1 parle de la classe de
langue en tant qu’espace d’interlocution potentiellement bilingue.
L’auteur propose ainsi d’analyser les passages d’une langue à l’autre
produits par les apprenants sur un continuum qui va des alternances
provoquées par un manque de moyens en langue étrangère aux alternances
qui relèvent d’une situation de communication de contact entre deux (ou
plusieurs) langues. Dans cette perspective, ces marques verbales - qui
recouvrent des statuts différents et qui témoignent de ce fait des
processus d’apprentissage - doivent également être interprétées comme
une forme de bilinguisme naissant et les apprenants doivent en
conséquence être observés en tant que bilingues in statu nascendi.
Cette nouvelle perspective a permis de dire que l’alternance des
codes joue un rôle important dans l’apprentissage et dans la
construction des savoirs en langue étrangère ; employer les deux
langues qui circulent dans la classe (la langue maternelle et la langue
étrangère) n’est donc plus considéré comme défavorable à
l’apprentissage d’une langue. L’emploi des deux langues peut au
contraire servir de « levier » à l’apprentissage de nouveaux savoirs
linguistiques. Bien entendu, des réserves sont encore émises par les
enseignants, réserves qui révèlent la difficulté de modifier/faire
évoluer les habitudes d’enseignement et les représentations communes.
Alternance codique et enseignement bilingue
Mais quel rôle joue l’alternance codique dans l’enseignement
bilingue ? Puisque la particularité de cet enseignement réside dans
l’utilisation régulière de deux langues (L1 et L2) comme moyens
d’apprentissage de disciplines non linguistiques (DNL), on pourrait
alors faire l’hypothèse que, dans ce contexte, l’alternance des codes
est une pratique langagière naturelle et admise en tant qu’expression
de la compétence bilingue des locuteurs. Or, dans la plupart de ces
classes (sections, classes, écoles, etc.) que nos étudiants de Master 1
et 2 et nous-même avons observées, ce n’est pas cette compétence
spécifique qu’on tente de construire, mais deux monolinguismes qui
s’additionnent sans s’accorder, voire une sorte de diglossie, ce qui
confirme ce que D. Coste soulignait récemment dans cette revue2.
En effet, dans la majorité des cas, le principe de base selon lequel en
classe de L2 on ne parle que la L2 et en classe de L1 on ne parle que
la L1 est appliqué : la matière X est enseignée/apprise exclusivement
en L1 et la matière Y est enseignée/apprise exclusivement en L2 ; les
deux langues, qui pourtant circulent dans la classe, sont séparées dans
les cours des spécialités disciplinaires ! Cela signifie qu’aucune
stratégie communicative (ni cognitive) bilingue n’est mise en place de
manière pédagogique pour favoriser, et par là atteindre, une véritable
compétence bilingue complexe dans laquelle les deux langues seraient
constamment en contact et en présence. Finalement, on parle
d’enseignement bilingue tout en conservant un point de vue monolingue
sur l’enseignement.
(...)
1. G. Lüdi, « Dénomination médiate et bricolage lexical en situation
exolingue », in AILE, n°3, 1993.
2. D. Coste, « De la classe bilingue à l’éducation plurilingue », in Le
français dans le monde, n° 345, 2006."