La littérature africaine

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« En Afrique, chaque vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle.» Hampaté Bâ

Semer des graines de réflexion autour du baobab, l'arbre à palabres

Bernard Magnier (2012) : Panorama des littératures francophones d’Afrique. Livret numérique. 104 p.

Camara Laye, L’enfant noir, 1953

Hampâté Bâ, Amkoullel, l’enfant peul, 1991 

Ferdinand Oyono, Une vie de boy, 1956 et Le vieux Nègre et la Médaille, 1956

Ousmane Sembene, Les bouts de bois de Dieu,1960 

  Cheikh Hamidou Kane, L’aventure ambiguë, 1961

Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, 2000

Calixthe Beyala, Comment cuisiner son mari à l’africaine, 2000

Fatou Diome, La préférence nationale, 2001 et Le Ventre de l'Atlantique, 2003

Henri Lopes, Ma grand-mère bantoue et mes ancêtres les Gaulois, 2003

Alain Mabanckou, Mémoire de porc-épic, 2006 et Demain j'aurai 20 ans, 2010

NDiaye,Trois femmes puissantes, 2009

Wilfried N’Sondé, Le cœur des enfants léopards, 2007 et Septembre d'Or 2011

Kossi Efoui, L’ombre des choses à venir, 2011

Sami Tchak, Al Capone le malien, 2011

 

Camara Laye, L'enfant noire, Paris, Pocket junior 2007/1953


Le roman est un classique de la littérature africaine et  une œuvre autobiographique. Il dépeint avec nostalgie l’enfance idyllique de  l’auteur, originaire de Kouroussa, au bord du fleuve Niger en Guinée dans une communauté africaine islamique ou il grandit auprès de ses parents, fréquente l’école,  subit le rituel de la circoncision et participe aux rites et coutumes de sa famille avant de partir pour la France après l’obtention de son certificat d’études pour y continuer ses études.
Le livre a été traduit en 33 langues et est étudié en Afrique comme œuvre de référence dans les programmes de français du 1er et 2ème cycle de l’enseignement secondaire. En France il est au programme des collèges dans les classes de 5ème.
Si le roman à sa sortie est apprécié en Europe et acclamé notamment par le public français, il a été violemment critiqué en Afrique, notamment par Mongo Beti qui reproche à l’auteur d’avoir peint une image stéréotypée et idyllique de l’Afrique en pleine période de combat pour la décolonisation. A la lecture on s’aperçoit très vite que le roman a été rédigé pour un lectorat français. Effectivement c’est seulement dans la suite du roman, Dramouss, publié en 1966 après le retour de l’auteur en Guinée, que Camara Laye critiquera ouvertement le régime socialiste et dictatorial d’Ahmed Sékou Touré, premier président de la République de Guinée, responsable d’arrestations arbitraires, de tortures inhumaines et de camps de concentrations (notamment celui de Boiro), dénoncés alors par Amnesty international.
Tandis que Mongo Beti estime que c’est le devoir de l’écrivain africain de dénoncer la réalité coloniale, d’autres auteurs africains rappellent que l’histoire de l’Afrique ne se résume pas uniquement à la néo-colonisation, au racisme et à la dictature des dirigeants. Il s’agit alors de contrebalancer cet épisode de l’histoire en démontrant qu’une autre Afrique et d’autres messages existent belle et bien dont émergent des énergies nouvelles et positives pour la construction de l’avenir.

  
I La gueule du serpent
 


J’étais enfant et je jouais près de la case de mon père. Quel âge avais-je en ce temps-là ? Je ne me rappelle pas exactement. Je devais être très jeune encore : cinq ans, six ans peut-être. Ma mère était dans l’atelier, près de mon père, et leurs voix me parvenaient, rassurantes, tranquilles, mêlées à celles des clients de la forge et au bruit de l’enclume.
Brusquement j’avais interrompu de jouer, l’attention, toute mon attention, captée par un serpent qui rampait autour de la case, qui vraiment paraissait se promener autour de la case ; et je m’étais bientôt approché. J’avais ramassé un roseau qui traînait dans la cour - il en traînait toujours, qui se détachaient de la palissade de roseaux tressés qui enclôt notre concession et, à présent, j’enfonçais ce roseau dans la gueule de la bête. Le serpent ne se dérobait pas : il prenait goût au jeu ; il avalait lentement le roseau, il l’avalait comme une proie, avec la même volupté, me semblait-il, les yeux brillants de bonheur, et sa tête, petit à petit, se rapprochait de ma main.
Il vint un moment où le roseau se trouva à peu près englouti, et où la gueule du serpent se trouva terriblement proche de mes doigts… (p. 9-10)

II Le génie de mon père

 
Un jour pourtant, je remarquai un petit serpent noir au corps particulièrement brillant, qui se dirigeait sans hâte vers l’atelier. Je courus avertir ma mère, comme j’en avais pris l’habitude ; mais ma mère n’eut pas plus tôt aperçu le serpent noir, qu’elle me dit gravement :
-    Celui-ci, mon enfant, il ne faut pas le tuer : ce serpent n’est pas un serpent comme les autres, il ne te fera aucun mal ; néanmoins ne contrarie jamais sa course.
Personne, dans notre concession, n'ignore que ce serpent-là, on ne devait pas le tuer, sauf moi, sauf mes petits compagnons de jeu, je présume, qui étions encore des enfants naïfs.
-    Ce serpent, ajouta ma mère, est le génie de ton père.
Je considérai le petit serpent avec ébahissement. Il poursuivait sa route vers l'atelier ; il avançait gracieusement, très sûr de lui, eût-on dit, et comme conscient de son immunité ; son corps éclatant et noir étincelait dans la lumière crue. Quand il fut parvenu à l'atelier, j'avisai pour la première fois qu'il y avait là, ménagé au ras du sol, un trou dans la paroi. Le serpent disparut par ce trou.
-    Tu vois : le serpent va faire visite à ton père, dit encore ma mère.
Bien que le merveilleux me fût familier, je demeurai muet tant mon étonnement était grand. Qu'est-ce qu'un serpent avait à faire avec mon père ? Et pourquoi ce serpent-là précisément ? On ne le tuait pas, parce qu'il était le génie de mon père ! Du moins était-ce la raison que ma mère donnait. Mais au juste qu'était-ce qu'un génie ? Qu'étaient ces génies que je rencontrais un peu partout, qui défendaient telle chose, commandaient telle autre ? Je ne me l'expliquais pas clairement, encore que je n'eusse cessé de croître dans leur intimité. Il y avait de bons génies, et il y en avait de mauvais ; et plus de mauvais que de bons, il me semble. Et d'abord qu'est-ce qui me prouvait que ce serpent était inoffensif ? …
-    Père, quel est ce petit serpent qui te fait visite ?
-    De quel serpent parles-tu ?
-    Eh bien ! du petit serpent noir que ma mère me défend de tuer.
-    Ah ! fit-il.
Il me regarda un long moment. Il paraissait hésiter à me répondre. …
-    Ce serpent est le génie de notre race.
-    Qui, dis-je, bien que ne comprisse pas très bien.
-    Ce serpent, poursuivit-il, est toujours présent ; toujours il apparaît à l’un de nous. Dans notre génération, c’est à moi qu’il s’est présenté. (p. 15-17)

Concours du meilleur « griot-conteur »

  • Entraînez-vous à la lecture du texte I (Camara Laye, le narrateur), puis du texte II (le narrateur, son père et sa mère) à haute voix. C’est uniquement le rôle du narrateur qui sera évalué par un jury de 6 élèves. Le premier texte peut être lu par deux narrateurs ; le deuxième par trois. Le rôle de la mère et du père sera complémentaire. Qui accumulera le plus de voix ? Au gagnant sera dédié le prix d’honneur du meilleur « griot-conteur » !
 Micro-tâches autour du texte I

1.    Décrivez la situation du départ.
2.    Surlignez tous les verbes en relation avec le serpent et expliquez-les, aussi sous forme de pantomimes.
3.    Classez les verbes selon leur intensité et lisez-les à haute voix en « crescendo ».
4.    Décrivez les étapes du récit qui font monter la tension sous forme d’une gradation.
•    ……….……….
•    ……….……….
•    ……….……….
•    ……….……….

Créativité
5.    Dessinez la situation, éventuellement sous forme de plusieurs cases d’une BD.
6.    Inventez la suite de l’histoire.
7.    Narrez une anecdote comparable, vraie ou fictive, de votre plus tendre enfance où vous avez été exposé à un grand danger. Vous avez le droit d’exagérer pour augmenter la tension de votre récit. Cependant il faut rester crédible et l’histoire vraisemblable.

Autour du texte II
Macro-tâches

•    Deux apprenants font une recherche sur le mythe du « génie ».
•    Deux autres apprenants font une recherche sur la signification d’un « totem » et le « totémisme ».

Micro-tâches
1.    A nouveau un autre serpent apparaît. Décrivez ce serpent en détail. Où se dirige-t-il ?
2.    Qu’entreprend le garçon cette fois-ci lorsqu’il remarque le serpent ?
3.    Que sa mère lui apprend-elle sur ce serpent ?
4.    Commentez l’énoncé suivant : « Bien que le merveilleux me fût familier, je demeurai muet tant mon étonnement était grand. »
5.    Quelles questions le garçon se pose-t-il sur le serpent et sur les paroles de sa mère ?
6.    Interrogé par son fils sur la signification du serpent, le père hésite à lui répondre tout de suite. Pourquoi, à votre avis ?
7.    Que le père lui dévoile-t-il finalement sur le serpent ?
8.    Essayez d’élucidez le phénomène que le serpent soit le génie de son père et de sa race. Formulez des hypothèses sur la signification de cet énoncé.
9.    D’après vous, Camara Laye, enfant, croit-il en les paroles de son père ?

Créativité
10.    En équipes, formulez des dialogues au choix et présentez-les devant la classe :
•    entre le garçon et sa mère
•    entre le père et le garçon

Production écrite - synthèse
11.    Quel est le génie de votre père / de votre race ?


III Renaître par le sang versé


Plus tard, j’ai vécu une épreuve autrement inquiétante que celle des lions, une épreuve vraiment menaçante cette fois et dont le jeu est totalement absent : la circoncision. … il me fallait à mon tour renaître, à mon tour abandonner l’enfance et l’innocence, devenir un homme…. Mais quelle que soit l’angoisse et quelle que soit la certitude de la souffrance, personne pourtant ne songerait à se dérober à l’épreuve. … Mes compagnons ne pensaient pas différemment ; comme moi, ils étaient prêts à payer le prix du sang. Ce prix, nos aînés l’avaient payé avant nous ; ceux qui naîtraient après nous, le paieraient à leur tour ; pourquoi l’eussions-nous esquivé ? La vie jaillissait du sang versé ! … Cette année-là, je dansai une semaine au long, sept jours au long, sur la grande place de Kouroussa, la danse du « soli », qui est la danse des futurs circoncis. …
Soudain l’opérateur est apparu. La veille, nous l’avions entrevu, lorsqu’il avait fait sa danse sur la grande place. Cette fois encore, je ne ferrai que l’entrevoir : je m’étais à peine aperçu de sa présence, qu’il s’est trouvé devant moi. … Je n’ai pas eu le temps d’avoir peur : j’ai senti comme une brûlure, et j’ai fermé les yeux une fraction de seconde. Je ne crois pas que j’aie crié. … Quand j’ai rouvert les yeux, l’opérateur était penché sur mon voisin. En quelques secondes, la douzaine d’enfants que nous étions cette année-là, sont devenus des hommes….
L’hémorragie qui suit l’opération est abondante, est longue ; elle est inquiétante : tout ce sang perdu ! Je regardais mon sang couler et j’avais le cœur étreint. Je pensais : « Est-ce que mon corps va entièrement se vider de son sang ? » Et je levais un regard implorant sur notre guérisseur, le « séma ».
-    Le sang doit couler, dit le « séma ». S’il ne coulait pas…
Il n’acheva pas sa phrase : il observait la plaie. Quand il vit que le sang enfin s’épaississait un peu, il me donna les premiers soins. Puis il passa aux autres.
Le sang finalement tarit, et on nous revêtit de notre long boubou ; ce serait, hormis une chemise très courte, notre seul vêtement durant toutes les semaines de convalescence qui allaient suivre. Nous nous tenions maladroitement sur nos jambes, la tête vague et le cœur comme près de la nausée. Parmi les hommes qui avaient assisté à l’opération, j’en aperçus plusieurs, apitoyés par notre misérable état, qui se détournaient pour cacher leurs larmes. (p. 123-141)

Camara Laye : L’enfant noir. Paris : Pocket junior 2007/1953.
Cf. le  texte intégral sur webGuinée: [
http://www.webguinee.net/bibliotheque/literature/camara_laye/01.html]
Cf. le dossier pédagogique en ligne, préparé par Christine Renaudin et Suzanne Toczyski, 2003: [
http://www.sonoma.edu/users/t/toczyski/camaralaye/clayeresume.html
]
Adaptation filmique par Laurent Chevallier 1995 ; DVD 2006.

 

 



Hampâté Bâ, Amkoullel, l’enfant peul, Paris, Actes sud, 1991

Au même titre que « L’enfant noir » de Camara Laye, couvrant la même période, mais rédigé seulement à la fin de la vie par l’auteur, une autre œuvre autobiographique et un classique de la littérature africaine francophone sont les « Mémoires » d’Amadou Hampâté Bâ, boursier de l’UNESCO, ethnologue et auteur malien (1900-1991). Si le récit de Camara Laye révèle une certaine naïveté dû à son jeune âge – l’auteur n’a que 25 ans lorsque parait son roman -, Hampâté Bâ écrit avec beaucoup plus de recul pour témoigner des bouleversements qui ont marqué l’Afrique au temps de la colonisation. Mais lui non plus ne pointe pas du doigt et ne prend pas parti lorsqu’il raconte son histoire.
Son livre est une fresque historique, sociale et culturelle exceptionnelle par les détails ethnographiques de son style et les connaissances encyclopédiques sur l’Afrique de l’Ouest du début du 20ème siècle. L’auteur y aborde les valeurs et traditions des cultures peule, toucouleure ou encore bambara et dogon, l’éducation des enfants, l’organisation sociale des adultes, la cohabitation des différentes communautés religieuses, notamment animistes et musulmanes, et des pouvoirs traditionnels avec l’administration française, le tout narré selon le concept d’Horace, mais aussi des maîtres maliens « délectare et prodesse », instruire en amusant. Le paradoxe résulte du fait que le roman qui retrace les vingt premières années de l’auteur en faisant appel à des souvenirs personnels sous forme de récits, de contes, d’anecdotes, de descriptions et de reproductions minutieuses de conversations anciennes, est un hymne à la civilisation de l’oralité africaine - couché sur papier.

Maintenant donnant la parole à l’auteur-griot pour qu’il vous parle de sa jeunesse :

I Le double héritage


En Afrique traditionnelle, l’individu est inséparable de sa lignée, qui continue de vivre à travers lui et dont il n’est que le prolongement. C’est pourquoi, lorsqu’on veut honorer quelqu’un, on le salue en lançant plusieurs fois non pas son nom personnel (ce que l’on appellerait en Europe le prénom) mais le nom de son clan : « Bâ ! Bâ ! » ou « Diallo ! Diallo ! » ou « Cissé ! Cissé ! » car ce n’est pas un individu isolé que l’on salue, mais, à travers lui, toute la lignée de ses ancêtres.
Aussi serait-il impensable, pour le vieil Africain que je suis, né à l’aube de ce siècle dans la ville de Bandiagara, au Mali, de débuter le récit de ma vie personnelle sans évoquer d’abord, ne serait-ce que pour les situer, mes deux lignées paternelle et maternelle, toutes deux peules, et qui furent l’une et l’autre intimement mêlées, quoique dans des camps opposés, aux événements historiques parfois tragiques qui marquèrent mon pas au cours du siècle dernier. … « Pas si vite ! » s’écriera sans doute le lecteur non africain, peu familiarisé avec les grands noms de notre histoire. « Avant d’aller plus loin, qu’est-ce donc, d’abord, que les Peuls, et que les Toucouleurs ? » (p. 17-18)

Micro-tâches

  • Décrivez le rapport entre « individu » et « clan » dans la tradition africaine.
  • Quelle est l’origine de l’auteur ? Que nous apprend-il sur sa famille /sa lignée ?

 Macro-tâche
  • Deux équipes font une recherche sur les « Peuls » et sur les « Toucouleurs ». Contez vos résultats en plenum.


II A l’école des griots


A la belle saison, on venait le soir à Kérétel pour regarder s’affronter les lutteurs, écouter chanter les griots musiciens, entendre des contes, des épopées et des poèmes. Si un jeune homme était en verve poétique, il venait chanter ses improvisations. On les retenait de mémoire et, si elles étaient belles, dès le lendemain elles se répandaient à travers toute la ville. C’était là un aspect de cette grande école orale traditionnelle où l’éducation populaire se dispensait au fil des jours.
Le plus souvent, je restais après le dîner chez mon père Tidjani pour assister aux veillées. Pour les enfants, ces veillées étaient une véritable école vivante, car un maître conteur africain ne se limitait pas à narrer des contes, il était également capable d’enseigner sur de nombreuses autres matières, surtout lorsqu’il s’agissait de traditionalistes confirmés comme Koullel, son maître Modibo Koumba ou Danfo Siné de Bougouni. De tels hommes pouvaient aborder presque tous les champs de la connaissance d’alors, car un « connaisseur » n’était jamais un spécialiste au sens moderne du mot, c’était plutôt un généraliste. Le même vieillard (au sens africain du terme, c’est-à-dire celui qui connaît, même si tous ses cheveux ne sont pas blancs) pouvait avoir des connaissances approfondies aussi bien en religion ou en histoire qu’en sciences naturelles ou en sciences humaines de toutes sortes. C’était une connaissance plus ou moins globale selon la qualité de chacun, une sorte de vaste « science de la vie », la vie étant ici conçue comme une unité où tout est relié, interdépendant et interagissant, où matériel et spirituel ne sont jamais dissociés. L’enseignement, lui non plus, n’était jamais systématique, mais livré au gré des circonstances, selon les moments favorables ou l’attention de l’auditoire.
Le fait de n’avoir pas eu d’écriture n’a donc jamais privé l’Afrique d’avoir un passé, une histoire et une culture. Comme le dira beaucoup plus tard mon maître Tierno Bokar : » L’écriture est une chose et le savoir en est une autre. L’écriture est la photographie du savoir, mais elle n’est pas le savoir lui-même. Le savoir est une lumière qui est en l’homme. Il est l’héritage de tout ce que les ancêtres ont pu connaître et qu’ils nous ont transmis en germe, tout comme le baobab est contenu en puissance dans sa graine. » (…)
Des confrères de Koullel, eux aussi traditionalistes en de nombreux domaines, l’accompagnaient souvent. Quand l’un d’eux contait, un guitariste l’accompagnait en sourdine. C’était souvent Ali Diêli Kouyaté, le griot personnel de Tidjani ; mais d’autres griots chanteurs, musiciens ou généalogistes venaient aussi animer ces veillées, où musique et poésie étaient toujours présentes.
A travers ce chaos apparent, nous apprenions et retenions beaucoup de choses, sans peine et avec un grand plaisir, parce que c’était éminemment vivant et distrayant. Instruire en amusant a toujours été un grand principe des maîtres maliens de jadis. Plus que jamais, mon milieu familial était pour moi une grande école permanente, celle des maîtres de la Parole.
( p. 212-214)

Sensibilisation au sujet de l’école – Production orale et écrite
•    Choisissez deux sujets pour y répondre par écrit.
•    Choisissez deux autres sujets à partir desquels vous exposerez votre opinion oralement. Prenez des notes.
1.    J’aime l’école / je déteste l’école, parce que…
2.    Raconter une anecdote ou décrivez une situation plaisante ou déplaisante que vous avez vécue à l’école.
3.    Que signifie le terme « apprendre » pour vous ?
4.    Décrivez une école globale intégrée par rapport à un collège et/ou un lycée.
5.    D’après vous, quelle est la fonction éducative de la famille ?
6.    Quels sont les différents lieux d’apprentissage dans la vie ?
7.    Est-ce à l’école que nous apprenons le plus ?
8.    Comparez le grand principe des maîtres maliens instruire en amusant avec le principe d’Horace délectare et prodesse. Partagez-vous l’idée d’Horace ?
9.    Enumérez au moins cinq qualités / défauts d’un bon/ mauvais enseignant.
10.    A votre avis, comment peut-on motiver les apprenants pour les cours ?
11.    Qu’est-ce que vous associez au terme « école vivante » ?
12.    Qu’entendez-vous par l’idée d’une « école permanente » ?

Travail sur le lexique
1.    Etre en verve poétique
2.    Assister aux veillées
3.    L’éducation populaire se dispensait au fil des jours
4.    Le vieillard  au sens africain
5.    Une sorte de vaste science de la vie

Mico-tâches autour du texte
1.    Pourquoi à la belle époque les gens se rencontrent-ils le soir à Kérétel ?
2.    Selon votre avis, pourquoi s’y rendent-ils volontairement ?
3.    Décrivez comment se déroule une veillée.
4.    Comment appelle-t-on les maîtres de l’éducation populaire ?
5.    Quels sont leurs différents champs d’action ?
6.    Ou l’enseignement est-il dispensé ?
7.    Identifiez les différents termes employés pour désigner l’école et analysez-les.
8.    Quelles sont les relations entre « écriture » et « savoir » ?
9.    Relevez les caractéristiques de la « grande école orale traditionnelle ».
10.    Qu’est-ce qui caractérise un conteur traditionnel africain ?
11.    Elucidez l’idée du germe et de la graine dans l’enseignement.

Réflexion / discussion
1.    Les belles improvisations étaient retenues de mémoire et se répandaient à travers toute la ville.
2.    L’enseignement n’était jamais spécialisé et jamais systématique. Comparez ces principes avec votre système d’enseignement. Quelles sont les similitudes ou les différences ?
3.    Le matériel et le spirituel n’étaient jamais dissociés.
4.    Pensez-vous que les civilisations sans écriture n’ont pas de culture ?
5.    Comment jugez-vous les systèmes d’enseignement en Afrique et en Europe ?

Production écrite – Analyse
•    Tierno Bokar : » L’écriture est une chose et le savoir en est une autre. L’écriture est la photographie du savoir, mais elle n’est pas le savoir lui-même. Le savoir est une lumière qui est en l’homme. Il est l’héritage de tout ce que les ancêtres ont pu connaître et qu’ils nous ont transmis en germe, tout comme le baobab est contenu en puissance dans sa graine. » (…)
•    Selon Amadou Hampâté Bâ « un vieillard qui meurt est comme une bibliothèque qui brûle ».

Elargissement du débat interprétatif
•    Après l’apparition de l’écrit et de l’imprimerie les nouveaux médias représentent une troisième révolution. Progrès ou décadence : les médias du 21ème siècle créent-ils une nouvelle culture de l’oralité ?  Est-ce la fin de l’écrit et de l’univers de Gutenberg ?



III Réquisitionné d’office


Alors que je coulais des jours heureux entre l’école coranique, mon grand frère et mes camarades d’association, survint un élément qui allait marquer un tournant majeur dans ma vie. En fait, chaque fois que mon existence commençait à s’engager sur une belle voie bien droite, le destin semblait s’amuser à lui donner une chiquenaude pour la faire basculer dans une direction totalement opposée, faisant régulièrement alterner des périodes de chance et de malchance. Cela commença bien avant ma naissance, avec mon père Hampâté, qui aurait dû (et ses enfants après lui) hériter d’une chefferie dans le pays du Fakala, et qui se retrouva, seul rescapé survivant de toute sa famille, réfugié anonyme au fond d’une boucherie. Réhabilité par le roi même qui avait fait massacrer tous les siens, voilà qu’il meurt trop tôt pour que je le connaisse vraiment et que le sort fait de moi un petit orphelin de trois ans. Un riche et noble chef de province vient-il à épouser ma mère et à m’adopter comme héritier et fils présomptif, faisant planer au-dessus de ma tête le turban des chefs de Louta ? Patatras ! Nous nous retrouvons tous en exil et me voilà fils de bagnard. Enfin revenus à Bandiagara où la vie semble reprendre son cours normal, voilà que l’on m’arrache brutalement à mes occupations traditionnelles, qui m’auraient sans doute dirigé vers une carrière classique de marabout-enseignant, pour m’envoyer d’office à l’école des Blancs, alors considérée par la masse musulmane comme la voie la plus directe pour aller en enfer ! (…) Les commandants de cercle exécutaient la « commande » en indiquant aux chefs de canton et aux chefs traditionnels combien d’enfants il fallait réquisitionner pour l’école.
C’est ainsi qu’un beau jour de l’année 1912, vers les deux tiers de l’année scolaire, le commandant de cercle de Bandiagara Camille Maillet donna ordre au chef traditionnel de la ville, Alfa Maki Tall, fils de l’ancien roi Aguibou Tall, de lui fournir deux garçons de bonne famille, âgés de moins de dix-huit ans, pour compléter l’effectif de l’école primaire de Bandiagara. (…)
L’occasion dont il rêvait se présenta quand il reçut l’ordre de réquisitionner deux garçons pour l’école des Blancs. Quel mal plus grand pouvait-il faire à Beydari que de lui arracher le même jour les deux petits orphelins qu’il adorait, pour les envoyer à l’école des « mangeurs de porc » ? Et quelle vengeance ultime contre la famille de ses anciens maîtres du Fakala ! (…)
« Que la volonté de Dieu soit faite, comme il plaît à Dieu qu’elle le soit ! » répliqua tranquillement Beydari.
C’était bien là la dernière réponse à laquelle s’attendait Koniba ! Sa déception se peignit sur son visage. Frustré de la belle scène qu’il espérait, il ne put s’empêcher de s’écrier :
« Eh bien, tant pis pour tes petits maîtres ! Ce qu’ils apprendront à l’école des Blancs les amènera à renier leur foi ; ils deviendront des mécréants et des vauriens, ils seront mis au ban de leur société ! » (…)
Voir Koniba se diriger vers soi était en effet considéré comme l’annonce inévitable d’un malheur, car il ne venait chez les gens que pour les recruter d’office soit pour un travail forcé, soit pour l’armée, soit pour l’école. Le moindre mal qu’il pouvait faire, c’était de réquisitionner vos animaux de bât pour le transport quasiment gratuit – ou si peu payé ! – du personnel ou du matériel de l’administration coloniale civile ou militaire, quand ce n’était pas pour les grosses sociétés de commerce françaises du lieu – auquel cas les prestations fournies par la population étaient considérées comme « contribution au développement de la colonie ». (…)
- Où nous emmènes-tu ? osa demander Hammadoun.
- Là où vous méritez d’aller, à la porcherie des toubabs ! Vous y serez transformés en pourceaux, ou mieux encore, en petits fagots destinés à alimenter les feux de l’enfer ! » (p. 257-263)

 


 

Ferdinand Oyono , Une vie de boy, 1956

Ce roman-témoignage est une peinture satirique des relations discriminatoires entre colonisateurs et colonisés en terre africaine et raconte la cohabitation des deux communautés noire et blanche fondée sur les  inégalités et les clivages liés à la couleur et les préjugés ainsi que sur l’ignorance et l’intolérance

Si les « maitres blancs » qui prétendent apporter la civilisation brillent par leurs préjugés raciaux et leurs actes de violence tout en considérant les noirs comme de grands enfants, paresseux, voleurs et menteurs, les noirs de leur côté se moquent des incirconcis et non-initiés qui ignorent les plus élémentaires règles de la vie sociale.

Le roman, écrit sous la forme d'un journal, se déroule au Cameroun et raconte l'histoire d’un jeune noir, naïf, qui heureux de venir vivre dans le monde des blancs découvrira à travers ses expériences désillusionnantes qu’il ne sera jamais considéré comme un être humain. Ainsi le protagoniste connaîtra une transformation qui permettra au lecteur de prendre conscience des tensions et des préjugés qui existent des deux côtes.

Ferdinand Oyono : Une vie de boy. Paris : Juilliard 1956/ Edition pocket 2002.
Macro-tâche : Faites une recherche sur les Préjugés raciaux dans les rapports entre colonisateurs et indigènes en étudiant l’article de Diao Faye :
[
http://fastef.ucad.sn/Lien11/diaofaye.pdf]

Le Vieux Nègre et la médaille,1956

 

 

Dans son deuxième roman de contestation de la situation colonaile, paru la même année qu’ »Une vie de boy », Oyono relate la vie d’un vieux nègre, Meka, paysan du Sud du Cameroun qui à donné à la « mère-patrie » ses deux fils, morts pour la France sur les champs de bataille, et qui attend une récompense de l’administration coloniale pour son dévouement. Mais son excès de complaisance qui l’a coupé de son identité culturelle qu’il a rejetée au second plan ne lui portera pas bonheur. Les malentendus s’accumulent et tournent à un véritable désastre. Dans ce roman fort pessimiste et critique Oyono dénonce l’hypocrisie et les abus des colonisateurs, le clivage entre la fraternité affichée dans les discours des oppresseurs et l’humiliation et la douleur des indigènes inférieures dans les faits. Meka est-il puni par où il a pêché ?

 



 

Ousmane Sembene, Les bouts de bois de Dieu,1960

A l’origine de ce classique de la littérature africaine se trouve un fait réel, c’est-à-dire la grève des cheminots sénégalais du Dakar-Niger d’octobre 1947 à mars 1948. Pour l’exécution de leurs travaux et pour améliorer la prospérité du pays, les Etats colonisateurs ont besoin de main d’œuvre. C’est ainsi qu’ils légitiment le recrutement de la population indigène pour les travaux forcés. Mais les ouvriers se révoltent pour obtenir de meilleures conditions de travail et par le fait pour se battre contre le racisme et les injustices infligés par les colonisateurs. En développant le thème de la révolte au lendemain de la Seconde Guerre mondiale le roman présente le réveil d’un véritable mouvement nationaliste panafricain. Au cœur des voix discordantes du roman et des âmes déchirées s’élève l’amour de l’homme et sa recherche de la liberté. En 1969, l’année de la parution du roman, la plupart des États africains francophones ont obtenu leur indépendance.

Cf. les extraits de la pièce de théâtre sur Dailymotion, 26 janvier 2009 :
1.   
http://www.dailymotion.com/video/x85j4r_les-bouts-de-bois-de-dieu-01_creation 5:20
2.   
http://www.dailymotion.com/video/x85jy9_les-bouts-de-bois-de-dieu-02_creation#rel-page-2
3.    Interview :
http://www.dailymotion.com/video/x85kh6_les-bouts-de-bois-de-dieu-interveiw_creation#rel-page-under-3 4:34

 

 


 

Cheikh Hamidou Kane, L’aventure ambiguë, 1961

Dans les années 1950 lorsque s’annonce d’une manière plus aiguë l’émancipation des états africains de la tutelle européenne, les premiers romanciers d’expression française prennent le relais des poètes de la négritude pour rendre compte des mutations qui apparaissent au sein d’une nouvelle société en train de naître. Les récits romanesques qui ouvrent l’âge du roman évoquent alors, souvent par le biais d’éléments autobiographiques, le choc des cultures provoqué par la colonisation.


I - La colonisation
Il y a cent ans, notre grand-père, en même temps que tous les habitants de ce pays, a été réveillé un matin par une clameur qui montait du fleuve. Il a pris son fusil et, suivi de toute l’élite, s’est précipité sur les nouveaux venus. Son cœur était intrépide et il attachait plus de prix à la liberté qu’à la vie. Notre grand-père, ainsi que son élite, ont été défaits. Pourquoi ? Comment ? Les nouveaux venus seuls le savent. Il faut le leur demander ; il faut aller apprendre chez eux l’art de vaincre sans avoir raison. (p. 47)

II - La colonisation
Le pays des Diallobé n’était pas le seul qu’une grande clameur eût réveillé un matin. Tout le continent noir avait eu son matin de clameurs.
Etrange aube ! Le matin de l’occident en Afrique noir fut constellé de sourires, de coups de canon et de verroteries brillantes. Ceux qui n’avaient point d’histoire rencontraient ceux qui portaient le monde sur leurs épaules. Ce fut un matin de gésine. Le monde connu s’enrichissait d’une naissance qui se fit dans la boue et dans le sang.
De saisissement, les uns ne combattirent pas. Ils étaient sans passé, donc sans souvenir. Ceux qui débarquaient étaient blancs et frénétiques. On n’avait rien connu de semblable. Le fait s’accomplit avant même qu’on prît conscience de ce qui arrivait.
Certains, comme les Diallobé, brandirent leurs boucliers, pointèrent leurs lances ou ajustèrent leurs fusils. On les laissa approcher, puis on fit tonner le canon. Les vaincus ne comprirent pas.
D’autres voulurent palabrer. On leur proposa, au choix, l’amitié ou la guerre. Très sensément, ils choisirent l’amitié : ils n’avaient point d’expérience.
Le résultat fut le même cependant, partout.
Ceux qui avaient combattu et ceux qui s’étaient rendus, ceux qui avaient composé et ceux qui s’étaient obstinés se retrouvèrent le jour venu, recensés, répartis, classés, étiquetés, conscrits, administrés. (p. 59-60)


III - L’école française, une nouvelle forme de la guerre


Mais tes jeunes frères ? Leurs pas ont été dirigés vers l’école des Blancs.
L’ascension est laborieuse, sur le rude versant du savoir, à l’école des Blancs.
Le jardin d’enfants reste un luxe que seuls les nantis offrent à leurs petits. Pourtant, il est nécessaire, lui qui aiguise et canalise l’attention et les sens du bambin.
L’école primaire, si elle prolifère, son accès n’en demeure pas moins difficile. Elle laisse à la rue un nombre impressionnant d’enfants, faute de places.
Entrer au lycée ne sauve pas l’élève aux prises à cet âge avec l’affermissement de sa personnalité, l’éclatement de sa puberté et la découverte des traquenards qui ont noms : drogue, vagabondage, sensualité.
L’université aussi a ses rejets exorbitants et désespérés.
Que feront ceux qui ne réussissent pas ? L’apprentissage du métier traditionnel apparaît dégradant à celui qui a un mince savoir livresque. On rêve d’être commis. On honnit la truelle.
La cohorte des sans-métiers grossit les rangs des délinquants.
Fallait-il nous réjouir de la désertion de forges, ateliers, cordonneries ? Fallait-il nous en réjouir sans ombrage ? Ne commencions-nous pas à assister à la disparition d’une élite de travailleurs manuels traditionnels ? (...) (p.42)

Si je leur dis d’aller à l’école nouvelle, ils iront en masse. Ils y apprendront toutes les façons de lier le bois au bois que nous ne savons pas. Mais, apprenant, ils oublieront aussi. Ce qu’ils apprendront vaut-il ce qu’ils oublieront ? Je voulais vous demander : peut-on apprendre ceci sans oublier cela, et ce qu’on apprend vaut-il ce qu’on oublie ? (p. 44)
 

  • Etudiez le rapport entre apprendre et oublier et essayez de donner une réponse à la dernière phrase « ce qu’on apprend vaut-il ce qu’on oublie ? »

 

L’école où je pousse nos enfants tuera en eux ce qu’aujourd’hui nous aimons et conservons avec soin, à juste titre. Peut-être notre souvenir lui-même mourra-t-il en eux. Quand ils nous reviendront de l’école, il en est qui ne nous reconnaîtront pas. (p. 57)

 

  • Selon l’auteur, quelle sont les conséquences négatives de la « nouvelle école » ?
  • Commentez la phrase « Quand ils nous reviendront de l’école, il en est qui ne nous reconnaîtront pas. »

Au surplus, le combat n’a pas cessé encore. L’école étrangère est la forme nouvelle de la guerre que nous font ceux qui sont venus, et il faut y envoyer notre élite, en attendant d’y pousser tout le pays. (p.47)

 

  • Pourquoi, à votre avis, « l’école étrangère est la forme nouvelle de la guerre » ?

L’école nouvelle participait de la nature du canon et de l’aimant à la fois. Du canon, elle tient son efficacité d’arme combattante. Mieux que le canon, elle pérennise la conquête. Le canon contraint les corps, l’école fascine les âmes. Où le canon a fait un trou de cendre et de mort et, avant que, moisissure tenace, l’homme parmi les ruines n’ait rejailli, l’école nouvelle installe sa paix. Le matin de la résurrection sera un matin de bénédiction par la vertu apaisante de l’école.
De l’aimant, l’école tient son rayonnement. Elle est solidaire d’un ordre nouveau, comme un noyau magnétique est solidaire d’un champ. Le bouleversement de la vie des hommes à l’intérieur de cet ordre nouveau est semblable aux bouleversements de certaines lois physiques à l’intérieur d’un champ magnétique. On voit les hommes se disposer, conquis, le long de lignes de forces invisibles et impérieuses. Le désordre s’organise, la sédition s’apaise, les matins de ressentiment résonnent des chants d’une universelle action de grâce. …
L’homme ne veut pas de l’école parce qu’elle lui impose, pour vivre – c’est-à-dire pour être libre, pour se nourrir, pour s’habiller -  de passer désormais par ses bancs…
(p. 60-61)

 

  • Quelles sont les caractéristiques que l’école nouvelle partage avec « le canon » et « l’aimant » ?

 

Synthèse/ discussion

  • Malgré ses qualités multiples, l’homme ne veut pas de cette école nouvelle. Pourquoi ?

 

IV - L’industrialisation et l’aliénation
L’occident est en train de bouleverser ces idées simples, dont nous sommes partis. Il a commencé, timidement, par reléguer Dieux « entre des guillemets ». Puis, deux siècles après, ayant acquis plus d’assurance, il décréta : « Dieu est mort ». De ce jour, date l’ère du travail frénétique. Nietzche est contemporain de la révolution industrielle. Dieu n’était plus là pour mesurer et justifier. N’est-ce pas cela, l’industrie ? L’industrie était aveugle, quoique, finalement, qu’elle produisait… Mais déjà cette phrase est dépassée. Après la mort de Dieu, voici s’annonce la mort de l’homme.
-    Je ne comprends pas…
-    La vie et le travail ne sont plus commensurables. Jadis, il existait comme une loi
d’airain qui faisait que le travail d’une seule vie ne pouvait nourrir qu’une seule vie. L’art de l’homme a brisé cette loi. Le travail d’un seul permet de nourrir plusieurs autres, de plus en plus de personnes, Mais voici que l’Occident est sur le point de pouvoir se passer de l’homme pour produire du travail. Il ne sera plus besoin que de très peu de vie pour fournir un travail immense. (p. 113)


V - Identité hybride
-    Vous vous destinez donc à l’enseignement ?
-    Peut-être enseignerai-je en effet. Tout dépendra de ce qu’il sera advenu de moi au
bout de tout cela. Vous savez, notre sort à nous autres, étudiants noirs, est un peu celui de l’estafette. Nous ne savons pas, au moment de partir de chez nous, si nous reviendrons jamais.
-    Il arrive que nous soyons capturés au boute de notre itinéraire, vaincus par notre
aventure même. Il nous apparaît soudain que, tout au long de notre cheminement, nous n’avons pas cessé de nous métamorphoser, et que nous voilà devenus autres. Quelquefois, la métamorphose ne s’achève pas. Elle nous installe dans l’hybride et nous y laisse. Alors, nous nous cachons, remplis de honte. (p. 124-125)
 

 


 

Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, 2000

L’auteur relate dans son livre-pamphlet exceptionnellement crue et réaliste le drame déplorable des guerres civiles et religieuses de l’Afrique de l’Ouest à travers le récit accablant d’un enfant-soldat, orphelin, d’une douzaine d’années qui gagne son pain avec sa kalachnikov pour survivre. Ce que Kourouma qui n’hésite pas à dévoiler les noms des dictateurs et dirigeants politiques responsables de ces crimes contre l’humanité condamne surtout, c’est l’utilisation des enfants innocents dans ces conflits meurtriers poussés à commettre les crimes les plus affreux.

Le protagoniste et narrateur du roman  Allah n'est pas obligé d’Ahmadou Kourouma, Birahima, déclare que « L’enfant-soldat est le personnage le plus célèbre de cette fin du XXe siècle ». C’est pour cette raison qu’il a décidé de « raconter sa vie de merde » afin de dévoiler au monde l’enfer que ces enfants vivent quotidiennement. Allah n’est pas obligé est un réquisitoire contre l’exploitation des enfants orphelins à des fins de guerres fratricides en Sierra Léone et au Libéria. C’est un appel au secours qui doit nous faire réfléchir sur le sort des centaines de milliers d’enfants-soldats à travers le monde qui sont enrôlés à l’heure actuelle dans des guerres ethniques et religieuses des républiques corrompues et foutues » par des rebelles assoiffés de pouvoir politique pour servir d’éclaireurs, d’espions, de messagers, de garde du corps, de poseurs de mines, de boucliers humains et de tueurs.

I - 4e de couverture
« Je m'appelle Ibrahima. J'aurais pu être un sale gosse comme les autres (dix ou douze ans, selon les sources), ni meilleur ni pire, si j'étais né ailleurs que dans un foutu pays d'Afrique. Mais mon père est mort. Et ma mère, qui marchait sur les fesses, elle est morte aussi. Alors je suis parti à la recherche de ma tante Mahan, ma tutrice. C'est Yacouba qui m'accompagne. Yacouba, le féticheur, le multiplicateur de billets, le bandit boiteux. Comme on n'a pas de chance, on doit chercher partout, dans le Liberia et la Sierra Leone de la guerre tribale. Comme on n'a pas de sous, on doit s'embaucher, Yacouba comme grigriman et moi comme enfant-soldat. De camp  retranché en ville investie, de bande en bande de bandits de grand chemin, j'ai tué pas mal de gens avec mon kalachnikov. C'est facile. On appuie et ça fait tralala. Je ne sais pas si je me suis amusé. Je sais que j'ai eu beaucoup mal. Mais Allah n'est pas obligé d'être juste avec toutes les choses qu'il a créées ici-bas. »
Ahmadou Kourouma (1927 - 2003) - Allah n'est pas obligé, Editions du Seuil, août 2000, 4e de couverture,  Prix Renaudot et Goncourt des lycéens 2000.


II - Portrait de Birahima, l’enfant-soldat

« Je décide le titre définitif et complet de mon blablabla est Allah n'est  pas obligé d'être juste dans toutes ses choses ici-bas. Voilà. Je commence à conter mes salades.
Et d'abord... et un... M'appelle Birahima. Suis p'tit nègre. Pas parce que suis black et gosse. Non! Mais suis p'tit nègre parce que je parle mal le français. C'é comme ça. Même si on est grand, même vieux, même arabe, chinois, blanc, russe, même américain; si on parle mal le français, on dit on parle p'tit nègre, on est p'tit nègre quand même. Ça, c'est la loi du français de tous les jours qui veut ça.
... Et deux... Mon école n'est pas arrivée très loin; j'ai coupé cours élémentaire deux. J'ai quitté le banc parce que tout le monde a dit que l'école ne vaut plus rien, même pas le pet d'une vieille grand-mère. (C'est comme ça on dit en nègre noir africain indigène quand une chose ne vaut rien. On dit que ça vaut pas le pet d'une vieille grand-mère parce que le pet de la grand-mère foutue et malingre ne fait pas de bruit et ne sent pas très, très mauvais.) L'école ne vaut pas le pet de la grand-mère parce que, même avec la licence de l'université, on n'est pas fichu d'être infirmier ou instituteur dans une des républiques bananières corrompues de l'Afrique francophone. (République bananière signifie apparemment démocratique, en fait régie par des intérêts privés, la corruption.) Mais fréquenter jusqu'à cours élémentaire deux n'est pas forcément autonome et mirifique. On connaît un peu, mais pas assez; on ressemble à ce que les nègres noirs africains indigènes appellent une galette aux deux faces braisées. On n'est plus villageois, sauvages comme les autres noirs nègres africains indigènes: on entend et comprend les noirs civilisés et les toubabs sauf les Anglais comme les Américains noirs du Liberia. Mais on ignore géographie, grammaire, conjugaisons, divisions et rédaction; on n'est pas fichu de gagner l'argent facilement comme agent de l'Etat dans une république foutue et corrompue comme en Guinée, en Côte-d'Ivoire, etc., etc.»
… Et trois… suis insolent, incorrect comme barbe d’un bouc et parle comme un salopard. Je dis pas comme les nègres noirs africains indigènes bien cravatés : merde ! putain ! salaud ! J’emplie les mots malinkés comme faforo ! (Faforo ! signifie sexe de mon père ou du père ou de ton père.) (…) Les Malinkés, c’est ma race à moi. C’est la sorte de nègres noirs africains indigènes qui sont nombreux au nord de la Côte-d’Ivoire, en guinée et dans d’autres républiques bananières et foutues comme Gambie, Sierra Leone et Sénégal là-bas, etc.
… Et quatre… je veux bien m’excuser de vous parler vis-à-vis comme ça. Parce que je ne suis qu’un enfant. Suis dix ou douze (il y a deux ans grand-mère disait huit et maman dix) et je parle beaucoup. Un enfant poli écoute, ne garde pas la palabre… (…) Mais moi depuis longtemps je m’en fous des coutumes du village, entendu que j’ai été au Liberia, que j’ai tué beaucoup de gens avec kalachnikov (ou kalach) et me suis bien camé avec kanif et les autres drogues dures.
… Et cinq… Pour raconter ma vie de merde, de bordel de vie dans un parler approximatif, un français passable, pour ne pas mélanger les pédales dans les gros mots, je possède quatre dictionnaires. Primo le dictionnaire Larousse et le Petit Robert, secundo l’Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire et tertio le dictionnaire Harrap’s. Ces dictionnaires me servent à chercher les gros mots, à vérifier les gros mots et surtout à les expliquer. Il faut expliquer parce que mon blablabla est à lire par toute sorte de gens : des toubabs (toubab signifie blanc) colons, des noirs indigènes sauvages d’Afrique et des francophones de tout gabarit (gabarit signifie genre). Le Larousse et le Petit Robert me permettent de chercher, de vérifier et d’expliquer les gros mots du français de France aux noirs nègres indigènes d’Afrique. L’Inventaire des particularités lexicales du français d’Afrique explique les gros mots africains aux toubabs français de France. Le dictionnaire Harrap’s explique les gros mots pidgin à tout francophone qui ne comprend rien de rien au pidgin.
Comment j’ai pu avoir ces dictionnaires ? Ça, c’est une longue histoire que je n’ai pas envie de raconter maintenant. Maintenant je n’ai pas le temps, je n’ai pas envie de me perdre dans du blabla. Voilà c’est out. A faforo (cul de mon papa) !
… Et six… C’est vrai, suis pas chic et mignon, suis maudit parce que j’ai fait du mal à ma mère. Chez les nègres noirs africains indigènes, quand tu as fâché la maman et si elle est morte avec cette colère dans son cœur elle te maudit, tu as la malédiction. Et rien ne marche chez toi et avec toi.

Me voilà présenté en six points pas une de plus en chair et en os avec en plume ma façon incorrecte et insolente de parler. (Ce n’est pas en plume qu’il faut dire mais en prime. Il faut expliquer en prime aux nègres noirs africains indigènes qui ne comprennent rien à rien. D’après Larousse, en prime signifie ce qu’on dit en plus, en rab.)
Voilà ce que je suis ; c’est pas un tableau réjouissant. Maintenant, après m’être présenté, je vais vraiment, vraiment conter ma vie de merde de damné.
Asseyez-vos et écoutez-moi. Et écrivez tout et tout. Allah n’est pas obligé d’être juste dans toutes ses choses. Fafaro (sexe de mon papa) !

Avant de débarquer au Liberia, j’étais un enfant sans peur ni reproche. Je dormais partout, chapardais tout et partout pour manger. Grand-mère me cherchait des jours et des jours : c’est ce qu’on appelle un enfant de la rue. J’étais un enfant de la rue. Avant d’être un enfant de la rue, j’étais à l’école. Avant ça, j’étais un bilakoro au village de Togobala. (Dilakoro signifie, d’après l’inventaire des particularités lexicales, garçon non circoncis.) Je courais dans les rigoles, j’allais aux champs, je chassais les souris et les oiseaux dans la brousse. Un vrai enfant nègre noir africain broussard. Avant tout ça, j’étais un gosse dans la case avec maman. Le gosse, il courait entre la case de maman et la case de grand-mère. Avant tout ça, j’ai marché à quatre pattes dans la case de maman. Avant tout ça, j’étais peut-être dans le vent, peut-être un serpent, peut-être dans l’eau. On est toujours quelque chose comme serpent, arbre, bétail ou homme ou femme avant d’entrer dans le ventre de sa maman. On appelle ça la vie avant la vie. J’ai vécu la vie avant la vie. Gnamokodé (bâtardise) !
Ce texte représente le début du roman Allah n'est pas obligé d’Ahmadou Kourouma, Paris : Editions du Seuil, septembre 2000, p. 7-11.

Activités autour du texte :
Trouvez des titres pour les six parties du texte qui résument l’essentiel du contenu.
…Et un …
1.    Birhaima se présente comme un « p’tit nègre ». Analysez et commentez la situation.
…Et deux …
2.    A quel niveau Birhaima a-t-il quitté l’école ? Quel est, selon votre avis, le niveau minimum scolaire requis pour survivre dans la société ? Quels sont les compétences primordiales que l’on devrait acquérir à l’école ?
3.    Quelle est la valeur de l’école en Afrique d’après l’extrait du texte ?
4.    Commentez l’énoncé que l’école ne vaut même pas « le pet d’une vielle grand-mère. »
5.    Qu’est-ce qu’une « république bananière » ?
6.    Analysez l’énoncé « nègre noir africain indigène ».
7.    Qu’est-ce que » les nègres noirs africains indigènes appellent une galette aux deux faces braisées » ?
…Et trois …
8.    Qui sont les « Malinkés » ?
9.    Quels sont les termes employés par les africains « bien cravatés » ? De quel registre de langue font-ils partie ? Que signifie le terme malinké « faforo » ?
10.    Par quel procédé de style pouvez-vous expliquez l’opposition entre le langage des noirs civilisés et le langage des Malinkés ?
11.    Citez quelques « républiques bananières ». Quels sont, selon vous, les principes qui définissent un Etat démocratique.
…Et quatre …
12.    De quoi Birhaima veut-il s’excuser ?
13.    Comment définit-il « un enfant poli » ?
14.    Pourquoi est-il différent des autres enfants ?
…Et cinq …
15.    Enumérez les titres des quatre dictionnaires utilisés par Birhaima.
16.    Dans quel but se sert-il de ces dictionnaires ?
17.    Quels sont des trois catégories de public auxquelles Birhaima s’adresse ?
18.    Quelle est la spécificité de chaque dictionnaire ?
…Et six …
19.    Pourquoi Birhaima pense-t-il être un enfant « maudit » ?

•    Dressez le portrait de Birhaima en commençant par « la vie avant la vie ».
•    Aimeriez-vous lire ce livre ? Enumérez des raisons pour ou contre la lecture du livre en complétant le tableau ci-dessus :

Raisons pour la lecture du livre:  

-    Vouloir connaître plus sur la vie des enfants en difficulté et notamment sur les enfants soldats
-    Etre captivé par le début du récit, par la vie de Birhaima  

-    ..........
-    ..........
Raisons contre la lecture du livre
-    peur de la dureté du roman
-    être confronté avec la mort, la violence, la cruauté
-    avoir du mal à supporter des descriptions crues
-    ..........
-    ..........

Travail sur la langue :
  1. Relevez quelques fautes de grammaire ou de syntaxe et des façons de parler inhabituelles que vous corrigerez.
  2. En groupes de deux ou trois, cherchez dans le texte des expressions familières, populaires et argotiques. En plenum, inscrivez-les sur un transparent en complétant la liste ensemble et faites des propositions pour traduire les termes en français standard.
  3. Retranscrivez les énoncés suivants en français standard.
    « M'appelle Birahima. Suis p'tit nègre. Pas parce que suis black et gosse. Non! Mais suis p'tit nègre parce que je parle mal le français. C'é comme ça…
  4. Corrigez l’emploi du discours indirect : « … tout le monde a dit que l'école ne vaut plus rien… »
  5. Corrigez : « Suis dix ou douze et je parle beaucoup. »
  6. Existe-t-il dans votre pays (région) des particularités lexicales ? Lesquelles ? Essayez de les traduire en français.

Micro-tâche :
1.    Un apprenant-spécialiste fait une recherche sur l’emploi du terme « parler petit nègre ». Que signifie ce terme ? Quand et dans quel contexte a-t-il été utilisé ? Quelles sont les connotations associées à ce terme ?


III - La mort de sa mère
« Ma maman est morte pour la raison que Allah l’a voulu. Le croyant musulman ne peut rien dire ou reprocher à Allah, a dit l’imam. Il a ajouté que ma maman n’est pas morte par sorcellerie mais par son ulcère. Sa jambe a continué à pourrir à cause qu’il n’y avait plus personne pour la guérir après la disparition de l’exciseuse et de son fils et que sa maladie n’était pas une maladie à soigner dans un dispensaire du blanc. A cause aussi que le temps que Allah lui avait accordé sur terre était terminé. »
Allah n'est pas obligé, Editions du Seuil, septembre 2000, p. 29.

•    Analysez cet extrait du livre en vous focalisant sur les raisons qui ont occasionnées la mort de la mère selon l’avis du protagoniste.

 

Calixthe Beyala, Comment cuisiner son mari à l’africaine, 2000

Calixthe Beyala, camerounaise, installée à Paris depuis 1978, est l‘une des écrivaines africaines contemporaines les plus célèbres. Elle a publié plusieurs essais et à ce jour plus d‘une dizaine de romans. Cette amazone des lettres africaines s‘est affirmée dès son premier roman, C‘est le soleil qui m‘a brûlée (1987), comme une féministe défendant la cause des femmes victimes d‘une société machiste. Calixthe Beyala dénonce la prostitution des filles par leur propre famille et rejette la perpétuation de pratiques rétrogrades, tels l‘excision ou les tests de virginité avant le mariage. Elle s’engage pour la lutte contre le sida et se fait ambassadrice d’une francophonie au pluriel, moderne, humaniste et démocratique.

 Dans son roman « Comment cuisiner son mari à l’africaine » elle raconte la vie d’une jeune Africaine, Aïssatou, qui cherche à ressembler aux femmes blanches qu’elle côtoie pour compenser le malaise sociale et culturelle qu’elle éprouve en France. Elle rejette alors le canon de beauté des belles femmes africaines avec leurs rondeurs pour se glisser dans le corset européen des femmes garçonnets plates comme des planches à pain. Pour séduire un homme il faut cependant savoir dés fois lui concocter un bon repas, la cuisine pouvant être source de volupté, mais aussi de paix et de réconciliation entre les hommes dans un sens plus large.

 

 
Chapitre I - Je me décame la peau avec Vénus de Milo

Moi qui vous raconte cette tranche de ma vie, j’ai quitté mon pays pour apprendre à connaître le monde, parce qu’il y a un temps pour se perdre et un temps pour se retrouver, un temps pour partir et un temps pour regagner ses origines.
Je suis noire, le soleil pourrait vous le confirmer, mais l’exil a bouleversé mes repères. Au fil au fil, je suis entrée dans la dissipation comme on pénètre dans le brouillard, les yeux grands ouverts. Je regarde le ciel et j’imite les Blanches, parce que, je le crois, leur destin est en or ; parce que, je le crois, elles ont une meilleure connaissance du bien et du mal, de ce qui est convenable ou punissable, du juste ou de l’injuste, Parce que, je le crois, elles savent jusqu’où aller et comment s’arrêter.
J’ignore quand je suis devenue blanche, mais je sais que je me décrêpe les cheveux avec du Skin Succès fort.
J’ignore quand je suis devenue blanche, je me desquame la peau avec Vénus de Milo et , dans la même logique, je brime mon corps, jusqu’à le rendre minimaliste : je n’ai as de seins et mes fesses sont aussi plates que la terre, parce que, critères obligent, il convient de plaire aux hommes blancs. Planche à pain égale belle femme. (…)
A cause de l’avenir justement, nous tambourinons dans les gymnases-clubs ; notre beauté volette dans les gros bouillons des saunas ; nous broyons des tonnes de graisse parce qu’avec nos os nous attirons les hommes tels des chiens. Ils halètent, patte en l’air, gloussent, et quand l’un d’eux réussit à attraper l’une d’entre nous particulièrement osseuse, il l’exhibe dans les soirées :
-   Tu connais ma nouvelle amie ? Un vrai mannequin ! chuchote-t-il, excité et satisfait.
Je connais ces moments d’exaltations où les lilas ont des fleurs bleues et les phacochères des poils aussi doux que ceux d’un lapin. Mais plus tard, lorsque mes amants fracassent mes espoirs sur le pare-brise de leurs voitures, parce qu’il est de l’amour comme du temps, ça va, ça va, ça vient, mon visage se déforme et un faisceau de haine jaillit de mes lèvres « Salaud » ! » Je tremble de colère. Ce n’est plus un homme que j’aime, mais le diable haut cornu avec sa queue, ses sabots et ses griffes de léopard. (p.11-14)

Chapitre VI - Un marabout sans boussole
Une Africaine sans marabout est comme un navigateur sans boussole, disent les vieillards. Sans guide spirituel, elle court à sa perte.
J’ai la mauvaise habitude de ne rien manger le matin. (…) J’enfile un jeans et quitte l’appartement. Je marche comme une survivante, les yeux éteints, les mains serrées aux fond de mon blouson noir. Mes cheveux défrisés, que je n’ai pas eu le temps de plaquer, se dressent sur mon crâne en épis. Les stigmates de mon passé sont à mes pieds. Je suis quelque part dans la cambrousse africaine. Je marche sur des sentiers boueux ; des troupeaux d’éléphants braillent ; des flopées de gazelles bondissent sur l’herbe, des rhinocéros aveugles se donnent la chasse, prêts à s’entre-tuer. Je ne m’engouffre pas dans le métro où des gens se bousculent, mais dans une jungle noire (…) J’émerge rue des Couronnes et je suis bien obligée de revenir à la réalité.
(…) mon attitude prouve l’état d’aliénation mentale des Négres dans ce pays de Blancs ; il dit que l’herbe est ce qu’il y a de mieux pour la santé  (…) (p. 43-44)

Chapitre VII
Mon esprit se positionne en véritable fossoyeur de ma personnalité : jusqu’où aller et quand s’arrêter ? Adopter les stratagèmes de séduction à l’africaine : sui-je capable de consacrer trois jours à me confectionner des tresses si fine qu’on les croirait tissées par une machine ? de porter des perles aux hanches, qui cliquettent à chacun de mes pas, afin d’exciter la libido des hommes et de les faire ahaner comme des chiens ? (…) Un homme, fût-il un diamant, mérite-t-il qu’on se casse un ongle ? Je damne le sol et conjure ces cent sept ans de malehru : « Jamais ! » (p. 53-54)

Cf. l’interview avec Calixthe Beyala sur la Francophonie et la littérature africaine. Emission  Sept jours sur la planète : [http://www.youtube.com/watch?v=5-K3W-PBf1k]  6 :30

Calixthe Beyala, Les arbres en parlent encore, 2002

Quatrième de couverture
« Moi, Édène, la fille d'Assanga Djuli, je vous raconterai son histoire qui n'est autre que celle de l'Afrique ramassée entre tradition et modernité. Au fil des nuits, je vous dirai comment il résista, à l'envahisseur avec des bouts de ficelles ; comment ma mère si soumise réussit grâce au fiel de l'ironie à, transcender sa condition. Je vous parlerai de Fondamento de Plaisir, une beauté économe qui trouva un système pour s'en sortir, de Michel Ange de Montparnasse, d'Awono le guérisseur; du très élégant et parfois très sale père Wolfgang, de Chrétien n°l, le premier baptisé du village, d'Opportune de Sainte Guinée, de Zoa l'homme léopard, des Issélés, des Issogos, des Étons et de leurs guerres... »

 

Calixthe Beyala, C‘est le soleil qui m‘a brûlée, 1987


Tuer l‘époux machiste, un meurtre symbolique
Que fais-tu, chérie ? interroge-t-il d‘une voix ensommeillée. Viens donc près de moi.
-    Je rentre.
-    Hors de question, ma belle, dit-il en se redressant sur un coude. J‘ai payé ton ventre pour la nuit.
-    Il a rempli son rôle.
-    Tu dois tenir tes engagements. Ton corps m‘appartient jusqu‘à l‘aube. Un autre jour, ajoute-t-il, j‘aurais pu te laisser partir. Mais, ce soir, j‘ai besoin de l‘empreinte d‘une femme dans mon lit.
-    Je ne peux pas.“
Déjà, elle s‘habille, il bondit du lit et lui saisit les poignets.
„Lâche-moi !
- Non, petite putain ! Je ne te laisserai pas avant d‘avoir...“
Moi qui vous raconte cette histoire ... Je vois la femme déployer ses ailes, cracher le sperme aux pieds de l‘homme, lui balancer un lourd cendrier de cuivre sur le crâne. Je le vois tanguer plusieurs fois devant l‘assaut répété de la femme, puis se fracasser par terre. ...
[Stock 1987, (Albin Michel), cité dans Chevrier, 2002, Anthologie africaine I, p. 210-212]

•    Modifiez et « gonflez » le texte, puis jouez le dialogue.

 
La prostitution, une assurance vie pour la famille
La vieille la mère s‘impatientait, piaffait.
„Dépêche-toi, sinon tu vas le louper.
-    Calme-toi Mâ. Même si je suis en retard, il m‘attendra.
-    Il faut en profiter ma fille, parce que, quand le temps va te manger, hé hé... Personne ne va plus t‘attendre. Même pas un chien.“
Je l‘écoutais, je me voyais en ruine, un épouvantail qui éloignait même les vautours. ...
Je la conduisais au fauteuil le plus proche. Elle se laissait choir et éclatait en sanglots.
„Qu‘est-ce que je vais devenir ma fille, qu‘est-ce que je vais devenir?
-    Tant que mon cul marche, pas de problèmes.
-    Tu ne me laisseras pas seule, hein ma fille?
-    Non, Mâ.
-    Jure.
-    Je te le jure.“ ...
Elle encore, elle avait son ciel au bout.
Moi, je devais continuer mon œuvre. Comploter mon charme. De l‘argent, de l’argent pour la vieille. Plaire. Plaire. Plaire. ... Je le haïssais. Je le traînais dans les rues, cafardeuse, l‘attention braquée sur ces cohortes d‘hommes, adolescents, jeunes, vieux, ces hommes incapables de monter du cul au cœur. Impuissants de sentiments. Rien que le sexe levé telle une baguette magique. Je passais, je les comptais. Un. Deux. Trois mille. Tumeur des villes. Crasseux. Graisseux. Ils surgissaient dans mon champ visuel, herbus, ridés, imberbes. Ils se relayaient autour de moi, sur moi ... Travail à la chaîne.
[Stock 1987, (Albin Michel), cité dans Chevrier, 2002, Anthologie africaine I, p. 213-214]

 

Calixthe Beyala, Le petit prince de Belleville, 1992

Assurer un descendant

Je suis un homme et Dieu m’a créé à son image. Et si lui, le tout puissant, a procédé aux partages des eaux, à la division de son peuple en douze tribus pour garantir sa pérennité, moi son fils, fidèle à sa volonté, fidèle à son esprit, j’assure ma descendance en misant sur plusieurs femmes, pour être certain qu’à la fin des temps, quand sonnera l’heure de la mort, j’aurai un descendant. Là s’explique la nécessité pour tout homme d’être polygame. (p. 49)

Cf. aussi « Les lions indomptables », 2010


 

Fatou Diome, La préférence nationale, 2001

C’est à travers sa représentation romanesque que l’écrivaine franco-sénégalaise, Fatou Diome, née en 1968 à Niodior au sud-ouest du Sénégal, dépeint les crises interculturelles d’identité de la femme africaine qui souffre du décalage entre la nostalgie de son enfance et la discrimination qu’elle rencontre à son arrivée en France.

Dans son recueil de nouvelles de 2001 « La préférence nationale » qui est le slogan d’un parti d’extrême droite, elle raconte sous des traits fortement autobiographiques ses difficultés d’intégration à Strasbourg en tant qu’étudiante sénégalaise. Lorsqu’elle se présente avec sa peau noire pour un emploi de caissière, de femme de ménage ou de garde d’enfants elle est traitée d’une manière humiliante parce qu’elle est considérée comme inférieure à cause de sa couleur. Dans une société qui la dénigre, Fatou Diome démasque les préjugés ignobles des anciens colonisateurs en déqualifiant et ridiculisant  ceux  qui cherchent à l’humilier.

I - Le visage de l’emploi
   Confortablement installé, elle me regarda venir après que sa gamine n’eut ouvert la porte.
-    Tu as trouvé la maison ? me dit-elle.
-    Bonjour madame, dis-je, en lui serrant la main »
   Sans me lasser le temps de donner une réponse à sa question, qui n’en méritait pas, elle enchaîna :
-    Ah, je ne m’étais pas trompée, à ton petit accent au téléphone, j’ai compris que tu étais africaine, mais c’est mignon ! »
   Je commençais à me méfier. Ces bonnes femmes-là, quand elles disent c’est mignon avec ce ton nasillard, il faut comprendre : c’est affreux.
   Devant mon silence, elle m’allongea en balançant la tête d’un air minais :
-    Toi y en a bien comprendre madame ?
-    Oui madame, répliquai-je, en me retenant de sourire. (…)

-    Chéri, c’est une fille venue pour la garde des enfants. » (…)
-    Mais qu’est-ce que tu veux qu’on fasse avec ça ? C’était donc ça.
   C’est pour cela qu’on me regardait comme ça. Je n’étais pas moi avec mon prénom, ni madame, ni mademoiselle, mais ça. J’étais donc ça et même pas l’autre. (p. 64-67)
  
Fatou Diome (2001), « Le visage de l’emploi », dans : La préférence nationale, Paris : Présence africaine, p. 61-78.


II - Cunégonde à la bibliothèque
Monsieur Dupire semblait l’ignorer jusqu’au jour où il rencontra Cunégonde à la Bibliothèque nationale de Strasbourg.
   Je consacrais mes journées sans ménage à mes études. Et comme le samedi matin je n’avais ni ménage ni cours, je me rendais à la bibliothèque. C’était un rituel paisible qui me tenait à cœur. Je pouvais y rencontrer mes camarades de faculté et me sentir un peu étudiante. La bibliothèque était la  bulle étanche où la Javel ne pouvait venir chatouiller mes narines … Alors que je sortais de la salle de lecture des microfiches, une voix familière m’interpella :
-    Vous, ici ? Mais que faites-vous ici ? »
C’était monsieur Dupire qui me dévisageait, la moustache dressée, les yeux exorbités. Je me composai une sérénité et lui répondis d’une voix calme :
-    Comme vous, monsieur, je cherche des livres.
-    Mais enfin, dit-il, pour qui, pourquoi ?
-    Pour moi monsieur, pour les lire, lui dis-je.
-    Mais enfin, dit-il, seriez-vous étudiante ?
-    Oui, répondis-je.
-    En quoi ? continua-t-il.
-    En lettres modernes.
-    Oui, mais en quelle année, ajouta-t-il, saisi d’un besoin soudain de m’évaluer.
-    En D.E.A., lui dis-je.
-    - Mais, mais, bafouillait-il, vous ne m’aviez pas dit que…
-    Non, lui coupai-je sa phrase, celle qui vient chez vous, on lui demande juste d’être une bonne femme de ménage, et c’est ce que je suis, je crois. »
Il inspira un grand coup et poursuivit :
-    Vous auriez dû me dire que…
-    … que ? repris-je gaiement, qu’avant de laver des écuelles sur le bord de la Propontide, Cunégonde aimait écouter les leçons du professeur Pangloss, ou que la serpillière dessèche le carrelage et non le cerveau ? » …
Dupire venait de comprendre qu’aucune de ses goujateries n’avait échappé à ma cervelle de femme de ménage qu’il supposait peu élastique.
Le dimanche après-midi mon téléphone sonna.
-    Allô dit une voix féminine, c’est madame Dupire ; je voulais vous dire que pour les semaines à venir, nous n’aurons pas besoin de vos services ; mais ne vous faites pas ; nous vous recontacterons… (p. 108-110)

Fatou Diome (2001), « Cunégonde à la bibliothèque », dans : La préférence nationale, Paris : Présence africaine, p. 97-111.


Fatou Diome, Le ventre de l’Atlantique, 2003

Destins contrastés : La marche occidentale vers la réussite et Les nouvelles chaînes de l’esclavage
I - La marche occidentale vers la réussite


Voilà bientôt dix ans que j’ai quitté l’ombre des cocotiers. Heurtant le bitume, mes pieds emprisonnés se souviennent de leur liberté d’antan, de la caresse du sable chaud, de la morsure des coquillages et des quelques piqûres d’épines qui ne faisaient que rappeler la présence de la vie jusqu’aux extrémités oubliées du corps. Les pieds modelés, marqués par la terre africaine, je foule le sol européen. Un pas après l’autre, c’est toujours le même geste effectué par tous les humains, sur toute la planète. Pourtant, je sais que ma marche occidentale n’a rien à voir avec celle qui me faisait découvrir les ruelles, les plages, les sentiers et les champs de ma terre natale. Partout, on marche, mais jamais vers le même horizon. En Afrique, je suivais le sillage du destin, fait de hasard et d’un espoir infini. En Europe, je marche dans le long tunnel de la performance qui conduit à des objectifs bien définis. Ici, point de hasard, chaque pas mène vers un résultat escompté ; l’espoir se mesure au degré de combativité. Ambiance Technicolor, on marche autrement, vers un destin intériorisé, qu’on se fixe malgré soi, sans jamais s’en rendre compte, car on se trouve enrôlé dans la meute moderne, happé par le rouleau compresseur social prompt à écraser tous ceux qui s’avisent de s’arrêter sur la bande d’arrêt d’urgence. Alors, dans le gris ou sous un soleil inattendu, j’avance sous le ciel d’Europe en comptant mes pas et les petits mètres de rêve franchis. Mais combien de kilomètres, de journées de labeur, de nuits d’insomnie me séparent encore d’une hypothétique réussite qui, pourtant, va tellement de soi pour les miens, dès l’instant que je leur ai annoncé mon départ pour la France ? (…)
Le bruit de la télévision me sort de ma rêverie. Chaque fois que les reporters crient le nom de Maldini, un visage se dessine sur l’écran. A quelques milliers de kilomètres de mon salon, à l’autre bout de la Terre, au Sénégal, là-bas, sur cette île à peine assez grande pour héberger un stade, j’imagine un jeune homme rivé devant une télévision de fortune pour suivre le même match que mois. Je le sens près de moi…. Cet après-midi du 29 juin 2000…. (p. 13-15)

Il me fallait « réussir » afin d’assumer la fonction assignée à tout enfant de chez nous : servir de sécurité sociale aux siens. Cette obligation d’assistance est le plus gros fardeau que traînent les émigrés. (p. 44)

  • Analysez la phrase : « Il avait été un nègre à Paris et s’était mis, dès son retour, à entretenir les mirages qui l’auréolaient de prestige. Idem, p. 88.


II - Les nouvelles chaînes de l’esclavage

Clôturés, emmurés
Captifs d’une terre autrefois bénie
Et qui n’a plus que sa faim à bercer

Passeports, certificats d’hébergement, visas
Et le reste qu’ils ne nous disent pas
Sont les nouvelles chaînes de l’esclavage

Relevé d’identité bancaire
Adresse et origines
Critères de l’apartheid moderne

L’Afrique, mère rhizocarpée, nous donne le sein
L’occident nourrit nos envies
Et ignore les cris de notre faim

Génération africaine de la mondialisation
Attirée, puis filtrée, parquée, rejetée, désolée
Nous sommes les Malgré-nous du voyage.
(p. 216-217)

 

III - L’autel de la maternité à l’heure de la mondialisation

Le nombre d’enfants dans le village est impressionnant. Presque toutes les femmes en âge de procréer se promènent avec un bébé sur le dos ou sous la robe. Les petits tombent du ciel, pluie de bonheur ou nuée inquiétante de sauterelles, c’est selon. Certaines familles ont de quoi constituer chacune une équipe de football avec ses remplaçants. Les polygames, à cœur-quadrige, eux, pourraient même s’offrir le luxe d’abriter des tournois à domicile. …
Qu’adviendrait-il de ces déferlantes de progéniture ? Tous ces régiments bientôt décimés sur la zone rouge du tiers-monde, par le sida, la dysenterie, le paludisme et les bazookas économiques dirigés vers nous depuis l’Occident. … Sur la balance de la mondialisation, une tête d’enfant du tiers-monde pèse moins lourd qu’un hamburger. Et les femmes persévèrent ! Aveugles ou aveuglées, elles courent au sacrifice, sur l’autel de la maternité, à la gloire d’un dieu qui ne leur a donné que des ovaires pour justifier leur existence. … Artisanes fatalistes, les mères sans cesse fabriquent et sans cesse remplacent de nombreux petits soldats qu’elles voudraient de plomb afin qu’ils résistent aux dents acérées de la pauvreté. (p. 184-186)

Fatou Diome (2003), Le ventre de l’Atlantique, Paris : Anne Carrière / Poche.

 

Fatou Diome, Celles qui attendent, 2010

Les illusions et les sirènes de l’Europe poussent de plus en plus de démunis à l’immigration.

Embarqué clandestinement sur une pirogue, deux jeunes partent pour l’Europe : « réussir comme les autres et améliorer notre sort. » (p. 66) L’Europe devient alors leur seul horizon : « gagner assez d’argent pour ne plus se contenter de rêves d’occasion. Et ceux qui les attendaient au village comptaient sur eux, en formulant le même vœu. » (p. 153)

Celles qui attendent, ce sont les mères des deux émigrés qui veillent sur leurs proches attristées par l’absence de leur fils. Celles qui attendent aussi, ce sont les jeunes épouses qui attendent un avenir meilleur, mais pendant l’attente elles sont exposées aux rumeurs ravageuses et aux poids des coutumes. - Combien de temps ces femmes vont-elles attendre ?

« Pendant que les expatriés souffraient du froid, logeaient dans des squats miteux, couraient les soupes populaires, risquaient leur vie pour des emplois de forçats, dribblaient les pandores lancés à leurs trousses, hantaient les zones de rétention, s’adonnaient aux amours de circonstances, larmoyaient devant les avocats commis d’office qui leur obtenaient des délivrances momentanées, les jeunes restés au village, portés par une liberté qu’on ne sent que chez soi, travaillaient vaillamment et contribuaient à l’essor du pays. » (p. 244-245)

 


 

Henri Lopes, Ma grand-mère bantoue et mes ancêtres les Gaulois, 2003

Les indépendances et l’Afrique du Pleurer-Rire


I - Demander des comptes aux potentats africains

   L’ordre colonial s’est établi en emprisonnant, en massacrant, en brûlant des villages, en déportant, en déniant aux indigènes les droits proclamés par la Révolution française. Malgré ce martyrologue les potentats authentiquement africains ont fait pires. Ils ont battu le record de victimes en brutalisant et éliminant leurs propres concitoyens.
   Politiciens rompus à la dialectique, nous avons attribué la responsabilité de nos échecs à l’extérieur : nos déboires économiques étaient tantôt considérés comme les séquelles de la traite négrière et du colonialisme, tantôt imputés aux machinations de l’impérialisme. Quant aux répressions, nous les avons légitimées en invoquant un souci de stabilité afin de rassurer les investisseurs et les donateurs étrangers. …
   Aujourd’hui, la jeunesse africaine ne mord plus à la théorie du bouc émissaire. Elle demande des comptes sur la gestion des aînés. (p. 38-39)

II - Des régimes paranoïaques
   Sans doute, les trente années d’indépendance ont-elles permis des avancées… En de nombreux domaines, la situation est meilleure qu’elle ne l’était à l’heure coloniale. Mais il n’est pas moins vrai que pour beaucoup de nos concitoyens la vie est pire qu’alors.
   Après une brève expansion durant la première décennie, les économies se sont tassées dans les années soixante-dix, avant de s’effondrer durant les deux décennies suivantes. La situation sociale et culturelle a automatiquement subi les contrecoups de cette débâcle.
   Alors que le combat pour la dignité avait été le ressort premier des luttes contre le statut de l’indigénat, puis contre le système colonial, l’indépendance allait donner naissance à des régimes paranoïaques où le continent connaîtrait les plus grandes atteintes aux droits de l’homme. Ce fut ce que j’ai nommé l’Afrique du Pleurer-Rire avec ses bouffons sanglants. Les prototypes célèbres, modèle Bokassa ou Idi Amin Dada, ont voisiné avec les dictateurs sérieux et séducteurs, mais tout aussi sanglants (tel Sékou Touré) ou d’autres apparemment plus équilibrés, mais non moins nocifs. (p. 36-37)

Henri Lopes, Le Pleurer-Rire, 1982

Portrait du guide
Qui oubliera l’entrée du maréchal Hannibal-Ideloy Bwakamabé Na Sakkadé, président de la République, chef de l’Etat, président du Conseil des ministres, président du Conseil national de résurrection nationale, père recréateur du Pays … Les applaudissements fusèrent spontanément. Spontanément, je vous l’assure. Je l’ai vu de mes yeux vu, j’y étais. Tonton est un dictateur, d’accord, mais le peuple aime l’applaudir, comme s’il avait besoin de lui. Pourtant, le jeune compatriote ancien directeur de cabinet, ancien élève de Sciences Po, ne cesse d’affirmer que le peuple souffre de sa tyrannie ; que le peuple se réveillera, car le peuple aime la révolution et qu’il a des traditions de résistance à l’oppression ; que le salut du Pays réside dans le peuple seul ; qu’il n’y a pas de sauveur suprême ; que le peu… Pourtant, je vous le jure en me coupant le cou de l’index, il y a des moments où le peuple ovationne Tonton avec la même spontanéité que s’il s’agissait du roi Pelé.
[Présence Africaine, 1982, cité dans Chevrier, 2002, Anthologie africaine I, p. 190-191]


Mes trois identités
Je ne suis pas un Congolais typique. Ni mon nom ni ma couleur n’indiquent mon identité. Et c’est bien ainsi, comme vous je descends du chimpanzé.
   Je suis fier d’être un SIF, un Sans Identité Fixe.
   De fait, je me réclame non d’une mais de trois appartenances. Trois, pour faciliter ma présentation, car mille serait plus juste. Disons, pour ne pas nous perdre dans un débat oiseux, que je regroupe mes mille et une identités en trois catégories.
   La première, mon identité originelle, me rattache aux ancêtres de ma terre natale. …
   Pour un ancien colonisé, l’identité originelle n’est jamais acquise. Nous devons chaque jour repartir à la quête de nos racines. Les manuels scolaires où je devais mémoriser l’épopée de Roland et de mes ancêtres les Gaulois ne consacraient aucune ligne aux ancêtres que ma grand-mère m’apprenait à mémoriser, les Bantous. …
   Le culte prononcé de l’identité culturelle, originelle, nationale ou religieuse, induit l’obscurantisme, le fondamentalisme et les politiques d’exclusion. Au lieu de restituer le passé dans sa réalité, où des zones d’ombres côtoyaient celles de lumière, elles le peignent comme un âge d’or vers lequel revenir. Il n’y a pas de paradis perdu, il est à conquérir, à édifier. Depuis des millénaires, le genre humain n’a cessé de se dégrossir, de dompter la bête tapie en nous, de se bonifier en assimilant des apports extérieurs. Nos civilisations étaient riches de sagesse, mais elles possédaient, comme toutes les cultures, des zones de barbarie. … Sans la complicité de certains de nos ancêtres, la traite négrière n’aurait jamais fait d’aussi gros profits. Nous protons la responsabilité de cet odieux système tout autant que les trafiquants venus d’au-delà des mers. …
A force de rêver nos identités et d’idéaliser l’histoire de nos communautés, nous avons transformé le présent en cauchemar.
   Les droits de l’homme n’ont progressé que sous l’action de penseurs et d’écrivains capables de se hisser au-dessus de leur communauté. …

Ma deuxième identité est mon identité internationale. Alors que l’identité originelle s’assume, celle-ci constitue un acte volontaire par lequel je passe de la communauté familiale à la communauté des esprits. …
Au-delà du Congo, je mes sens africain. Les  ouvrages de Senghor, de Chinua Achebe, de Wole Soyinka ou de Ben Okri me concernent et m’aident à mieux comprendre mes compatriotes congolais. Ce n’est pas trahir la négritude que déclarer africains des hommes à la peau blanche. C’est reconnaître la complexité de la réalité. Car l’Afrique n’est pas une race, elle est plus qu’un continent, elle est un processus évolutif et continu. L’Afrique doit devenir une idée généreuse.
   Et par-delà le continent, je me sens solidaire de la famille francophone, de tous ces écrivains auxquels j’accède sans intermédiaire parce que nous avons en partage une complicité d’expression. …
   Au-delà de la francophonie, je me sens solidaire de la diaspora noire des Amériques et des Antilles …
   Aux temps de la lutte coloniale et au cours des premières années de la construction nationale, je me faisais un point d’honneur de brûler les livres d’histoire qui prétendaient que mes ancêtres étaient les Gaulois.
   Aujourd’hui, je proclame que, tout bien considéré, à côté de mes ancêtres bantous, je possède aussi des ancêtres gaulois. Mieux, je les revendique. Il ne s’agit évidemment pas de Vercingétorix, mais d’Homère, de Platon, d’Ovide, de Montaigne, de Montesquieu, de Voltaire, de Jean-Jacques Rousseau, de Flaubert, de Goethe, de Heine, de Shakespeare, de Rainer Maria Rilke, de Proust, de Camus, mais je m’essouffle et j’en oublie. …
   J’ai longtemps cru que le multiculturalisme était le lot du métis, la marque de sa bâtardise, sa rouelle. En fait, c’est le lot commun : les écrivains ressemblent plus à leurs frères qu’à leurs pères. A la limite, le concept de littérature nationale est discutable. … Une littérature inspirée seulement par le tam-tam du village natal subirait le même destin que ces familles qui, par prétention contre l’étranger, pratiquent le mariage consanguin. Elle ne dépasserait pas le niveau du provincialisme, se scléroserait et, faute d’oxygène, dépérirait.

Ma troisième identité, celle qui constitue la signature de l’écrivain, est mon identité personnelle. Lorsqu’une littérature se trouve dans une période de lutte d’indépendance ou de construction nationale, elle a tendance à mettre l’accent sur l’identité nationale et à noyer l’identité individuelle. L’individu s’identifie à sa communauté et n’existe que par elle seule. …
   Naguère, chaque fois que nous effleurait la tentation de dénoncer les dévoiements de l’identité nationale ou les dictatures dissimulées derrière la bannière de la patrie, nous nous réfrénions, de crainte, pensions-nous, de faire le jeu de l’ancien colonisateur ou de l’impérialisme. La formulation de la moindre critique sur les politiques inacceptables de nos dirigeants comme sur les coutumes et les comportements désuets de nos concitoyens nous rendait passibles de conseil de guerre. Nous nous prenions pour des paladins sans tache et sans reproche tandis que l’Europe et l’Amérique devaient être globalement inculpées de mille péchés mortels. A l’exercice de cette forme de « centralisme démocratique », nous avons fait le jeu des autocrates auxquels nous avons servi d’alibi. Au nom du droit des peuples, nous avons étouffé les droits humains.

Trois identités, donc, trois cordes d’une même guitare, qu’il s’agit de pincer, isolément l’une de l’autre, ou deux, ou toutes, ensemble, en veillant à n’en casser aucune, pour ne pas que la musique perde son harmonie.

Henri Lopes (2003) : « Mes trois identités ». Dans : H.L. : Ma grand-mère bantoue et mes ancêtres les Gaulois. Paris : Continents noirs, Gallimard, p. 11-20.



Alain Mabanckou, Mémoire de porc-épic, 2006

I Emerveillé par les fables de la Fontaine et les contes africains et reprenant librement une légende populaire selon laquelle chaque être humain possède un double animal qui l’accompagne jusqu’à sa mort, Alain Mabanckou, porte-parole de la littérature africaine et notamment congolaise, met en question le comportement de l’homme sous forme d’un conte ou d’une fable philosophique. L’alter ego humain, un certain Kibandi, jeune homme frustré et animé d’une folie meurtrière, contraint son double, le porc-épic et esclave de l’homme, à satisfaire sa folie sanguinaire en le contraignant à commettre toute une série de meurtres rocambolesques à l’aide de ses redoutables piquants. L’animal qui s’est réfugié au pied d’un baobab, confesse à cet arbre ses aventures que son double nuisible lui a infligées. C’est à travers ses identités multiples que l’auteur pose la question du sens de l’existence humaine et de la vie de l’homme.

Le double de l’homme


II   donc je ne suis qu’un animal, un animal de rien du tout, les hommes diraient une bête sauvage comme si on ne comptait pas de plus bêtes et de plus sauvages que nous dans leur espèce, pour eux je ne suis qu’un porc-épic…
à vrai dire, je n’ai rien à envier aux hommes, je me moque de leur prétendu intelligence puisque j’ai moi-même été pendant longtemps le double de l’homme qu’on appelait Kibandi et qui est mort avant-hier, moi je me terrais la plupart du temps non loin du village, je ne rejoignais cet homme que tard dans la nuit lorsque je devais exécuter les missions précises qu’il me confiait… (p.11-12)
j’ai quarante-deux ans à ce jour, je me sens encore très jeune, et si j’étais un porc-épic comme ceux qui traînent dans les champs de ce village je n’aurais pas eu une aussi longue vie (…) nous pouvons au mieux vivre jusqu’à vingt et un ans lorsque nous sommes en captivité, mais quel intérêt de passer sa vie en réclusions tel un esclave, quel intérêt d’imaginer la liberté derrière des fils barbelés, je sais que certain animaux paresseux s’y complairaient, allant jusqu’à oublier que la douceur du miel ne consolera jamais de la piqûre d’abeille, moi je préfère les aléas de la vie en brousse aux cages dans lesquelles plusieurs de mes compères sont séquestrés pour terminer un jour ou l’autre en boulettes de viande dans les marmites des humains… (p.13)
je n’ai pas assisté à la naissance de Kibandi comme ces doubles qui naissent le même jour que l’enfant qu’ils verront grandir, ceux-là sont des doubles pacifiques… [ils] mènent une vie monotone, je ne sais d’ailleurs pas comment ils supportent une telle existence, ils sont mous, lents … disons qu’ils protègent l’être humain, le guident, tracent les sillons de son existence, meurent comme nous le même jour que leur maître…
j’appartiens plutôt au groupe des doubles nuisibles, nous sommes les plus agités des doubles, les plus redoutables, les moins répandus aussi, et comme tu peux le deviner la transmission d’un tel double est plus compliquée, plus restreinte, elle s’opère au cours de la dixième année du gamin, encore faut-il parvenir à lui faire avaler le breuvage initiatique appelé mayamvumbi, l’initié le boira régulièrement afin de ressentir l’état d’ivresse qui permet de se dédoubler, de libérer son autre lui-même, un clone boulimique sans cesse en train de courir, de cavaler … (p. 15-17)

Alain Mabanckou (2006) :  Mémoire de porc-épic. Paris : Editions du Seuil/ Points.

Autour des deux textes


1.    Lecture silencieuse.
2.    Un apprenant sera chargé de présenter brièvement l’auteur. Par quels genres littéraires s’est-il laissé inspirer ?
3.    Surlignez toutes les idées en relation avec a) le porc-épic, et b) Kibandi.
4.    Remplissez le tableau et élucidez le problème du « double animal «  de l’homme.

Le porc-épic
Kibandi          



5.    Qui est le narrateur du récit ?
6.    Comment le porc-épic se présente-t-il ?
7.    Analysez sa critique de l’homme énoncée au début du récit.
8.    Quelles différences y a-t-il entre les porcs-épics vivant en captivité et ceux vivant en liberté ?
9.    En trois groupes :
       a.    Caractérisez les doubles pacifiques
       b.    Caractérisez les doubles nuisibles
       c.    Décrivez les étapes de transmission permettant à un enfant de se dédoubler
10.  Pensez-vous, personnellement, qu’un « génie » (cf. Camara Laye) ou un « double » existe ou renvoyez-vous cette idée au royaume des enfants et des contes ?


Créativité, au choix

11.    Glissez dans la peau d’un animal, décrivez votre environnement et vos activités de double pour un homme dont vous dresserez également le portrait. Puis présentez-vous au public en contant votre histoire. Serez-vous plutôt un double pacifique ou nuisible ? a) Je suis un renard qui vit dans une forêt près de … b) Je suis le double d’un homme qui … c) Ce soir je dois obéir à ses ordres. Je sens ses pensées qui me dictent d’aller d’abord à …
12.    Imaginez que vous êtes un homme avec un double animal. Brossez d’abord votre portrait, puis celui du double animal. Quelles sont les actions que vous lui demanderez d’exécuter ? Inventez une petite histoire « téléguidé » : a) Je m’appelle …  b) Mon double est un serpent … c) Ce soir, tu iras chez …
 

Alain Mabanckou, Demain j’aurai vingt ans, 2010

Pointe-Noire, capitale économique du Congo, dans les années 1970. Le narrateur, Michel, est un garçon d’une dizaine d’années qui fait l’apprentissage de la vie, de l’amitié et de l’amour, tandis que le Congo vit sa première décennie d’indépendance sous la houlette de « l’Immortel Marien Ngouabi », chef charismatique marxiste.

Ce dernier roman d’Alain Mabanckou illustre parfaitement bien la mutation de l’écriture africaine de la diaspora au début du 21ème siècle. A l’heure de l’africanité-mondialisation l’altérité littéraire dépasse sa vision manichéenne pour s’ouvrir sur une identité transnationale et transculturelle (transidentité). Les protagonistes du roman se définissent par des manifestations pluridentitaires et pluriculturelles pour s’inscrire dans l’universel.
(Alain Mabanckou (2010) : Demain j’aurai vingt ans. Paris : Gallimard)

Cf. Alain Mabanckou s'entretient avec Sylvain Bourmeau à l'occasion de la parution de son roman « Demain j'aurai vingt ans », 2010 : [http://www.dailymotion.com/video/xe6735_alain-mabanckou-demain-j-aurai-ving_news] 9 :11

 


 

Wilfried N’Sondé, Le cœur des enfants léopards, 2007

Soupçonné de meurtre un jeune homme se retrouve dans une cellule de prison sans se rappeler ce qui s’est passé. De mémoire, il retrace sa vie dans une cité de la région parisienne loin de ses origines congolaises et des traditions de ses ancêtres. Dans le brouillard de ses pensées il aborde une réflexion sur sa vie de « banlieue » et son enracinement en Afrique qui le mène aux interrogations identitaires des immigrés africains, déracinés et sans repère, dont il dresse le portrait.

N’Sondé rejette cependant l’étiquette qui le cataloguerait comme « écrivain de banlieue »  parce que Neuilly se trouve aussi dans la banlieue, mais la pauvreté, on la rencontre partout. « Quand on me dit « écrivain de banlieue », j’entends : « voilà quelqu’un qui vient d’un milieu pauvre et qui est issu de l’immigration ». C’est effectivement ce que je suis, un immigré d’Afrique noire, pauvre, vivant en Europe. Si c’est cela être un écrivain de banlieue, alors oui je le suis. » Selon l’auteur le roman aurait pu se dérouler aussi à Berlin, à Bamako ou dans un faubourg de Shanghai.

La traduction du mot « Kongo » veut dire « léopard », et ces enfants de banlieue qui sont parqués dans les quartiers les plus pauvres ont la rage dans l’âme, mais aussi la noblesse au cœur lorsqu’ils se débattent en quête du sens de leur vie. L’auteur rejette l’idée d’une double culture qui aurait fait de lui un zèbre, moitié Congolais, moitié Français – et maintenant allemand. La métamorphose culturelle est plutôt un phénomène transidentitaire et évolutif qui recompose la personnalité sans cesse malgré les différences et les déchirures. Changer, c’est apprendre de l’Autre parce qu’on s’entre-influence et crée quelque chose de nouveau, une sorte de « culture mosaïque ».

Pour son premier roman « Le cœur des enfants léopards » l’auteur, né en 1968 au Congo-Brazzaville, émigré à Paris en 1973 et vivant à Berlin depuis la chute du Mur en 1989, a reçu le Prix des Cinq continents de la francophonie et le Prix Senghor de la création littéraire. Le roman a fait de l’auteur la voix de la nouvelle génération d’immigrés.

I
Des questions, toujours des questions, il ne s’arrêtera donc jamais ! J’ai énormément de mal à comprendre où je suis. Le capitaine hurle ses questions dans ma tête qui ne peut pas tout saisir correctement, il est tard et j’ai trop bu, trop fumé, qu’il s’arrête ! Peut-être ne se rend-il pas compte que je ne suis plus en mesure de lui répondre. Ouvrez au moins une fenêtre, s’il vous plaît ! Non, il s’entête, et que je la ferme bordel, je suis en garde à vue ! Je peine. Dans mon brouillard la silhouette de l’ancêtre, hors de lui !
C’est pas pour ça que tu es venu en France mon fils ! J’ai peur des interrogations, des années de questions qui encombrent mon cerveau. T’es qui ? Tu viens d’où ? T’as bien travaillé à l’école ? C’est comment ton pays ?
Egaré dans un tourbillon d’images désordonnées, des pensées floues me reviennent, elles défilent au galop. Ce sont, je suppose, des éclats de ma vie. J’y aperçois l’ancêtre se lever, il se tient maladroit. Autour de lui, une nuée d’esprits de bonté. Halluciné, son regard s’est perdu quelque part au-delà des vivants, ses mots, eux, je les entends encore très bien… (…)
N’oublie pas l’histoire, d’où tu viens, où tu vas, rappelle toi toujours la brousse, la jungle, les léopards, nos esprits qui appellent et agissent jusqu’au-delà des chaînes de la servilité. Ils sont grands, puisqu’ils ont vaincu la mort. Ecoute avec la peau pour entendre les images, plonge-toi tout entier en elles, elles te guideront, géomètres fidèles et infatigables.
Solennel et digne, il lève sa chemise et découvre la tache brun clair imprimée sur sa peau, au niveau des reins, parce qu’un léopard noir et féroce l’a léché un jour, tout comme il a, avant lui, accepté son père comme l’un des siens par le même geste. Mon grand-père, chasseur mythique, on dit qu’il pouvait faire uriner un fauve de peur, tant il avait la colère terrible. Quand son courroux tonnait au village, c’est toute une région qui baissait la tête, animaux et Blancs inclus.
Sache que les léopards furent les maîtres du pays longtemps avant nous, d’abord ils nous ont chassés sans pitié, puis un jour… Nul ne le sait plus vraiment, mon fils laisse la logique dans ton costume et tes chaussures bien cirées. On ne peut l’expliquer plus exactement ni ici ni ailleurs, mais une chose est sûre, l’on retrouva certains d’entre nous dans la brousse et la jungle. D’autres perchés au plus haut d’arbres centenaires, tous nourris à la mamelle de fauves protecteurs, le regard franc et doux, caressés par leurs pattes de velours et de mort. C’est alors qu’a commencé notre histoire, le pays kongo.  (…)
L’ancêtre en rajoute. Que dirait ton grand-père ? Le courageux, têtu, il a fui l’enfer du Congo-Océan, l’hécatombe, tous les jours des morts ! Oui missié, dynamite dans l’anus, au travail tas d’culs noirs fainéants ! Tout ça pour que tu finisses dans la nuit au poste de police à ne plus savoir parler, la tête dans tes mains. Fais pas l’enfant, il est trop tard !
(p. 11-16)

II
Suivez-nous sans faire d'histoires maintenant, pour l'instant vous gardez les menottes. J'imagine déjà la tête du capitaine charognard, son air à tout vouloir savoir de moi, ce qui s'est passé, t'avoues n'importe quoi, ça le rassure, bon travail officier, très bon pour son ulcère. Rien que d'y penser, j'en suis déjà épuisé, pas même une fenêtre pour respirer et voir le jour. Quelle heure est-il ? Pourquoi veulent-ils tous que je réponde toujours quelque chose de sensé ? Tu viens d'Afrique ? Tu as pensé à ton avenir ? Tu n'as plus aucune raison d'avoir peur, je suis maintenant menotté entre quatre uniformes, à me battre tout seul avec ma défonce, j'avance tel un zombie, rancard chez la charogne à toute heure du jour ou de la nuit. La police, pourquoi je te dérange autant que ça ? Papiers d'identité, à croire que je t'inquiète, carte de séjour, ah bon vous êtes français ? Délit de faciès, vide tes poches t'as un couteau sur toi ? Tu te défends comment ? (p.33-34)


Wilfried N’Sondé, Septembre d’Or, 2011

Dans son journal intime, Malik parle de sa vie au Sénégal, du brusque voyage à Paris et du rendez-vous avec son père, qui habite en France depuis plus longtemps. Très vite, il note que la vie en France n'est pas si simple que ça et que l'intégration, bien qu'il sache parler français, est plus difficile qu'il ne l'aurait cru. La France se présente d'abord comme un monde gris et froid.
N'Sondé lit "Septembre d'Or" lors de la journée franco-allemande organisée à la mairie de Fellbach, le 24 janvier 2011 : [http://www.youtube.com/watch?v=0_kYyXTT92c] 12:45




Photo : Le Ministre-président de Bade-Wurtemberg, M. Stefan Mappus, et l’auteur Wilfried N’Sondé.

Source : [http://www.botschaft-frankreich.de/konsulate/spip.php?article999]



NDiaye, Trois femmes puissantes, 2009
(Française de père sénégalais, vit à Berlin)

Trois récits de femmes qui disent non pour sauvegarder leur dignité contre les humiliations que la vie leur inflige.

Norah revient chez son père en Afrique
  Et celui qui l’accueillit ou qui parut comme fortuitement sur le seuil de sa grande maison de béton, dans une intensité de lumière soudain si forte que son corps vêtu de clair paraissait la produire et la répandre lui-même, cet homme qui se tenait là, petit, alourdi, diffusant un éclat blanc comme une ampoule au néon, cet homme surgi au seuil de sa maison démesurée n’avait plus rien, se dit aussitôt Norah, de sa superbe, de sa stature, de sa jeunesse auparavant si mystérieusement constante qu’elle semblait impérissable.
  Il gardait les mains croisées sur son ventre et la tête inclinée sur le côté, et cette tête était grise et ce ventre saillant et mou sous la chemise blanche, au-dessus de la ceinture du pantalon crème.
  Il était là, nimbé de brillance froide, tombé sans doute sur le seuil de sa maison arrogante depuis la branche de quelque flamboyant dont le jardin était planté car, se dit Norah, elle s’était approchée de la maison en fixant du regard la porte d’entrée à travers la grille et ne l’avait pas vue s’ouvrir pour livrer passage à son père – et voilà que, pourtant, il lui était apparu dans le jour finissant, cet homme irradiant et déchu dont un monstrueux coup de masse sur le crâne semblait avoir ravalé les proportions harmonieuses que Norah se rappelait à celles d’un gros homme sans cou, aux jambes lourdes et brèves. (…)

-  Tiens, c’est toi, fit-il de sa voix sourde, faible, peu assurée en français malgré sa maîtrise excellente de la langue mais comme si l’orgueilleuse appréhension qu’il avait toujours eue de certaines fautes difficiles à éviter avait fini par faire trembloter sa voix même.
  Norah ne répondit pas.
  Elle l’étreignit brièvement, sans le presser contre elle, se rappelant qu’il détestait le contact physique à la façon presque imperceptible dont la chair flasque des bras de son père se rétractait sous ses doigts. (…)
  Tout au plus pouvait-elle affirmer qu’il portait ce jour-là, qu’il portait sans doute toujours maintenant, songeait-elle, une chemise froissée et tachée d’auréoles de sueur et que son pantalon était verdi et lustré aux genoux où il pochait vilainement, soit que, trop pesant volatile, il tombât chaque fois qu’il prenait contact avec le sol, soit, songeait Norah avec une pitié un peu lasse, qu’il fût lui aussi, après tout, devenu un vieil homme négligé, indifférent ou aveugle à la malpropreté bien que gardant les habitudes d’une conventionnelle élégance, s’habillant comme il l’avait toujours fait de blanc et de beurre frais et jamais n’apparaissant fût-ce au seuil de sa maison inachevée sans avoir remonté son nœud de cravate, de quelque salon poussiéreux qu’il pût être sorti, de quelque flamboyant exténué de fleurir qu’il pût s’être envolé. (…)
  Et elle remarqua, ébranlée, que les pieds de son père étaient chaussés de tongs en plastique, lui qui avait toujours mis un point d’honneur, lui semblait-il, à ne jamais se montrer qu’avec des souliers cirés, beiges ou blanc cassé.
 
Était-ce parce que cet homme débraillé avait perdu toute légitimité pour porter sur elle un regard critique ou déçu ou sévère, ou parce que, forte de ses trente-huit ans, elle ne s’inquiétait plus avant toute chose du jugement provoqué par son apparence, elle se dit en tout cas qu’elle se serait sentie embarrassée, mortifiée de se présenter, quinze ans auparavant, suante et fatiguée devant son père dont le physique et l’allure n’étaient alors jamais affectés par le moindre signe de faiblesse ou de sensibilité à la canicule, tandis que cela lui était indifférent aujourd’hui et que, même, elle offrait à l’attention de son père, sans le détourner, un visage nu, luisant qu’elle n’avait pas pris la peine de poudrer dans le taxi, se disant, surprise : Comment ai-je pu accorder de l’importance à tout cela, se disant encore avec une gaieté un peu acide, un peu rancuneuse : Qu’il pense donc de moi ce qu’il veut, car elle se souvenait de remarques cruelles, offensantes, proférées avec désinvolture par cet homme supérieur lorsque adolescentes elle et sa sœur venaient le voir et qui toutes concernaient leur manque d’élégance ou l’absence de rouge sur leurs lèvres.
Elle aurait aimé lui dire maintenant : Tu te rends compte, tu nous parlais comme à des femmes et comme si nous avions un devoir de séduction, alors que nous étions des gamines et que nous étions tes filles.
  Elle aurait aimé le lui dire avec une légèreté à peine grondeuse, comme si cela n’avait été qu’une forme de l’humour un peu rude de son père, et qu’ils en sourient ensemble, lui avec un rien de contrition.
  Mais le voyant là debout dans ses tongs en plastique, sur le seuil de béton parsemé des fleurs pourrissantes qu’il faisait tomber peut-être lorsque, d’une aile lourde et lasse, il quittait le flamboyant, elle réalisa qu’il ne se souciait pas davantage de l’examiner et de formuler un jugement sur son allure qu’il n’eût entendu, compris la plus insistance allusion aux méchantes appréciations qu’il lançait autrefois.
  Il avait l’œil creusé, le regard lointain, un peu fixe.
  Elle se demanda alors s’il se souvenait vraiment de lui avoir écrit pour lui demander de venir. (p. 11-15.


 

Kossi Efoui, L’ombre des choses à venir, 2011

Les momentanément éloignés
Ce roman qui se déroule dans une cellule ou plutôt cachette a été écrit par le dramaturge et romancier togolais Kossi Efoui dont certaines pièces de théâtre sont jouées sur les scènes africaines et européennes. Dans son quatrième roman L’ombre des choses à venir un jeune homme nous raconte l’histoire de son enfance depuis sa cachette ou il s’est réfugié pour fuir l’incorporation obligatoire dans une guerre interethnique. En attendant qu’on vienne le libérer il nous souffle ses angoisses de la guerre et de la violence et d’une vie qui n’a pas connu le mot de la « Fête ». Kossi Efoui démasque la rhétorique avilissante des dirigeants politiques et dénonce l’absurdité d’un pouvoir non fondé. Certains passages ne nous rappellent-elles pas des idées de George Orwell, 1984 ?

L’auteur qui a participé au mouvement de contestation du régime du Président Gnassingbe Eyadema (38 ans de dictature) dans les années 1980 a connu lui-même la répression, les menaces et la prison avant de s’être exilé en France ou il a remporté le grand Prix Tchicaya U Tam’si du Concours théâtral interafricain de RFI en 1989 et le Prix des Cinq Continents de la francophonie pour son roman  Solo d’un revenant en 2009.

Les momentanément éloignés

  Et rien de ce que pouvait faire un homme sans y penser – respirer, manger, boire, pisser, raconter une blague en état d’ivresse – n’était accessible pour beaucoup qu’après mille précautions, mille efforts pour être jugé conforme, selon des réglementations contre lesquelles on pouvait à tout moment être accusé de conspirer. (…)

Le fils Untel, seul à neuf ans après éloignement des parents, placé dans un centre d’éducation spéciale, revenu au bout de trois ans dans le quartier, habillée comme un dieu nouveau, parlant une langue sophistiquée dans laquelle on finit par comprendre que ses parents, à son avis, ce qu’il leur était arrivé, leur disparition, leur malheur, c’était parce qu’ils étaient de mauvais sujets. Sinon, ils n’auraient pas été frappés par le règlement.
  Son oncle, après mille précautions d’hospitalité, lui dit : « Mais, toi, tu sais qu’ils n’ont jamais rien fait. » (…)
« Rien ?, dit le neveu qui s’était mis à rire, rien ? C’est l’histoire de trois hommes qui se retrouvent en cellule. Le premier dit :
“J’en ai pris pour vingt ans pour avoir raconté une blague.“ Le deuxième dit : “J’en ai pris pour quinze ans pour avoir ri.“ Le troisième dit : “J’en ai pris pour dix ans, et je n’ai rien fait.“  “Menteur, lui disent les deux autres, rien, c’est cinq ans.“ » (p. 19-22)

Parmi ceux qui avaient été « momentanément éloignés » une minorité était sortie vivante des labyrinthes de la disparition. (p. 31)

Cf. http://la-plume-francophone.over-blog.com/article-kossi-efoui-oublie-et-l-ombre-des-choses-a-venir-90872698.html



Sami Tchak, Al Capone le malien, 2011

Dans son dernier roman l’auteur togolais Sami Tchak nous livre un portrait contrasté de la métamorphose de l’Afrique contemporaine. Le récit du déclin des anciens empires du Soudan, Songhaï, Bornu et Mandingue qui nous rappelle les splendeurs du continent noir alterne avec la quête identitaire d’une Afrique moderne, complexe, ambigüe, voire contradictoire qui laisse entrevoir les multiples facettes d’une Afrique qui est en train de se réinventer. Le personnage principal du livre, Namane Kouyaté, est partagé entre l’enracinement dans le passé immémorial des griots et la garde exclusive du « Sosso bala », balafon magique dont la tradition remonte à l’Empire du Mali au 13ème siècle, et sa rencontre avec un journaliste français, le narrateur, envoyé en Guinée pour réaliser un reportage sur le balafon sacré des Mandingues. Cette rencontre est marquée par l’incompréhension et les mystères qui s’installent autour d’un faux prince camerounais s’appelant Al Capone le Malien qui vit dans le monde clinquant de l’argent sale, du champagne et du sexe. Cette légende moderne des deux Afriques, celle du glorieux passé des empires qui est riche en références historiques ne manque pas moins de réalisme quant à la description sociologique de la corruption internationale tout en mêlant les rêves et la réalité en s’interrogeant sans cesse comme une fable sur le fondement du Bien et du Mal, la vérité et le mensonge. Tout en parlant de l’Afrique le roman ne se réduit pas à ce continent pour s’ouvrir sur la littérature-monde.

Réflexions sur la littérature africaine
I
Je vous dis tout de suite : fini le temps où les Blancs venaient prendre à nos vieux les paroles les plus précieuses, s’en allaient après avoir fait des photos et promis la lune en signe de gratitude à leurs informateurs, écrivaient des livres dont les véritables auteurs étaient nos vieux, alors que l’argent et les honneurs étaient à eux. Si vous voulez des informations, vous devrez les acheter parce que vous faites du commerce avec. C’est une matière première.

II
Namène préféra changer de sujet et se mit à parler du féticheur Moustapha Diallo dont l’importance dans le système des valeurs du Mali lui inspira des réflexions sur les littératures africaines. Je l’entends encore : « Les littératures africaines sont rarement à la hauteur de nos héros. Tu ne verras personne au Mali consacrer un roman fort, dense, complexe à un personnage aussi riche et plein de contradictions que Moustapha Diallo, l’homme ancré dans nos valeurs les plus profondes et tout aussi séduit par la brillance du monde abâtardi. Nous sommes si riches culturellement, notre quotidien est une véritable féerie, même dans ses moments les plus tragiques. …
Beaucoup de nos écrivains, surtout dit francophones, produisent des caricatures sur leur pays et sur l’Afrique, rarement ou presque jamais ils ne créent des œuvres denses, complexes comme les grands auteurs latino-américains dont les pays connaissent pourtant des situations de violence encore plus dramatiques, qui ont traversé ou traversent des dictatures encore plus sanglantes. …
Nous n’avons pas des García Márquez parce que, pour paraphraser Naipaul au sujet des écrivains indiens, une culture ne saurait dépendre exclusivement d’une approbation extérieure, comme c’est encore le cas pour nos écrivains les plus en vue. Une telle situation ne permet pas l’émergence d’une création authentique. Un véritable écrivain est d’abord le produit d’une langue et d’un peuple, il écrit d’abord pour les siens, il aspire à entrer en communion avec l’âme authentique de sa société. …
Aucune littérature authentique n’est née à l’échelle d’un continent ni même d’un pays exclusivement dans des langues d’emprunt. … On n’aurait pas eu autrement qu’en russe, Pouchkine, Dostoïevski, Tolstoï …
Notre problème essentiel, c’est de n’être pas passés à la civilisation de l’écriture depuis des siècles. … L’écriture n’a pas été qu’une possibilité, mais l’étape décisive dans l’évolution de l’humanité qui a pu nous retarder par rapport à nos propres potentialités et vérités. L’oralité, le propre de l’homme, est devenue le grand handicap des sociétés essentiellement orales. »

Extrait du roman de Sami Tchak (2011) : Al Capone le malien. Paris : Mercure de France, p. 160-162.


Mon engagement de citoyen envers mon pays
III
« René, pour un bon article sur le Sosso-bala, il faut que tu me connaisses d’abord moi, Namane Kouyaté. Car le Sosso-bala, c’est moi. » Plusieurs fois il m’avait répété ces mots au téléphone. « Je vais te dire une chose. Il y a longtemps, bien avant que Sékou Tourén n’arrache l’indépendance de la Guinée en 1958 à de Gaulle, le jour où le directeur de l’école française de Niagassola, mon village natal, avait souhaité prendre en charge mon instruction, mon père Yacouba Kouyaté avait dit catégoriquement non. Il expliqua ensuite qu’il ne souhaitait pas que je sorte de ma propre vérité pour aller me perdre dans les mensonges des autres. » … (p. 22)
Maintenant, René, je vais te parler de moi, de mon engagement de citoyen envers mon pays, de moi en tant que citoyen guinéen, car si tu ne prends pas conscience de ma foi en mon pays, tu ne pourras comprendre mon combat pour la reconnaissance mondiale de nos vielles traditions. » Il a levé ses yeux sur mois. « René, pour qui connaît la Guinée et son histoire tourmentée depuis son entrée précoce dans l’indépendance, on peut me soupçonner d’avoir trompé mes mains dans le sang, car j’ai servi sous Sékou Touré et sous Lansana Conté. René, tu vois ma villa ? J’ai d’abord été professeur puis diplomate. René, sous les régimes comme les nôtres, si j’avais défendu un projet de société contraire à celui imposé par le pouvoir, je n’aurais pas eu de tels status. Mais si j’avais accepté de plonger entièrement dans la gadoue du système, j’aurais pu me construire un château. Au lieu de quoi, je vis modestement, René. … Je ne suis pas un héros, mais un simple citoyen convaincu que, même sous le pire des dictateurs, il faut des femmes et des hommes pour gérer les affaires de leur patrie. » … Des milliers de citoyens guinéens ont été détruits d’abord spirituellement puis, pour beaucoup d’entre eux, physiquement. D’autres, des milliers aussi, avec de profondes blessures dans la chair et dans l’âme après avoir compris que, dans tout conflit qui l’oppose à la pierre, l’œuf de poule ne peut avoir raison que de sa propre vie, ceux-là ont fui le pays.  (p.23-24)

Sami Tchak (2011) : Al Capone le malien. Paris : Mercure de France.
Grand prix littéraire d’Afrique noire en 2004
Résumé du roman : http://www.youtube.com/watch?v=6RPVWXvlp1kyoutube.com 1 :32, 28 févr. 2011
Extrait du roman, lu par l’auteur : http://www.youtube.com/watch?v=XvdHemhcjf4&feature=related
Interview http://www.youtube.com/watch?v=U3Iighbiz_w&feature=related














 

 



 






Mise à jour le Dimanche, 04 Novembre 2012 18:09